Culture
Cinéma, mon amour ! de Driss Chouika : ''nous nous sommes tant aimés '' entre tendresse, tristesse, humour et ironie
Ettore Scola a bien dit que « Pour être “artiste“, il faut probablement s’aimer avant d’aimer les autres ». Ce qui apparaît clairement dans ses films et particulièrement dans celui-là, dans lequel il paraît particulièrement attaché à ses personnages, jusqu’aux infimes détails de leurs vies, prenant soin de les présenter avec amour et respect, mais sans concessions.
« Nous voulions changer le monde, mais c’est le monde qui nous a changés ! » (Réplique du film).
Il est rare qu’un réalisateur réussit à trouver un juste équilibre entre l’humour et l’ironie d’une part et entre l’amour, la tendresse et la tristesse d’autre part. Ettore Scola a bien réussi à le faire dans “Nous nous sommes tant aimés“. Quoiqu’il n’a été que peu primé dans les grands festivals, Prix d'Or du meilleur réalisateur au Festival International du Film de Moscou, Grand Prix au Festival du Film d’Humour de Chamrousse en 1976 et le César du meilleur film étranger en 1977, il a eu un énorme succès auprès des critiques, des cinéphiles et du grand public à travers le monde, sans parler de son succès auprès des ciné-clubs dans lesquels il a été largement projeté et débattu.
Ettore Scola a bien dit que « Pour être “artiste“, il faut probablement s’aimer avant d’aimer les autres ». Ce qui apparaît clairement dans ses films et particulièrement dans celui-là, dans lequel il paraît particulièrement attaché à ses personnages, jusqu’aux infimes détails de leurs vies, prenant soin de les présenter avec amour et respect, mais sans concessions. Cet aspect du film est d’ailleurs bien accentué par les prestations justes et convaincantes des quatre comédien(ne)s dans les rôles principaux : Vittorio Gassman, Nino Manfredi, Stefano Satta Flores et Stefania Sandrelli dans le rôle de la belle Luciana.
Puis, il faut aussi signaler la très belle musique du pianiste et compositeur Armando Trovajoli qui contribue fortement à consolider et mettre en valeur l’atmosphère bien nostalgique de ce film dont la trame peut être résumée comme suit : La deuxième guerre mondiale vient de prendre fin et les italiens rêvent d’un nouveau monde, d’une révolution pour éradiquer définitivement le fascisme de Mussolini. C’est dans ce climat que Ettore Scola nous fait suivre trois amis qui se sont liés d’amitiés lorsqu’ils se battaient contre les Allemands nazis. Trois amis rêveurs et bercés d’illusions, que la vie va séparer en même temps que la nouvelle république va prendre forme en Italie. C’est à travers le destin de ces trois amis, Gianni, Antonio et Nicola, un brancardier, un avocat et un professeur passionné de cinéma, tombés tous sous le charme irrésistible de la belle Luciana, que Scola nous fait vivre le passage obligé à l’âge des responsabilités, la remise en question des idéaux, les concessions, les séparations douloureuses, les choix difficiles et les désillusions de toute une génération.
UN TRAITEMENT THÉMATIQUE ATTACHANT
La thématique du film est écrite, agencée et traitée d’une manière intelligente, assidue et convaincante, qui coule de source et permet de suivre le déroulement de l’histoire en la vivant de l’intérieur, entrant dans l’intimité des personnages, entraînés naturellement par la crédibilité de leurs comportements. Les personnages sont tellement attachants et leurs problèmes, dilemmes et enjeux sont tellement bien conçus que le spectateur tombe tout naturellement sous le charme et peut s'identifier à l’un ou l’autre de ces personnages, bien qu’ils soient aussi différents et parfois ambigus. Scola nous met délibérément en face d'êtres humains qui nous ressemblent au point de croire qu’il s’inspire quelque part de notre propre histoire.
Sur le plan des comportements, le film est d’une grande profondeur humaine. On y retrouve les sentiments les plus contradictoires développés par l’homme dans les sociétés modernes : l’ambition, le regret, la cupidité, l’abandon, les idéaux opposés, l’amour, la trahison, la solitude..., placés dans leurs contextes socioculturels bien définis.
L’excellente mise en scène de Scola complète le tableau, faisant de ce film un exemple en la matière. Une juste mise en image des personnages dans l’espace, avec l’utilisation judicieuse du noir et blanc pour le passé et de la couleur pour le présent, ainsi qu’un montage bien alerte, appuient la construction dramatique du film et rendent son visionnage bien attachant.
UN FILM ÉMOUVANT
Ettore Scola a choisi de rendre hommage à l’un de ses réalisateurs préférés, Vittorio de Sica, le réalisateur notamment du mythique “Le voleur de bicyclette“, qui apparaît dans son propre rôle, et il a tout fait pour rendre ce film bien émouvant. Il réussit à nous captiver par une histoire passionnante qui assure une dimension très tendre, nostalgique, romantique et poétique. En fin de compte, l’hommage à de Sica se transforme en un hommage vibrant à tout un certain cinéma italien, celui d'Antonioni et Fellini, entre autres.
La narration du film est basée sur une construction en puzzle, imbriquant astucieusement les situations personnelles des personnages dans le contexte général du pays. On est constamment confronté à des situations à la fois tristes et drôles, mais élaborées d’une manière sincère et convaincante. Une comédie à l’italienne, douce-amère, avec une forte charge émotionnelle, empreinte de nostalgie aux idéaux qui ont bercé notre jeunesse.
En tout cas, ce film demeure dans ma mémoire comme l’un des plus grands coups de cœur dans mon histoire de cinéphile et sa découverte avait joué un rôle important dans la consolidation de mon penchant tourné essentiellement vers un cinéma romantique et poétique. Un film vraiment touchant et attachant, qu’on peut voir et revoir avec plaisir.
PHILMOGRAPHIE SÉLECTIVE DE ETTORE SCOLA (LM)
« Parlons femmes » (1964) ; « Drame de la jalousie » (1970) ; « Nous nous sommes tant aimés » (1974) ; « Affreux, sales et méchants » (1976) ; « Une journée particulière » (1977) ; « Les nouveaux monstres » (1978) ; « La terrasse » (1980) ; « La nuit de Varennes » (1982) ; « Le bal » (1983) ; « La famille » (1987) ; « le voyage du capitaine Fracasse » (1990) ; « Le roman d’un jeune homme pauvre » (1995) ; « Le dîner » (1998) ; « Concurrence déloyale » (2001) ; « Gente di Roma » (2003) ; « Qu’il est étrange de s’appeler Federico » (2013 – documentaire sur Fellini).