''Cinéma, mon amour !'' de Driss Chouika; DES QUESTIONS VIEILLES A REPOSER A NOUVEAU !

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Noureddine Sail (1947 – 2020)

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« Les cinéastes marocains sont aujourd'hui dispersés, et plus du tout en accord sur les principes qui les ont unis au début des années 60, puis au début des années 70, puis au début des années 80. La prise de conscience de la valeur et de l'efficacité du rassemblement et de l’entente n'atteignent les cinéastes que sous la forme d'une fièvre qui les prend subitement... puis disparait pendant près de dix ans…

Quant à l'État, il n'a toujours pas clairement suivi la voie de la défense légitime globale (et pas seulement partielle) de la production nationale, malgré tous les points positifs que l'on peut lire dans le texte du fonds de soutien à la production ».

Noureddine Sail («Etudes cinématographiques», N° 1, Juin 1985).

Comme disait feu Noureddine Sail en 1985 déjà, le critique et maître de cinéma, reconnu sur le plan international, visionnaire comme il a toujours été, face à l'absence d'un marché cinématographique national, au sens commercial, avec un secteur structuré et professionnellement organisé, producteurs, réalisateurs, techniciens, distributeurs, exploitants, public, critiques, médias..., une administration publique régulatrice, des télévisions publiques responsables et réellement partenaires, le tout coiffé par une volonté et des choix politiques clairement définis, nous risquons de continuer à tourner en rond pendant que notre cinéma national régresse et périclite à vue d’oeil. Les réalisateur/producteurs sont aujourd’hui plus que jamais désunis et dispersés, pire, semblant totalement désintéressés, comme s'ils fuyaient face à la réalité. Les réalisateurs sont de plus en plus enclins à des perceptions anormales dans leur traitement de la créativité cinématographique, certains d'entre eux écrivent désormais des projets selon le modèle voulu et souhaité par les producteurs internationaux influents, à la recherche d’images étranges venues du monde "sous-développé“ pour satisfaire un public occidental féru d’étrangeté, et qui constitue encore un ego supérieur dans l'imaginaire de beaucoup de cinéastes.

QUESTIONS ESSENTIELLES A REPOSER SERIEUSEMENT

La situation de crise du secteur cinématographique impose de reposer les questions essentielles pour essayer d’y trouver des réponses rationnelles :

- Aujourd’hui donc, comme il y a plusieurs décennies, dans l’absence d’un marché national organisé, les réalisateurs/productreurs se retrouvent acculés à chercher des marchés, réels ou fictifs, susceptibles de bien vouloir accepter de donner une petite chance à leurs créations, tout en sachant qu’ils ne font cela que dans le cadre de leurs propres concepts et lignes éditoriales. Quelles sont les issues possibles alors pour recréer une situation plus saine ?

- Le public, ou les publics, continuellement produits et reproduits à travers la consommation courante des films majoritairement diffusés par ceux qui détiennent les marchés de production et de diffusion, poussent les créateurs à une recherche aveugle de travail, obligés de satisfaire les exigences des bailleurs de fonds. Comment pouvons-nous dépasser cette situation ?

- Avec les salles de cinéma qui continuent à fermer, les télévisions publiques nationales qui s’intéressent de moins en moins au cinéma national, et avec ces nouveaux médias de diffusions qui ne respectent plus les frontières géographiques entre les pays, les cinéastes, étrangers dans leur pays ou immigrés dans les centres détenteurs des clés de la production cinématographique, ne savent plus à quel saint se vouer pour réaliser leurs projets avec un semblant de respect de leurs choix thématiques et esthétiques. Comment théoriser, dans un minimum décent de respect de la liberté d’expression, quand toutes les portes de la pratique réaliste sont fermées ? Et qu'en est-il de l'optimisme quand le passé continue de dominer, de manière absolue, sans le moindre désir de changement ?

- Quant à la critique cinématographique consciente des problèmes de créativité et des problèmes sociaux du pays, elle est de plus en plus réduite à quelques cercles bien limités, principalements aux festivals de cinéma. Le discours critique sur la nécessité du développement d’un cinéma national destiné à un large public de cinéphiles n’a presque plus d’adeptes. Quant à l’analyse stratégique de ce à quoi devrait ressembler le champ cinématographique dans notre pays, dans les années à venir, on a l'impression qu’elle n’est plus d’aucune utilité, au vu de la réalité vécue. Ce n’est peut-etre plus qu’une sorte de compensation d’un manque existentiel. Quelles sont alors les possibilités de faire revivre un certain esprit critique dans notre pays ?

QUEL AVENIR POUR LE SECTEUR ET SES PROFESSIONNELS  ?

A la lumière des questions cruciales posées et les réponses que les “professionnels de la profession“ peuvent y apporter, nous espérons voir germer les prémisses d’un renouveau du cinéma national. 

Encore faut-il que les déclarations d’intention à propos du cinéma national auquel nous aspirons ne continuent pas à se déverser dans une mer de délire, individuel ou collectif, dispensant une bonne conscience de façade, bardée de slogans et de discours faussement confiants.

Et nourrissons l’espoir de voir notre rapport à la production nationale changer et évoluer positivement. Sinon, nous risquons fort de se retrouver au bout de l’impasse.

DRISS CHOUIKA