Culture
Elevée au statut de refuge, que peut la littérature ? - Par Samir Belahsen
Un attentat-suicide à Tel Aviv. Le choc n'est que plus fort pour Amin Jaafari, un chirurgie en train d'opérer la victime, lorsque l'identité du kamikaze est révélée : sa propre femme, Sihem
“La littérature est un refuge. Elle approfondit la vision du monde.”
Jean-Luc Godard,
réalisateur suisse né en 1930
« On ne devrait lire que des livres qui nous piquent et nous mordent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d'un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? »
Franz Kafka
Quand le monde verse dans le gouffre, le questionnement sur ce que peut la littérature, devient plus que légitime.
On est tenté de répondre que la littérature ne peut pas, elle sait qu’elle ne peut pas ; elle ne peut pas mais qu’elle se doit de tenter.
(Par littérature il faut entends l’ensemble des œuvres écrites ou orales auxquelles on peut reconnaître une finalité esthétique.)
Tout en intégrant son impuissance, elle est amenée, devant le gouffre, à agir d’urgence.
Et devant le gouffre actuel, c’est un refuge humanitaire d’une relative intimité qu'il faut quêter. Un refuge qui permet de prendre de la distance avec le monde et son bouillonnement sans s’en éloigner pour une revue de notre conception du monde, des valeurs et émotions…
C’est pourquoi, quand je sens le gouffre, par reflexe de survie, je me réfugie dans la littérature. Autrement dit, en littérature je ne suis qu’un réfugié gourmand, mais qui partage.
Par paresse, j’ai pris l’habitude de retrouver mes anciens refuges classiques, Français, Russes, Chinois ou Japonais, cette fois, j’ai fait une recherche plus rationnelle et j’ai eu la chance de tomber sur un titre que je n’avais pas lu : "L'Attentat" de Yasmina Khadra.
Yassmina Khadra est le pseudonyme de l’auteur Algérien Mohammed Moulessehoul qui me parait ici profond et poignant plus que dans ses autres œuvres.
À travers l'histoire d’un chirurgien israélien d'origine arabe, Amin Jaafari, Khadra explore les thèmes de l'identité, du terrorisme et du conflit « israélo-palestinien », tout en offrant une réflexion profonde sur la nature de l'âme humaine.
"L'Attentat" commence par un événement bouleversant : un attentat-suicide à Tel Aviv. Le choc est d'autant plus fort pour Amin Jaafari lorsque l'identité du kamikaze est révélée : sa propre femme, Sihem. Ce retournement brutal de situation pousse Amin à remettre en question sa propre existence et à se lancer dans une quête pour comprendre les motivations qui ont conduit Sihem à un tel acte.
Khadra nous plonge au cœur d'une narration riche en émotions, en explorant les méandres de l'âme humaine. Il offre une perspective multidimensionnelle sur les personnages et leurs motivations, évitant ainsi les simplifications habituelles. Amin Jaafari, en particulier, est dépeint avec justesse et subtilité, permettant aux lecteurs de se connecter à ses dilemmes moraux et à ses tourments intérieurs entre l’identité et ses certitudes, l’amour et la haine. Khadra décrit magnifiquement son désarroi, l'écroulement de sa vie pleine d’illusions. Pour continuer à vivre avec ces sentiments de trahison et d'incompréhension qui l'habitent, il a choisi la quête de la vérité.
Cette quête de la vérité sera aussi pour lui un retour vers ses racines, vers une souffrance identitaire que sa vie d'homme « parfaitement » intégré dans le microcosme de Tel Aviv lui avait fait oublier. L'impossibilité de dialogue entre les communautés meurtries par des dizaines d'années de conflit prend ici tout son sens. Il faut dire qu’avant l’attentat et ces jours-ci, on y a rajouté des fleuves de sang.
Une singularité indéniable de "L'Attentat" est la façon dont Khadra réussit à dépeindre le conflit « israélo-palestinien » de manière nuancée. Il ne prend pas ouvertement parti, mais plutôt il dépeint avec une certaine habilité les souffrances et les aspirations des deux côtés du conflit. En évitant les stéréotypes et en présentant des personnages authentiques et complexes, l'auteur fait preuve d'une grande sensibilité à la complexité du sujet.
Voilà, pourrais-je conclure, dans mon refuge contre le bruit des bombardements, les questions d’Amine me rappellent à la réalité et c’est aussi ça la littérature : un coup de poing sur le crâne.