Il y en a que la fonction change, et il y en a qui changent la fonction – Par Hatim Betioui

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C’est l’homme qui donne éclat et valeur au poste, car les fonctions sont trompeuses et attirantes. Souvent, les gens contribuent à ce que les responsables oublient qui ils sont, fascinés par l’apparat du pouvoir et l’aura créée par les médias

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Souvent on s’arrête chez l’ancien président américain Jimmy Carter, qui a quitté ce monde il y a quelques jours après avoir dépassé le cap des cent ans, sur le fait qu’il portait lui-même sa valise, même lors de ses voyages présidentiels, une scène inhabituelle pour un chef qui plus est d’une grande puissance.

Les vertus de l’humilité

Après avoir quitté ses fonctions présidentielles et la Maison-Blanche, il a consacré sa vie à des œuvres caritatives et à la construction de maisons pour les nécessiteux, ce qui a fait de lui un symbole de philanthropie et d’humilité parmi les présidents.  

Le comportement humble du président Carter m’a rappelé ce qu’une fois j’ai vécu avec Mohammed Benaïssa, ancien ministre des Affaires étrangères du Maroc (1999-2007).  

Alors que nous nous rendions ensemble à un hôtel à Londres, j’ai voulu l’aider à porter son attaché case qui semblait lourd. Mais il a insisté pour le porter lui-même tout en me remerciant de ma volonté d’aider. Il m’a dit alors : « Laisse-moi habituer mes muscles à porter mes sacs, pour qu’ils restent prêts à porter des charges sans l’aide d’un chauffeur ou d’un assistant lorsque je ne serai plus ministre. »  

Le ministre Benaïssa m’a confié un jour que devenu ministre de la Culture, il avait pour habitude, chaque matin avant de se raser, de se saluer lui-même dans le miroir en disant : « Bonjour, Si Ben Aïssa. » Un jour, son épouse remarquant ce comportement, lui a demandé : « Que se passe-t-il ? » Il a répondu : « Je me rappelle juste à moi-même que je suis Mohammed Benaïssa, et non pas le ministre de la Culture. »

Il ne fait aucun doute qu’avant d’être humble avec les autres, une personne doit d’abord être humble envers elle-même. Les fonctions vont et viennent, mais ce qui reste, c’est la personne avec son humilité, ses valeurs et son humanité.  

Les salamalecs périssables

C’est l’homme qui donne éclat et valeur au poste, car les fonctions sont trompeuses et attirantes. Souvent, les gens contribuent à ce que les responsables oublient qui ils sont, fascinés par l’apparat du pouvoir et l’aura créée par les médias, en plus des « salutations excessives », comme disent les égyptiens, par les agents de sécurité, les salamalecs démesurés des employés, et les flatteries qui ne s’arrêtent jamais.  

Si un responsable n’est pas maître de lui-même, il sombrera inévitablement dans un narcissisme excessif. L’ivresse du pouvoir lui font oublier ce que les salamalecs ont de périssable et le conduira à l’éloignement des gens. La tragédie est que si ce responsable succombe aux séductions du pouvoir, il perd immédiatement ses repères après l’avoir quitté et devient en proie à la dépression. Tel un Damoclès, il est hanté par cette épée qui plane au-dessus de sa tête, rien que parce qu’il s’est abandonné aux apparats d’un pouvoir éphémère, qui s’évanouit inéluctablement avec le temps.  

Beaucoup de responsables se sont éteints comme une bougie fondue dès qu’ils ont quitté leurs fonctions ; et après avoir empli le monde de leurs bruits, s’évanouissent dans le brouhaha des communs des mortels.  

De Mandela à Merkel

Le proverbe anglais dit vrai : « Les grands hommes changent les fonctions, tandis que les petits hommes sont changés par elles. » Nous avons, dans l’histoire récente, des témoignages sur de nombreux grands hommes qui ont transformé les fonctions sans être eux-mêmes changés par elles.  

Le leader sud-africain Nelson Mandela, premier président du pays après la fin de l’apartheid, est resté humble dans ses relations avec tous. Il passait son temps parmi les gens, discutant de leurs préoccupations quotidiennes, vêtu de vêtements simples, quelles que soient les circonstances.  

Avant lui, nous avons connu Mahatma Gandhi, qui a mené l’Inde vers l’indépendance par des moyens pacifiques et qui a été un symbole d’humilité et de simplicité, ayant choisi de vivre une vie ascétique dans tous ses aspects.  

Il y a aussi l’ancien président de l’Uruguay, José Mujica (2010-2015), considéré comme le président le plus pauvre du monde, car il vivait dans une petite ferme, faisait don de la majorité de son salaire aux pauvres et utilisait une vieille voiture Volkswagen Coccinelle de 1987 au lieu des limousines présidentielles.  

L’ancienne chancelière allemande Angela Merkel est également un cas dans ce registre. Elle a mené une vie simple pendant qu’elle était au sommet du pouvoir. Elle vivait dans un appartement ordinaire à Berlin, n’a pas déménagé dans un palais somptueux ou une villa luxueuse, et faisait elle-même ses courses dans des magasins locaux sans protection excessive. Elle a été vue à plusieurs reprises faisant la queue pour payer ses achats, comme tout autre citoyen. Elle a également évité les apparences de luxe en portant des vêtements simples et peu coûteux, n’hésitant pas à réutiliser les mêmes tenues lors d’événements officiels.  

Tels sont ces politiciens humbles, que le décès du président Carter nous rappelle leurs qualités et leurs valeurs. Ils sont, heureusement, nombreux, et il serait impossible de tous les mentionner ici. Cependant, tous laissent derrière eux des histoires à raconter et forment une source d’inspiration pour la nouvelle génération de responsables, qui doivent toujours se rappeler que rien n’est permanent. 

Seules resteront gravées dans la mémoire des gens, leurs nobles qualités humaines et leur profonde humilité.