Culture
Journée mondiale du livre et du droit d'auteur: entre les Marocains et la lecture, le divorce est-il consommé ?
Le Marocain est-il brouillé avec le livre ? Ou s’agit-il d’une culture qui cherche ses sources ailleurs ?
Par Meriem RKIOUAK (MAP)
Rabat - . ‘’La lecture apporte à l’homme la plénitude’’ disait le peintre irlandais Francis Bacon. Mais les lecteurs, eux, diminuent comme peau de chagrin. Les statistiques officielles montrent que les Marocains consacrent à peine une cinquantaine d'heures par an à la lecture.
Ça ne date pas d’aujourd’hui. Intellectuels et institutionnels tirent la sonnette d’alarme depuis longtemps : les Marocains lisent très peu. Et cette "crise" de lecture s’aggrave d’une année à l’autre, malgré les efforts déployés pour promouvoir le livre et l’édition.
Comme à chaque célébration, ce 23 avril, Journée mondiale du livre et du droit d’auteur, les mêmes questionnements reviennent à l’ordre du jour concernant les causes de cette brouille qui s'enracine entre les Marocains et le livre: est-ce la faute à l’absence d’une volonté politique et d’une stratégie publique structurée, à la détérioration du pouvoir d’achat ou bien au désamour du livre, notamment parmi les jeunes attirés par les sirènes de la technologie ? Ou à une tradition portée sur l’Oralité. Probablement, à tous ces facteurs réunis
Crise de lecture ou de culture ?
Nadia Essalmi, directrice de la maison d’édition Yomad spécialisée dans la littérature jeunesse et présidente de l’association "Littératures itinérantes", estime qu’"on a une fausse idée de ce qu’on appelle une crise de lecture".
"Pour moi, la grande crise c’est qu’on ne fait presque rien pour inciter les gens à lire", martèle-t-elle dans une déclaration à la MAP.
Elle évoque, à ce propos, l’événement "Littératures itinérantes" dont elle est l’initiatrice et qui vise à rapprocher le livre des lecteurs en organisant des rencontres avec les écrivains. Pour sa 4ème édition tenue à Fès en 2022, cette caravane de lecture a rassemblé une quarantaine d’auteurs de 14 pays.
"En lançant l’événement, on ne s’attendait pas à avoir un tel succès : en deux heures, on a réussi à réunir près de 10.000 personnes à distance ! C’est la preuve que pour créer le changement, il faut emmener le livre vers les gens et pas l’inverse", raisonne-t-elle.
Abdelhak Najib, écrivain, journaliste et éditeur, n’est pas du même avis. Orion, la maison d’édition qu’il dirige, a organisé en 2020 une campagne d’encouragement de la lecture avec l’objectif de distribuer quelque 25.000 livres dans le milieu scolaire. "Cet objectif n’a pas été atteint parce que, imaginez, certains directeurs d’écoles ne voulaient simplement pas des livres qu’on leur offrait à titre gracieux pour que les élèves prennent goût à la lecture pendant la période du confinement. Un bonhomme a même eu la finesse de me dire que je serais mieux inspiré d’apporter des sandwichs à la place des bouquins !", raconte-t-il.
"Ce genre de réflexes atteste de l’absence d’une culture de la lecture chez une grande partie de nos concitoyens. Le livre est absent des habitudes et du quotidien des Marocains", relève M. Najib, pointant du doigt "les politiques culturelles et médiatiques qui donnent une place de choix aux séries télévisées, aux spectacles et autres émissions de divertissement et se soucient peu du livre".
Mettre l’outil technologique au service du livre
Si elle est en perte de vitesse chez les adultes, la lecture est une pratique qui semble complètement étrangère aux jeunes. Un rapport publié en juin 2019 par le Conseil économique, social et environnemental sur "Promouvoir la lecture, urgence et nécessité" révèle que "moins de 3% des enfants de 7 à 14 ans pratiquent la lecture, alors qu’ils passent en moyenne trois heures par jour à regarder la télévision" et que "38% des écoliers marocains possèdent quelques ressources de lecture chez eux, contre 61% qui n’en possèdent guère".
Pour Abdelhak Najib, "les réseaux sociaux, Netflix et consorts ont installé un mode de consommation de la culture (fast culture) qui privilégie la rapidité, la superficialité voire la médiocrité à tout ce qui incite à la réflexion et au débat d’idées".
Et si on faisait d’Internet une partie de la solution et non du problème ? C’est l’idée avancée par Nadia Essalmi qui trouve plus pratique de commencer par initier les jeunes à la lecture en ligne pour les aider à "briser la glace" avec le livre.
"Si un enfant ou un ado désire lire un texte sur son smartphone, alors tant mieux. L’essentiel c’est qu’il franchisse le pas. La magie ne tardera pas à opérer : un jour ou l’autre il ira de son propre chef vers le livre en papier. Pour moi, le livre imprimé et celui digital se complètent, l’un ne doit pas bannir l'autre", soutient-elle.
Pour un environnement socio-économique ami du livre
Netflix, Youtube, Instagram, Facebook, TikTok… Devant la prolifération des distractions, gratuites et à bout de clic, difficile de résister à la tentation ! L’environnement joue un rôle primordial pour extirper l’individu de ce tourbillon technologique qui le happe au quotidien et le ramener vers le livre, nourriture de l’esprit et source de richesse et d’apaisement.
Les bibliothèques publiques et de quartier sont, à cet égard, un excellent moyen de rendre le livre plus visible dans l’espace public et de le rapprocher des différentes catégories sociales, notamment celles qui ne peuvent s’offrir un tel "luxe", comme le préconise Nadia Essalmi. "Malheureusement, ces structures sont rares et quand elles existent, elles sont tellement moroses et anarchiques qu'elles ne donnent pas envie d'y mettre les pieds. Une bibliothèque, ce n'est pas un cimetière où des livres sont disposés dans des rayons et abandonnés à leur sort, mais c'est un lieu de vie et d'épanouissement qui est censé être géré par un professionnel, en l'occurrence un bibliothécaire", fustige-t-elle.
L’environnement économique est un autre facteur à prendre en considération, selon Abdelhak Najib qui plaide pour "la mise en place d’une industrie du livre en bonne et due forme pour en faire un secteur rentable, avec une chaîne de production et de distribution bien maîtrisée, un véritable marché et une protection effective des droits d’auteur face au plagiat et au piratage".
Enrichissant, attachant et accessible à tout moment… Le livre est l’une des meilleures inventions de l’homme. Ouvrir un livre, c’est ouvrir grands son cœur et son esprit à d’autres expériences de la vie et d’autres visions du monde. Alors, lisons et laissons-nous emporter par la magie du livre, comme Victor Hugo l’a si bien décrite: "La lumière est dans le livre. Ouvrez le livre tout grand. Laissez-le rayonner, laissez-le faire".