Les implacables tirs amis de Abdul Wahab Al-Bayati – Par Hatim Betioui

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Timbre émis par en hommage au poète Abdil Wahab Al-Bayati, (1926-1999) 

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Le poète irakien disparu, Abdul Wahab Al-Bayati, a toujours entretenu une relation avec le poète soudanais disparu, Mohammed Al-Fayturi, depuis qu'ils résidaient au Caire dans les années 1950 et écrivaient tous deux pour les journaux de la capitale égyptienne. Cependant, lorsque je lui ai demandé, lors de sa participation à la saison culturelle d'Asilah au milieu des années 1980, de commenter ce qu'Al-Fayturi avait dit dans une déclaration à la presse, à savoir qu'Al-Bayati, après son recueil « Abariq Mouhachama » (Pichets brisés), n'avait rien écrit d'autre et qu'il était fini poétiquement, la réponse d'Al-Bayati fut cinglante, effaçant Al-Fayturi de l'existence.

"Je ne sais pas qui est Al-Fayturi, ni que fait-il ? a-t-il dit, je connais de nombreuses personnes qui portent le nom d’Al-Fayturi et qui exercent différentes professions, alors qui est-il parmi eux ?"

Les pionniers de la poésie libre

Al-Bayati ne manquait jamais d’afficher son ego dans l’élévation de sa poésie. Dans une interview que j'ai réalisée avec lui, publiée le dimanche 20 juillet 1989 dans le supplément culturel du journal marocain "Al-Mithaq Al-Watani", qui a cessé de paraître en janvier 2002, je l’ai interrogé sur la persistance de la divergence entre les critiques sur qui, le permier, avait écrit de la poésie libre : était-ce Badr Shakir al-Sayyab, Nazik al-Malaika ou lui-même ? Plus de quarante ans s'étaient déjà écoulés depuis l'apparition du mouvement de la poésie moderne.

Al-Bayati a répondu : "Qui a écrit en premier, cela n'a d'importance que pour l'histoire", négligeant ainsi de répondre à cette question et se concentrant sur un autre aspect, en indiquant que le Dr Ihsan Abbas, un grand critique, avait répondu à cette question dans son livre "La poésie arabe et ses tendances", où il mentionnait que Al-Malaika et Al-Sayyab étaient les premiers à avoir inauguré ce style poétique, mais il pensait que leurs premières œuvres portaient encore les sentiments romantiques de la poésie classique. Ici, Al-Bayati brandissait à nouveau l'épée de l'ego : "Il me considère - moi - comme le premier poète à avoir réussi à utiliser cette forme, de manière à ce qu'il n'y ait pas de contradiction entre l'utilisation de cette forme et le contenu des poèmes que j'écris."

Ses préférés

En évoquant ses souvenirs avec les figures de proue du mouvement de la poésie arabe moderne, il ressortait de son propos qu'Al-Bayati ne connaissait pas personnellement très bien la poétesse Al-Malaika. Il a raconté qu'elle avait obtenu son diplôme de l'école des enseignants avant son entrée, et qu'il ne l'avait donc pas croisée là-bas, mais l'avait rencontrée dans les années qui ont suivi, et que leur rencontre avait été brève.

Sur Al-Sayyab, Al-Bayati précise : "Il avait un an d'avance sur moi, et nous sommes devenus amis dès notre première rencontre", restant liés jusqu'à leur diplôme de l'école des enseignants, moment où des divergences sont apparues entre eux, en raison de l'intervention de quelques "bienfaiteurs", selon ses termes. Al-Bayati n'a pas caché qu'il avait toujours ressenti de l'admiration et du respect pour Al-Sayyab tout au long de sa vie.

Il a poursuivi en parlant de sa relation avec lui : "Dans les premières années après notre diplôme, il y a eu des querelles littéraires entre nous, mais elles étaient naturelles pour notre âge ou pour l'ardeur de la jeunesse. Je me souviens qu'à sa mort, j'ai ressenti une grande douleur, et j'ai écrit un poème sur lui, publié dans le recueil "Alkitaba ‘ala Attine’’ (Écrire sur l'argile), que les critiques ont considéré comme l'un de mes meilleurs poèmes."

Surgit dans la palette de ses relations le poète irakien Buland Al-Haidari, qui tenait à participer aux saisons culturelles d'Asilah jusqu'à sa mort le 6 août 1996, et que la ville a honoré en créant un jardin et un prix portant son nom (le jardin Buland Al-Haidari et le prix Buland Al-Haidari pour les jeunes poètes), Al-Bayati a dit qu'il l'avait rencontré " dès 1945, mais qu’il était resté en marge de leur mouvement.

Al-Bayati hisse Beland Al-Haidari assez haut en disant : « Il a également écrit de la poésie libre et je l'admirais ». Il ne tarde pas toutefois à le rabaisser en confiant : « Pour des raisons subjectives et objectives, les lecteurs ne l'ont pas classé parmi les pionniers ». Ainsi, Al-Bayati a dilué cette acerbe critique dans la responsabilité collective des lecteurs, déclarant que ce n'était pas sa responsabilité mais celle des critiques et des lecteurs.

Même Adonis

Le concept "adonisien" de la modernité, non plus n’échappe pas à ses griffes. A. l’encontre d’Adonis, Al-Bayati lance une pique lui déniant la paternité du concept, l’accusant implicitement de s’être limité au mimétisme : « Ce n'est pas un concept adonisien, c'est un concept emprunté au premier magasin européen venu, et très étroit d'esprit aussi », estimant qu'Adonis « aime théoriser et critiquer. De plus, les idées qu'il propose étaient courantes il y a trente ans ou plus, les gens en débattaient à l'époque, et maintenant il en a juste pris le train en marche. C'est pourquoi son obsession pour ces questions a fait de lui un poète de second rang, son inspiration s'est tarie depuis des années, et tout ce qu'il prône en ne le retrouve absolument pas dans sa propre poésie ».

Ce qu'Al-Bayati a dit de ses contemporains poètes est presque une culture dominante parmi les intellectuels, écrivains et poètes. Il y a de multiples et diverses guerres de  « cent ans » entre eux. Je me souviens d'un jour où nous étions à l'hôtel "Al-Khayma" à Asilah autour d'une table avec Al-Bayati, le poète égyptien Ahmed Abdel Muti Hijazi et d'autres écrivains et poètes. Je me suis trouvé enthousiaste à parler de lui et de son recueil "Madinatoune bila qualb“ (Une ville sans cœur), croyant avoir bien fait en montrant ma connaissance des questions poétiques. Mais en quelques instants, Hijazi s'est levé pour rejoindre sa chambre. Al-Bayati s'est alors tourné vers moi avec douleur et a dit : « Tu m'as vraiment déçu, Hatim, honnêtement (le barbier de Séville) tu le considères comme un poète ? Il n'est même pas un petit poète ».

Al-Bayati était amusant piquant dans ses commentaires sur ses compagnons et confrère, n’épargnant ni biens ni personne. Ainsi j’en arrive à une amie romancière irakienne qui a rencontré Al-Bayati à Amman quelques mois avant sa mort, et qui m’a rapporté que lors d'une discussion sur le poète Nizar Qabbani, Al-Byati a lancé : « Pauvre Nizar Qabbani. Kadim Al-Sahir l'a sauvé en chantant ses poèmes, et il est devenu célèbre ». 

Longtemps après ces péripéties, j’ai continué à remercier Dieu de ne pas avoir été un poète, échappant ainsi aux tirs amis d'Al-Bayati.

Mots clés : Beland A-lHaidari, Al-Sayyab, Adonis, Nazik Al-Malaika, Al-Bayati

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