Lieux de mémoire (2ème partie) – Par Abdejlil Lahjomri

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Portraits de Youssef Ibn Tachfine et Al Mo’Atamid Ibn Abbad, deux immenses personnages. Quand l’un fit appel à l’autre, c’est aussi pour sauvegarder ce qui subsiste de beau, de transcendant, de foisonnant et de lumineux d’un empire en danger

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Rien n’est mythe dans le legs andalou, si ce n’est peut-être la célébration de la ‘’convivancia’’, tranche Abdejlil Lahjomri. De la même manière, le Secrétaire de l’Académie récuse l’idée que la référence de la constitution à cet affluent puisse s’inscrire dans une quelconque ‘’manœuvre’’ pour ‘ne pas laisser le Maroc ‘’  un face à face trop bipolaire Amazighs et Arabes’’.  Pour lui, Al Mo’Atamid Ibn Abbad et Youssef Ibn Tachfine, sont deux immenses personnages dont la confrontation de leur mode de gouvernement et leur manière d’être sont des sédiments constitutifs de l’identité marocaine. Si dans la première partie, par glissement interrogatif, il a conclu que « l’histoire d’Al Andalus est inséparable de celle du Maroc », dans cette deuxième partie il étaye pourquoi et comment ces deux facettes du Maroc forment une unite fusionnelle. Dos à dos, il renvoie les contempteurs d’Ibn Tachfine comme les pourfendeurs Al Mo’Atamid.     

 L’étude de Abdallah Saaf intitulée « Pour une prospection du mythe de l’andalou dans le discours politique marocain actuel » susciterait des interrogations que le mausolée de Al Mo’Atamid ferait naître comme lieu de mémoire et donc de savoir.  « Existe-t-il un modèle andalou ?  Quelles sont les fonctions politiques et idéologiques de l’andalousisme marocain ? Constitue-t-il […] un élément d’équilibre dans les démarches affichées du pluralisme ? ». Si des vocables barbares comme « andalousisme » et « andaloussité » que l’auteur utilisera, devraient être écartés ainsi que le concept ambigu de « modèle andalou », il resterait l’emploi du mot mythe et l’affirmation qu’il pourrait être un « élément d’équilibre dans les démarches affichées du pluralisme ».  Ce que l’auteur explicitera par la suite en faisant remarquer que « la problématique (de ce mythe) ne parait pas suffisamment centrale (et que) sa mention est souvent introduite comme une manœuvre, une diversion intellectuelle afin de ne pas laisser dans un face à face trop bipolaire Amazighs et Arabes ». Ce lieu de savoir que constitue cette sépulture d’Al Mo’Atamid dit au contraire que le mot mythe est impropre, que l’héritage andalou le bannit, que ce que ce lieu éveille dans la mémoire et la conscience nationale c’est la tragique confrontation entre deux modes de gouverner, deux manières d’être au monde, que symbolisent deux immenses personnages. Quand l’un fit appel à l’autre, c’est pour dynamiser une défense affaiblie de la religion islamique que les Princes andalous n’ont su ni nourrir, ni consolider.  C’est aussi pour sauvegarder ce qui subsiste de beau, de transcendant, de foisonnant et de lumineux d’un empire en danger.  L’avis de A. Saaf est généralisateur. Le mot mythe ne peut être utilisé que quand est évoquée ce qu’on appelle « la convivencia », terme espagnol qui a donné naissance au mot « convivance », que l’académicienne Florence Delay a réussi à introduire dans le dictionnaire de l’Académie Française.  Qui célèbre une période considérée comme exemplaire dans le dialogue des cultures, des civilisations et des religions. C’est ainsi que des chercheurs comme Christiane Mazzoli-Guintard peuvent intituler leurs ouvrages « Cordoue, Séville, Grenade.  Mythe ou réalité de la coexistence des trois cultures ».  En dehors de cet usage, rien n’est mythe, tout est histoire et l’histoire andalouse, épousant une histoire qui serait amazighe et une autre qui serait arabe dans une illustration fusionnelle de l’identité nationale ne pourrait en aucun cas être une diversion intellectuelle pour faire éviter aux deux autres affluents un face à face bipolaire.

Lire le 1ère partie de Lieux de mémoire – Par Abdejlil Lahjomri

Le mausolée de Al Mo’Atamid à Aghmat nous dit la centralité de la présence non d’un mythe, mais d’une histoire andalouse « comme patrimoine matériel (et immatériel) particulièrement significatif de l’histoire de (notre) nation, qui aurait une charge […] symbolique et affective forte ».  Ce lieu de mémoire nourrit une littérature abondante concernant le dernier Prince de Séville. Certains auteurs sont fascinés par un personnage légendaire, dont ils finissent par faire le prototype de l’Andalou parfait, n’hésitant pas au passage à égratigner, voire à condamner (injustement) Youssef Ibn Tachfine (Reinhardt DOZY).  D’autres ne sont pas tendres avec Al Mo’Atamid, fustigeant sa vie licencieuse, son inconsistance, ses dérives et ses atermoiements politiques, sa cruauté ; n’oubliant pas de mythifier Youssef Ibn Tachfine, pour avoir défait l’ennemi et annexé l’Andalousie en en faisant un prolongement de son empire marocain.

Tout dans cette mémoire ravivée par ce lieu de savoir les éloigne. Mais leur courage les rapproche. La victoire de Zallaqa est aussi bien celle de Youssef Ibn Tachfine que celle d’Al Mo’Atamid. Celui-ci a su déjouer la ruse d’Alphonse VI, qui dans sa perfidie a décidé d’attaquer l’armée musulmane, un vendredi, un jour autre que celui convenu pour la confrontation qui était le lundi. Pressentant cette fourberie, Al Mo’Atamid combattit avec bravoure et constance, en attente de l’arrivée salvatrice de Youssef Ibn Tachfine.  Blessé, il résista avec fermeté, permettant aux combattants de l’Islam de contourner les armées ennemies et de remporter une victoire retentissante et décisive.

C’est ainsi, que des chroniqueurs le considèrent au même titre que Youssef Ibn Tachfine, héros de cette bataille.  ابن حافــان écrit: 

 "وثبت المعتمد في ذلك اليوم تباتا عظيما وأصابه عدة جراحات في وجهه وبدنه وشهد له بالشجاعة" 

Dans son œuvre الــمعـجـب, Abdelkader Al Morakuchi précise à son tour : 

"فـلما كان يوم الجمعة تأهب المسلمون لصلاة الجمعة ولا أمارة عندهم بالحزم فركب هو وأصحابه شاكي السلاح وقال للأمير المسلمين... هذا اليوم تطيب نفسي فيه وها أنا ورائكم"                                                                       

Ainsi donc le lundi était le jour convenu d’un commun accord entre les deux armées pour la bataille (comme c’était la tradition à l’époque). Al Mo’Atamid, familier des tromperies d’Alphonse VI, était persuadé qu’il n’allait pas le respecter et profiter du jour sacré, pour surprendre les musulmans dans leurs prières.   

La victoire de Zallaqa allait freiner l’avancée des armées chrétiennes pour quatre siècles.