chroniques
L’insaisissable ‘’Ahmed Al - Alj Al - Inglizi ‘’ ou la biographie impossible (1ère partie) – Par Abdejlil Lahjomri
La plus ancienne mosquée de la capitale du Royaume ‘’ Al-masjid Al Atiq ‘’( المسجد العتيق )
‘’Ahmed Al Alj Al Inglizi ‘’. Pareil nom, surtout s’il est gravé sur une plaque commémorative d’une mosquée, sur la même ligne qu’un Souverain qui a régné au 18ème siècle ne peut qu’éveiller la curiosité. Rapportée à Abdejlil Lahjomri, la curiosité devient une enquête dans les livres et les archives de l’histoire. Mais derrière l’enquête se dissimule une réflexion sur le cours des choses pour inviter, par exemple à s’intéresser à l’anthropologique au lieu de s’investir dans l’histoire événementielle. Tout en douceur, tout en filigrane, sans rien sacrifier du suspens, c’est en partie l’histoire du Maroc que le Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume interroge dans cette nouvelle série de chroniques.
Quand mon ami Naïm Kamal, souvent intrigué dans ses promenades par tout ce qui reste encore de mystérieux dans la ville de Rabat m’a demandé qui était ‘’Ahmed Al Alj Al Inglizi ‘’ dont le nom figure sur la plaque commémorative de la plus ancienne mosquée de la capitale du Royaume ‘’ Al-masjid Al Atiq ‘’( المسجد العتيق), discrète mosquée almohade dans le quartier des Oudayas, j’étais convaincu que des recherches rapides et fructueuses allaient facilement me permettre de satisfaire sa curiosité légitime. De plus j’étais persuadé que je rencontrerai plus de difficultés à identifier qui était ‘’Belmaati’’ dont le nom signe cette plaque que de faire la biographie d’un des plus fameux collaborateurs du sultan Sidi Mohammed Benabdellah, accélérateur de modernité dans l’histoire du Maroc contemporain.
Je me suis très vite rendu compte que j’étais un peu présomptueux, qu’il me fallait faire preuve de beaucoup de modestie devant les secrets qui peuplent l’histoire des nations et que nous avons avec ce familier des sultans, renégat, corsaire et bâtisseur un personnage insaisissable dont la biographie allait s’avérer impossible. Une espèce de fantôme en quelque sorte. Tous les historiens qui parlent de lui à propos de Rabat et d’Essaouira utilisent le qualificatif de ‘’fameux’’. Pourtant on ne sait rien de lui. En saurions nous davantage si des chercheurs, disposant de nouveaux documents grâce à la récente activité d’archivage dynamique qui se déploie devant nous, s’intéressaient plus à l’histoire anthropologique au lieu de s’investir dans l’histoire événementielle ? Ce qui éclairerait des pans encore inconnus de l’histoire d’une nation plurielle. Son nom est écrit de diverses manières et nous n’avons aucun portrait de lui. Douaif الضُّعَيِّف, l’historien de Rabat, dit qu’il jouissait d’une grande influence auprès du sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah. Deux évènements le prouvent. C’est à lui, un renégat, qu'a été confié le réajustement de la QUIBLA dans la mosquée almohade des Oudayas et c’est le seul des serviteurs de ce sultan, dont le patronyme allait figurer auprès de l’Auguste nom de son maitre sur une inscription dans le médaillon de la ‘’Porte de la Marine’’ à Essaouira.
On sait, qu’en dehors de la tradition architecturale ottomane, les noms des ‘’architectes’’, ‘’ingénieurs’’, ‘’maçons’’, ‘’ouvriers’’, ‘’maalem’’ qui avaient contribué à la construction des splendeurs monumentales de l’art islamique sont rarement conservés, rarement inscrits dans les chefs-d’œuvre édifiés. On ne saura peut-être jamais pourquoi la Tour Hassan porte ce nom-là, ni qui a bâti la Koutoubia, ni la Giralda. Aucune trace dans les manuscrits. Aucune trace épigraphique.
Mais on sait, grâce à cette curieuse inscription, qui a construit la ‘’Porte de la Marine’’ à Essaouira ! Privilège inouï !
Mes maigres connaissances en épigraphie ne m’autorisent pas à affirmer que nous avons là un cas unique d’inscription où sont gravés le nom d’un illustre souverain suivi de celui d’un de ses serviteurs, célèbre fut-il. Quand on sait qu’une telle inscription ne pouvait être ainsi calligraphiée qu’avec l’autorisation, l’aval et la bénédiction du sultan, on en déduit qu’en effet l’influence de ce serviteur devait être immense.
Dès lors, comment se fait-il qu’il soit impossible d’écrire sa biographie, de conter sa vie qui a dû être tumultueuse. Il commença par être corsaire à Salé, renégat et bâtisseur à Rabat et à Essaouira auprès d’un sultan dont le règne fut un grand règne d’unification et d’édification ?
L’enquête poursuivie allait toutefois devenir complexe et déconcertante quand dans les livres d’ histoire comme chez ‘’Abou Kacem Azzayani’’ (أبو القاسم الزياني )on apprend que My Abdellah, fils de My Ismaël, père de Sidi Mohamed Ben Abdellah, six fois détrôné, six fois réinvesti, allait terminer la construction de la grande porte de Meknès qui a comme nom le nom de Bab Mansour Al Alj en la confiant à un certain architecte qui aurait accompli cette tâche et qui s’appellerait Ahmed Al Alj. Il semblerait de plus que ce personnage ait vécu sous le règne de My Ismaël comme son contemporain Thomas Pellow, qui, lui, a, heureusement pour les historiens, écrit le récit de sa captivité. Lahcen Daaif (qui n’a rien à voir avec Douaif الضُّعَيِّف, l’historien de Rabat), chercheur au Cnrs -France) auteur qui réalisé une belle étude sur la merveilleuse porte Bab Mansour al- Ilğ (c’est ainsi qu’il écrit son nom) affirme : ‘’Cependant, nulle information ne nous est parvenue sur le nom de cette porte, Bab Mansour al - Ilğ, qui lui viendrait de son architecte. Il s’agirait d’un chrétien, vraisemblablement d’origine espagnole, converti à l’Islam, d’où l’épithète Ilğ, « renégat », qui se serait donné le nom de Al Mansour (le Victorieux).’’ Dans la relation de voyage du danois Georg Host, qui a bénéficié de la confiance de Sidi Mohammed Ben Abdellah, on trouve cette indication ‘’ […] à quoi Mohamed fit répondre en espagnol par le renégat Mansor […]’’. Serait-ce le même Mansour qui aurait réalisé l’étonnante porte de Meknès, esclave que Sidi Mohamed Ben Abdellah aurait hérité de son père comme serviteur ? Il aurait, si l’hypothèse s’avérait juste, servi trois rois : My Ismaël, son fils My Abdellah, et son petit-fils Sidi Mohamed Ben Abdellah. Ce qui de expliquerait la grande affection que ce dernier lui témoignait. Mais pourquoi donc l’historienne Bilmuqaddam Ruqayya affirme- elle, elle, dans son article sur cette porte meknassie dans le volume 21 de ‘’Maalamat al Maghrib ’’ ( معلمة المغرب) que cet ingénieur s’appelait en fait Ahmed Al Inglizi, surnommé Ahmed Al Alj ? Y aurait- il alors deux Ahmed Al Alj, l’un espagnol, l’autre anglais qui s’appelleraient tous les deux Mansour, qui tous deux furent, renégats et bâtisseurs et qui tous deux auraient servis My Ismaël, My Abdellah, et Sidi Mohamed Ben Abdellah et auraient eu une place enviable auprès de ce dernier ? (À suivre)