Culture
REFLEXIONS SUR LA QUESTION RELIGIEUSE : 2/2 - LE PROPHETE DE L’ISLAM ‘’PORTEUR DES MESSAGES AUTHENTIQUES’’ ? – Par Mohamed Chraibi
Pourquoi les intellectuels musulmans et notamment ceux maîtrisant les méthodes des sciences humaines n’ont pas contribué, ou si peu, aux recherches historico-critique des textes sacrés ?
Le prophète de l’Islam porte le nom de Muhammad (qui n’est vraisemblablement pas son nom de naissance (1) pas plus que Jésus ne fût celui du Christ ni Israël celui de Jacob). L’acte fondateur a été la Hijra (exil du prophète et de quelques compagnons de la Mecque à Médine en 622, ce qui n’est pas sans rappeler que l’acte fondateur du judaïsme qui est un retour d’exil). Le Livre est, comme on sait, le Coran.
Cependant, contrairement aux deux religions précédentes, ni l’historicité du prophète ni la Hijra ne font sérieusement débat, bien que les sources disponibles soient bien plus tardives que la Personne et sa geste. Par contre, la nature divine du Coran qui est à mon avis le véritable pilier de l’Islam (plus que les cinq rites habituellement mis en avant) fait débat comme expliqué ci-après : Le Coran qui reprend à son compte de nombreuses légendes des deux testaments, l’ancien et le nouveau (plus ou moins fidèlement (2) ainsi que quelques passages empruntés aux textes chrétiens d’Arabie et même, au moins, un décret de l’empereur byzantin Justinien (3) n’est divin que dans la mesure où les textes auxquels il fait ces emprunts le sont.
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L’Islam s’inscrit dans la lignée des deux religions qui l’ont précédé (bien que le monothéisme n’a probablement pas été proclamé par le prophète Muhammad que longtemps après le début de la révélation selon l’islamologue tunisien Hichem Djait). Le prophète de l’Islam se dit porteur des messages authentiques de Moise et Jésus que les prêtres de ces religions auraient déformés. Parmi les reproches adressés aux Juifs : la non reconnaissance de certains prophètes et même l’assassinat de l’un d’eux : Jésus. Et là surgit un questionnement : le Coran attribue aux Juifs le meurtre de Jésus, conformément à la tradition chrétienne, mais ne reconnaît ni sa crucifixion ni sa résurrection au contraire de son Ascension. Ce qui laisse perplexe. Autre motif de perplexité pour un esprit rationaliste : le Coran admet les circonstances de la conception de Jésus selon la tradition chrétienne (« et marie qui a protégé son sexe, Nous y avons insufflé Notre Esprit.... »(4), mais s’oppose avec véhémence au concept fondamental du christianisme : Jésus fils de Dieu.
L’islam héritier d’une longue tradition religieuse
L’islam est donc l’héritier d’une longue tradition religieuse qui remonte au judaïsme dont nous avons vu que le texte fondateur (la bible hébraïque) n’est rien d’autre qu’une compilation controversée de faits historiques édités par des générations de scribes entre le Xe siècle et probablement aussi récemment que le IIe siècle av.J-C. Cette affirmation est le résultat de « plus de deux siècles d’études attentives du texte hébreux de la bible et de l’exploration minutieuse des moindres recoins de la région entre le Nil et l’Euphrate… » (Finkelstein et Siberman déjà cités).
L’analyse historico-critique des textes sacrés à l’origine des trois religions abrahamiques a fortement influencé la manière de croire de la majorité des Juifs et des chrétiens. De son côté, le Coran a fait l’objet de nombreuses recherches historico-critiques menées (sur près de deux siècles également) par de brillants savants (principalement occidentaux) qui ont été synthétisées dans un opus récemment paru sous le titre de « le Coran des historiens » (Cerf 2019, 3 tomes). Mais celles-ci ne semblent avoir eu aucun effet sur la manière de croire des musulmans dans les pays arabes. Il y a de nombreux motifs à cela dont le principal est le faible niveau éducatif dans ces pays qui fait que seules d’infimes minorités ont accès aux publications de ce genre.
Le fait que ces recherches soient l’œuvre de non musulmans peut aussi être invoqué mais soulève d’abord la question de savoir pourquoi il en est ainsi : Pourquoi les intellectuels musulmans et notamment ceux maîtrisant les méthodes des sciences humaines n’ont pas contribué à ces recherches ? La réponse réside dans la censure exercée par l’establishment religieux tout puissant dans ces pays comme le montre le cas du penseur égyptien Khalafallah Muhammad Ahmad résumé ci-après:
Muhammad Ahmad Khalafallah, (1916-1991)
En 1947, l'Université du Caire a refusé sa thèse de doctorat intitulée « L'art narratif dans le Saint Coran » (al-Fann al-qasasi fi al-Qurʾan al-karim), car il suggérait que les textes sacrés sont allégoriques et qu'ils ne devraient pas être considérés comme quelque chose d’immuable mais comme une direction morale. Il a déclaré que l'on peut étudier le Coran d'un point de vue littéraire. En effet, le but du prophète Muhammed, écrit-il, est de convaincre. Pour ce faire, il utilise toutes les méthodes rhétoriques à sa disposition, qui comprennent des métaphores, des récits bibliques et pré islamiques. M. Khalafallah a été accusé de traiter le discours de Dieu comme s'il s'agissait d'un produit humain. Pourtant, il ne remet pas en question l'authenticité de la révélation. Il a été licencié de son poste d'enseignant. (Wikipedia en.)
On peut aussi citer le cas de Mahmud Mohammed Taha, ingénieur, activiste progressiste et pieux musulman, exécuté en 1985 par Numeiri (alors président du Soudan) pour son ouvrage« Ar-Risala at-taniya min al-islam » où il avance l'idée d’un Coran mecquois et un autre médinois aux contenus mal articulés l'un à l'autre. Et tant d'autres penseurs, tous pieux croyants, persécutés pour être partisans d'une lecture contextuelle du Coran.
Ce qui montre que l’analyse historico-critique du Coran n’est ni mue par ni ne vise l’incroyance. C’est non seulement le cas de Khafallah mais des penseurs cités dans « le Coran des historiens » qui affirme : « Pourtant, malgré la démonstration de l’appartenance du Coran aux traditions textuelles bibliques datant de l’antiquité tardive et malgré la perception profondément critique des sources musulmanes, ces chercheurs n’ont jamais sérieusement mis en doute l’idée que le Coran reflétait fidèlement la prédication de Muhammad » (tome 1, p.26).
Est-ce à dire que les musulmans devront continuer à pratiquer leur religion selon les canons édictés par les pouvoirs politico-religieux de leurs pays ? Si la réponse à cette question est très probablement positive, ce ne serait pas à déplorer pour deux raisons au moins. La première est qu’un Islam encadré par des institutions reconnues est préférable à celui des prêcheurs à la sauvette avec les conséquences tragiques des dernières années. La seconde est que ces institutions ne peuvent échapper à la nécessité de la « mise à niveau » du culte dont elles ont la charge comme semble le suggérer un récent article d'Orient XXI (25/9/23) intitulé « Islam : Mohammad ben Salman a pas prudents sur la réforme religieuse ». On peut y lire : « Nahdatal Ulama (5) défend le concept d’un islam socialement humaniste et politiquement pluraliste, qui approuve sans ambiguïté la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies (1948), mais aussi la séparation entre la mosquée et l’État. Le mouvement milite également, depuis longtemps, pour une réforme de la jurisprudence islamique, insistant sur le fait que les principes de la charia sont dépassés ou obsolètes.
…Ainsi, les initiatives du Nahdlatul Ulama créent un précédent pour Mohammed ben Salman (MBS)…L'adhésion potentielle du prince héritier à la réforme religieuse permettrait d’uniformiser les règles du jeu en matière de changement social….MBS a lancé plusieurs ballons d’essai dans ce sens…Ainsi, un site d’information saoudien a discrètement retiré un article affirmant que le Coran contenait quelque 2 500 fautes d’orthographe, de syntaxe et de grammaire…En 2022, le religieux controversé Saleh Al-Maghamsi…Considéré comme un proche du roi Salman Ben Abdel Aziz Al-Saoud, Al-Maghamsi fait valoir que les écoles juridiques existantes, contrairement au Coran, sont des constructions humaines qui peuvent être réformées ».
(1) on pourrait aussi considérer Abraham comme le premier prophète du judaïsme et l’acte fondateur son départ de son Ur natale sur l’Euphrate pour le pays de Canaan, sur ordre de Dieu. Mais cela ne changerait rien
(2) Finkelstein et Siberman in « la Bible dévoilée » folio p.66
(3) encore accessible dans le site du magazine
(1) Hichem Djait, « la vie de Mohammad »
(2) notamment lorsque le Coran confond Maryam soeur d’Aaron (frère de Moise fils de Amran, dit Imrân dans le Coran) et Mryam mère de Jésus fille de Joachim.
(3) le Coran des historiens ...
(4) وَمَرْيَمَ ابْنَتَ عِمْرَانَ الَّتِي أَحْصَنَتْ فَرْجَهَا فَنَفَخْنَا فِيهِ مِن رُّوحِنَا (9:12
(5) Nahdatal ulama : organisation islamique indonésienne fondée en 1926. 95 millions d’adhérents en 2021.