économie
La couverture sociale universelle : un chantier du siècle
Au Maroc, seul un tiers de la population bénéficie de l’AMO (assurance maladie obligatoire)
La couverture sociale fait partie des trois grands chantiers annoncés par le dernier discours du Trône à savoir le chantier de la relance, celui de la couverture sociale et celui de la réforme du secteur public. Les trois se complètent et forment une totalité cohérente s’inscrivant dans une perspective progressiste et mettant en exergue le Maroc d’après, celui du développement économique, du progrès social et de la réduction des disparités.
Pour mieux comprendre la portée de la couverture sociale, il faut rappeler le contexte dans lequel ce chantier intervient, celui de la crise sanitaire que connait le pays suite à la pandémie covid-19, laquelle a dévoilé au grand jour les multiples précarités de notre tissu social et plus particulièrement les insuffisances de notre système de santé et du niveau extrêmement faible de notre couverture médicale et sociale. En effet, 15 ans après l’entrée en vigueur du code de couverture médicale en 2005, seul un tiers de la population bénéficie de l’AMO (assurance maladie obligatoire) tel qu’il est géré par la CNSS et la CMAM (ex-CNOPS), un deuxième tiers, composé de personnes pauvres et vulnérables, bénéficie de la carte RAMED dont on s’est rendu compte qu’elle ne sert pas à grand-chose et le troisième tiers, formé essentiellement de ce qu’on désigne par « indépendants », ne jouit d’aucune couverture. Par ailleurs, plus de trois quarts des personnes ayant atteint l’âge de la retraite, sont privées de toute pension, aussi faible soit-elle ! Rappelons que la moyenne des pensions servies par la CNSS pour les 570000 retraités ne dépasse pas 1600 DH par mois. Une telle situation est pour le moins inacceptable. Elle constitue une atteinte à la dignité de l’être humain et une violation d’un droit constitutionnel clairement énoncé puisque l’article 31 stipule que « L’Etat, les établissements publics et les collectivités territoriales œuvrent à la mobilisation de tous les moyens disponibles pour faciliter l’égal accès des citoyennes et des citoyens aux conditions leur permettant de jouir du droit aux soins de santé, à la protection sociale, à la couverture médicale et à la solidarité mutualiste ou organisée par l’Etat ».
Après le Discours Royal, les choses vont sûrement s’accélérer pour concrétiser le principe de la couverture sociale universelle et réaliser un rêve tant attendu par des millions de citoyennes et citoyens. Le calendrier est désormais bien ficelé. La couverture sociale sera généralisée en 2025, soit un délai de 5 ans en œuvrant, toutefois, en deux étapes : au cours le première phase (2021- 2023), il sera procédé à la généralisation de l’AMO et des AF (allocations familiales) ; au cours de la deuxième phase (2024- 2025), on généralisera la retraite à toutes les personnes et l’indemnité pour perte d’emploi à l’ensemble de la population active. Il s’agit en somme d’une véritable révolution qui ne dit pas son nom et dont on ne mesurera jamais assez l’impact réel et la portée véritable, à la fois sur les citoyens et sur le pays dans son ensemble. Le plus grand impact résidera, à notre avis, dans le renforcement de l’intégration économique et de l’inclusion sociale. Au terme de ce processus, le secteur dit informel sera entièrement intégré dans l’économie nationale. On parlera plus de secteur traditionnel que de secteur informel.
Il va sans dire que la mise en œuvre pose de multiples défis relatifs au financement, à l’organisation, à la gouvernance… Beaucoup de travaux préparatoires ont été déjà réalisés avec les différents scénarii pour assurer la viabilité du système. A titre d’exemple, au sein de la population non salariée, qui est concernée en premier lieu par cette généralisation et dénommée « catégories des professionnels, des travailleurs indépendants et des personnes non salariées exerçant une activité libérale », on distingue 44 catégories et des centaines de sous-catégories. Chacune de ces catégories, voire de sous-catégories, représente ses propres caractéristiques tant au niveau de l’organisation qu’en matière de solvabilité. Par conséquent, il faut trouver le moyen approprié pour agréger l’ensemble de ces catégories dans un système de couverture sociale qui soit fiable et équitable, du moins dans sa composante AMO.
Par ailleurs, l’Etat doit mobiliser les moyens financiers nécessaires pour soutenir le système. Ce dernier, faut-il le préciser, n’est pas en mesure d’assurer son équilibre eu égard justement à l’importance de la population démunie dont les capacités de cotisation sont quasiment nulles. Le principe de répartition basé sur la solidarité entre les différentes couches sociales ne résistera pas longtemps aux pressions quotidiennes et aux besoins exprimés par la société.
Outre ces contraintes financières de taille, la mise en œuvre de la couverture sociale généralisée appelle des réformes institutionnelles d’importance à commencer par la remise à plat du cadre juridique et réglementaire, la réforme du système de gouvernance de tout le système de couverture sociale, la mise à niveau et le renforcement des structures sanitaires…
Les problèmes de la santé, on l’a vu avec la pandémie coronavirus, sont intimement liés aux problèmes sociétaux. Disposer d’une bonne santé ne dépend pas forcément de la quantité des médicaments qu’on consomme. La santé est liée à l’environnement, au niveau d’éducation, aux conditions de travail et de logement, à la qualité de l’alimentation voire à la qualité de la vie d’une façon générale. D’ailleurs, on parle de plus en plus de « One Healht » (une seule santé) qui inclut à la fois la santé humaine, la santé animale et la santé environnementale eu égard aux multiples interactions entre ces trois dimensions.