Espagne: Carles Puigdemont, le possible faiseur de rois qu’on n'attendait pas

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L'ancien dirigeant catalan en exil et eurodéputé Carles Puigdemont arrive pour une conférence de presse après que la Cour européenne a confirmé la levée de l'immunité des eurodéputés catalans au Parlement européen à Bruxelles, le 5 juillet 2023. Le Premier ministre Pedro Sanchez, qui conserve une chance de rester au pouvoir, a besoin du soutien du parti séparatiste catalan de Carles Puigdemont, (Ensemble pour la Catalogne), pour atteindre la majorité. (Photo Kenzo TRIBOUILLARD / AFP)

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La plupart des instituts de sondage voyaient le parti d'extrême droite Vox dans ce rôle. Mais c'est finalement l'indépendantiste catalan Carles Puigdemont qui pourrait être un faiseur de rois inattendu après le résultat surprise des législatives espagnoles de dimanche.

Arrivé en tête de ce scrutin, le Parti Populaire (PP, droite) revendique de pouvoir gouverner, mais sans majorité absolue ou même relative avec Vox pour seul allié potentiel, cela s'apparente au vœu pieux.

Cela ouvre surtout la porte à une éventuelle reconduction au pouvoir du Premier ministre socialiste sortant Pedro Sánchez et de ses alliés de gauche radicale de Sumar s'ils parviennent à obtenir le soutien de plusieurs partis nationalistes ou indépendantistes basques, catalans et galicien, qui les soutiennent déjà régulièrement au Parlement.

Dans ce scénario, l'abstention de Junts per Catalunya (JxCat), la formation de Carles Puigdemont, qui dispose de 7 députés, est toutefois absolument indispensable pour que M. Sánchez puisse être de nouveau investi par le Parlement.

Sumar a annoncé lundi avoir chargé l'un de ses responsables en Catalogne d'entamer les discussions avec Junts afin "d'explorer toutes les voies possibles vers un accord" en vue de reconduire la coalition de gauche au pouvoir.

M. Puigdemont, principale figure de la tentative de sécession de la Catalogne en 2017, qui vit depuis en exil en Belgique pour échapper aux poursuites de la justice espagnole, a ironisé lui-même sur son possible rôle de faiseur de roi.

"Un jour, vous êtes décisif pour former un gouvernement espagnol, le lendemain, l'Espagne ordonne votre arrestation", a-t-il dit sur Twitter, en référence à la demande lundi du parquet espagnol de réactiver le mandat d'arrêt à son encontre après le rejet récent de son recours par la justice européenne.

Formation prônant la rupture avec Madrid, JxCat a prôné ces dernières années une opposition systématique au gouvernement Sánchez, contrairement à l'autre grand parti indépendantiste, ERC, qui a été l'un de ses soutiens réguliers. Junts avait, par exemple voté contre l'investiture du dirigeant socialiste en janvier 2020, après avoir permis son arrivée au pouvoir en 2018.

Des revendications "inconcevables" 

Dès dimanche soir, ses dirigeants ont clairement laissé entendre qu'ils ne permettraient pas une reconduction au pouvoir de M. Sánchez sans contreparties.

"Nous ne ferons pas de Pedro Sánchez le président (du gouvernement) en échange de rien. Notre priorité est la Catalogne, pas le fait que l'Espagne ait un gouvernement. Nous ne bougerons pas d'un millimètre", a dit sa cheffe de file pour les législatives, Miriam Nogueras.

Les demandes de Junts sont les mêmes depuis des années: un référendum d'autodétermination en Catalogne et l'amnistie des indépendantistes encore poursuivis par la justice espagnole, comme M. Puigdemont.

L'organisation d'un tel référendum en 2017 par le gouvernement régional de M. Puigdemont, malgré son interdiction par la justice, avait provoqué l'une des pires crises politiques de l'Espagne depuis des décennies.

Si M. Sánchez a gracié en 2021 certains dirigeants de Junts condamnés à la prison, il n'accédera jamais à ces deux revendications, qui sont de surcroît contraires à la Constitution, estiment les analystes.

"Il est totalement inconcevable qu'un gouvernement espagnol puisse accepter ces conditions", insiste Ana Sofía Cardenal, professeure de sciences politiques à l'Université ouverte de Catalogne. Et Junts "le sait, mais ils iront jusqu'au bout".

Calculs 

Tout dépendra donc des calculs politiques de la formation.

"La question que se pose actuellement Junts est relative aux conséquences électorales pour la formation si elle est responsable de la convocation de nouvelles élections", estime Oriol Bartomeus, politologue de l'Université autonome de Barcelone.

"Si la réponse est oui" à un nouveau scrutin, car Junts jugerait qu'il lui permettrait de "couler ERC", son grand rival en Catalogne, qui a vu son nombre de députés passer de 13 à 7, alors ils ne feront rien pour Pedro Sánchez, poursuit le chercheur.

"C'est un peu l'ironie du sort", souligne Ana Sofía Cardenal.

"De nombreux électeurs du Parti socialiste ont basculé à droite en raison de la question catalane", les concessions de Pedro Sánchez aux indépendantistes, comme la grâce de 2021, ayant fait grincer des dents jusque dans son parti, et "maintenant (Puigdemont) se retrouve au centre du jeu politique pour doter l'Espagne d'un gouvernement". (AFP)