France-Algérie : Jusqu’où irait la nouvelle idylle ? - Par Bilal TALIDI

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Le président français Emmanuel Macron (à droite) et le président algérien Abdelmadjid Tebboune (à gauche) se quittent à l'issue d'une conférence de presse conjointe au palais présidentiel à Alger, le 25 août 2022..(Photo de Ludovic MARIN / AFP)

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La visite du président français Emmanuel Macron à Alger pose la question de l’avenir des relations franco-algériennes et la portée de leur dégel. Elle consiste à savoir si réellement elle va marquer l’amorce d’une entente stratégique entre les deux pays, avec à la clé le retour des investissements français en Algérie et l’élaboration d’une vision commune sur les dossiers conflictuels entre les deux parties.

La réponse passe nécessairement par ce qu’attend l’Algérie de la France et ce que Paris cherche en retour à Alger.  Elle devrait aussi cerner les perspectives et les limites de leurs aspirations communes ainsi que des défis qu’elles impliquent dans un contexte régional considérablement empreint de tension et de méfiance ?

Le prisme marocain

Avant cette visite, Macron avait appelé à une réunion quadripartite entre l’Espagne, le Maroc et l’Algérie où la France tiendrait le beau rôle de médiateur. Le président français espérait ainsi arriver à des ententes minimales de manière à assurer les approvisionnements énergétiques algériens vers l’Hexagone, restaurer les relations entre Paris et Alger et prévenir que les relations franco-marocaines ne basculent de la tiédeur à la tension ouverte.

La réponse du Roi Mohammed VI n’a pas tardé. Dans le discours de la Révolution du Roi et du peuple, le Souverain a solennellement souligné que «le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit».  En clair, les alliés du Maroc, particulièrement ses partenaires traditionnels, sous-entendu la France en tête, sont pressement invités à sortir de la zone d’ambiguïté et d’ambivalence vers une clarté sans équivoque. Pour bien appuyer sa détermination, le Souverain a précisé que le Royaume ne s’engagera dans aucun partenariat stratégique avec un allié qui rechigne à quitter la zone d’ambiguïté sur la question du Sahara.

Le prisme algérien

Les rapports de la France avec l’Espagne et le Maroc passent actuellement par une phase compliquée. S’apprêtant à un hiver difficile à cause de la crise des approvisionnements énergétiques, la France tente de louvoyer et appréhende, avec prudence, la détérioration de ses rapports avec le Maroc. Car, Paris doit avoir bien interprété la teneur du discours royal et pris la mesure des options auxquelles le Maroc avait eu recours dans la gestion de ses tensions avec l’Espagne et l’Allemagne auparavant.

L’Algérie passe également par une période difficile en raison de ses relations tendues avec l’Espagne et du désaveu euro-américain de son rôle dans l’extension de l’influence russe dans la région, bien qu’elle puisse se prévaloir d’une manne financière conséquente, dopée par la hausse des cours des hydrocarbures et la demande croissante de l’Europe sur ses produits énergétiques.

L’Algérie continue de percevoir ses relations avec la France à travers un prisme dominé pour moitié par les questions mémorielles, le reste étant fortement lié à des questions régionales en rapport avec l’affaire du Sahara, sa confrontation avec le Maroc et les dossiers malien et libyen.

Une marge de manœuvre étroite

En Algérie la France cherche à assurer ses approvisionnements en produits énergétiques, le renforcement de ses intérêts économiques et commerciaux et la consolidation de son influence linguistique et culturelle pour éviter que l’Algérie n’abolisse la langue française de son système éducatif. Au plan régional, Paris cherche à résorber les divergences sur le Mali où les deux pays se livrent à un jeu trouble.

Les deux dirigeants vont se fendre en déclarations sur leur volonté commune de bâtir des relations solides pour l’avenir. Travailler en commun sur la mémoire. Mais concrètement, il n’est pas aisé pour les deux pays de parvenir à une entente sur tous les dossiers dans un contexte régional sous haute tension. Paris ne peut se permettre de rompre le fragile équilibre stratégique de ses rapports avec le Maroc et l’Algérie, pas plus qu’elle ne saurait sortir de l’axe euro-américain consistant à circonscrire l’influence russe en Afrique du Nord et de l’Ouest.

En face, la politique extérieure algérienne a les mains liées par une série de contraintes et ne pourrait, du fait de sa sujétion à l’axe russe, faire faux bond à la Russie dans son conflit avec l’Europe et encore moins de poignarder Moscou dans le dos dans le traitement des dossiers libyen et malien.

Les options dont dispose la France, compte tenu de l’environnement régional et précisément de son rapport avec le Maroc, sont donc fort limitées, car tout investissement politique et stratégique excessif dans la relation avec l’Algérie équivaut à la perte d’un allié stratégique qui a en main d’importantes cartes à jouer.

Tout ou presque, sauf des excuses

Selon toute vraisemblance, les tractations entre les deux parties buteront contre l’énorme difficulté que représente la divergence de leurs points de vue sur les questions régionales, et plus particulièrement la question du Sahara et les dossiers libyen et malien. Il est probable que la France ferme momentanément l’œil sur le rôle que joue l’Algérie dans l’extension de l’influence russe et infléchir sa position sur la question de la mémoire en contrepartie de l’approvisionnement énergétique, de la sauvegarde de ses intérêts économiques et commerciaux et de l’assurance que la langue anglaise ne supplanterait pas le français dans son système éducatif.

La France ne connaît que trop la sensibilité du dossier de la mémoire, une question qui a constamment dominé les discussions entre les anciens présidents et les responsables algériens. Elle sait également que la partie algérienne cèderait à une profonde euphorie à chaque concession française sur ce sujet au point de prendre le dessus sur tous les autres dossiers. Il n’est donc pas improbable que la France soit tentée de faire davantage de concessions à ce niveau sans aller nécessairement jusqu’à présenter des excuses. En revanche, elle sera intransigeante sur trois points : le flux des approvisionnements énergétiques, la préservation de ses intérêts économiques et commerciaux et le maintien de l’influence linguistique et culturelle française en Algérie.

Les limites techniques de l’approvisionnement

Reste que l’acheminement des produits énergétiques vers la France achoppe sur un problème technique. L’Algérie est en effet liée à l’Europe par trois gazoducs (deux vers l’Espagne et un vers l’Italie). Techniquement, la liaison la plus proche vers la France passe par le royaume ibérique, d’où l’énergie que déploie la France pour mettre en place, avant l’arrivée de l’hiver, un gazoduc devant la ravitailler via l’Espagne sur une longueur de 800 km.

Une volonté qui se heurte toutefois à un écueil et pas des moindres : l’Algérie a décidé, l’année dernière, de suspendre le gazoduc Maghreb-Europe et de ne maintenir que le pipeline «Medgaz» pour acheminer le gaz à l’Espagne. Un écueil qui ne manquera pas de resurgir en cas d’entente entre la France, l’Espagne et l’Algérie sur l’acheminement du gaz à l’Hexagone. Le gazoduc Maghreb-Europe refera donc forcément surface, sachant que les Espagnols sont excédés par l’incapacité de l’Algérie à assurer le flux régulier du gaz, en raison de la capacité limitée de Medgaz et le besoin récurrent de sa maintenance. De là à exiger de ce pipeline l’approvisionnement et de l’Espagne et de la France, il y a bien plus que des difficultés techniques à surmonter !

La reprise voire le renforcement des investissements français en Algérie, ne sont pas non plus des plus aisés. Paris, malgré l’intérêt manifeste de la partie algérienne, sait que le grand obstacle devant la stabilité, voire l’élargissement des investissements, tient au fait que les dirigeants algériens s’agrippent à une vision archaïque de l’économie peu incitative à l’engagement.

L’ombre du Sahara encore et toujours

Entre la portée des aspirations potentielles et le poids des contraintes, la relation franco-algérienne restera limitée dans un contexte où Paris comme Alger considèrent chacun de son coté, sans le dire, que la visite de trois jours du chef de l’Etat français est en soi un présent à un régime qui s’échine à redorer son blason aussi bien au plan intérieur qu’extérieur. Les concessions françaises à l’Algérie resteront réduite aux questions de la mémoire déjà ramenées par Emanuel Macron à une histoire de ‘’rente méorielle’’ en contrepartie de l’approvisionnement en produits énergétiques. Tout dépassement de ces limites qui se rapporterait à la question du Sahara se répercuterait inéluctablement sur les relations franco-marocaines qui entreraient alors dans un tunnel sombre pouvant pousser le Maroc à faire usage de ses multiples cartes, à l’instar de ce qu’il a fait avec l’Espagne et l’Allemagne avant que ces deux pays ne changent leur position au sujet du Sahara.

La France, en dépit de ses velléités ne cherchera certainement pas à rééditer l’expérience de tension avec le Maroc, car elle doit avoir parfaitement retenu les leçons de la tension des relations qui avait marqué la mandat de François hollande et de la propension hexagonale déplacée à avoir une posture tutélaire consistant à considérer le Maroc à tort comme un satellite, docile et dépendant de la politique française en Afrique de l’Ouest.