FRANCE CRISE POLITIQUE OU DE RÉGIME ? Par Mustapha SEHIMI

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Le président français Emmanuel Macron (centre gauche) salue dans la voiture de commandement avec le chef d'état-major des armées (CEMA), Thierry Burkhard lors du défilé militaire du 14 juillet sur l'avenue Foch, avec l'Arc de Triomphe en arrière-plan à Paris le 14 juillet 2024. (Photo de Ludovic MARIN / POOL / AFP)

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Le 9 juillet courant, le président Macron a prononcé la dissolution de l'Assemblée nationale. Il a précisé qu'il souhaitait une "clarification" du paysage politique. Or, à la suite des scrutins du 30 juin et du 7 juillet ont émergé trois "blocs" (Nouveau Front Populaire, Ensemble, Rassemblement National) dont aucun ne dispose de la majorité absolue de 289 membres dans une Chambre qui en compte 577 au total. 

Le mardi 16 juillet, le gouvernement en place a démissionné. Le Premier ministre, Gabriel Attal, a été chargé d'assurer la continuité de l'État " et d'assurer" l'expédition des affaires courantes notamment à l'occasion des Jeux Olympiques "Paris 24 du 26 juillet au 11 août". De quoi soulever de multiples questions constitutionnelles et politiques. 

Il vaut de rappeler pour commencer que l'exercice de ce droit de dissolution a toujours été une prérogative du chef de l'État. Ainsi avec l'article 12 de l'actuelle Constitution de 1958, le Président de la République -sans le contreseing du Premier ministre et de ministres chargés de l'exécution de cette décision - est seul maître de la dissolution. Les cinq premières dissolutions (9 octobre 1962, 30 mai 1968, 22 mai 1981 et 14 mai 1988, enfin 21 avril 1977) témoignent bien de ce fait : le Président décide seul. Il doit seulement consulter le Premier ministre et les présidents des deux assemblées parlementaires. A noter au passage que seule celle de 1968 fut imposée par le Premier ministre, Georges Pompidou, au général de Gaulle et ce pour sortir de la crise de mai. C'est donc un acte totalement discrétionnaire du président de la République, ni le Conseil constitutionnel ni le Conseil d'État ne sont compétents pour apprécier le décret de dissolution.

Stabilité précaire

Cela dit, les résultats électoraux des 30 juin et 7 juillet permettent-ils d'espérer un gouvernement stable ? En 1997, Jacques Chirac a perdu la majorité et le socialiste Lionel Jospin a été appelé à diriger le gouvernement avec une majorité absolue (339 sièges à la gauche unie dont 250 pour le parti socialiste). Ce sera la plus longue période de cohabitation (1997-2002). La dissolution du 9 juin dernier a conduit à un nouvel échec politique, aux conséquences imprévisibles. La stabilité des gouvernements, grand acquis de la Vème République, déjà mise à mal depuis 2008 et 2017 se voit accentuée plus encore depuis 2024 avec la majorité relative depuis deux ans. A la différence des cinq dissolutions précédentes, le résultat aujourd'hui ne dégage pas une majorité et une opposition mais une tripartition: le Rassemblement national (RN) et ses alliés (143), un bloc central Ensemble (156) avec 60. Les Républicains (LR) de 60 élus et un Nouveau Front Populaire (174) une coalition de la France insoumise, du parti socialiste, des écologistes et des communistes. En toute hypothèse, voilà une mouvance éventuelle, composite mais contrainte faute de quoi ce sera l'impossibilité de composer un gouvernement, à la merci d'un vote uni des oppositions. Comment expliquer cette situation ? Les évolutions des trois blocs ont été passablement chaotiques. Elles se sont en effet effectuées grâce au mode de scrutin et par la réduction du nombre de triangulaires ou de quadrangulaires ramenées de 311 au soir du 30 juin à 91 au second tour le 7 juillet. Des alliances parfois contre nature ont pesé dans ce sens ainsi que le manque d'homogénéité de la gauche et du centre. Le gouvernement doit être le reflet imparfait de cette configuration imparfaite. Sauf en période de cohabitation, le Président dispose d'un choix de Premier ministre qui ne lui est pas dicté par un parti ou un groupe politique. Or la configuration actuelle n'impose aucun choix clair. La composition du gouvernement se construit "contre " les extrêmes plutôt que sur pacte politique ou un socle idéologique partagé. La stabilité de la future coalition est donc des plus précaires.

Les 17 membres du gouvernement démissionnaire vont voter jeudi 18 juillet à l‘Assemblée nationale. C'est que l'étroitesse des majorités impose cette contrainte : celle de ne pas pouvoir se passer de leurs votes pour la Présidence de l'Assemblée nationale et les autres postes. Autre interrogation : les membres du gouvernement peuvent-ils être élus Président de commission, questeur, secrétaires du Bureau ou encore à d'autres fonctions ? La réponse est positive. Mais combien de temps peut durer un gouvernement transitoire chargé d'expédier les affaires courantes? Il n'y a pas de limite. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas d'organisation constitutionnelle de l'intérim d'un gouvernement, ni de définition de la notion d'affaires courantes-elle est une notion de droit administratif reconnue par la jurisprudence (CE, 4 avril 1952, No 8615, et 19 octobre 1962). Les fonctions d'un ministre cessent à compter de la nomination de son successeur. La notion ne porte ainsi que sur les limités temporelles d'une compétence, en cas de démission de l'autorité en cause. Dans sa lettre aux Français, le président Macron indique vouloir "laisser un peu de temps aux forces politiques pour bâtir ces compromis avec sérénité et respect de chacun. D'ici là, le Gouvernement actuel continuera d'exercer ses responsabilités puis sera en charge des affaires courantes, comme le veut la tradition républicaine". Mais il n'y a aucun délai fixé par une telle "tradition", comme il en existe pour le cas de la vacance du mandat présidentiel.

Risques de blocage

L'Assemblée nationale qui se réunit de plein droit le 18 juillet n'est pas convoquée par décret présidentiel. C'est une session de 15 jours prévue par les dispositions de l'article 12 de la Constitution. Le 19 juillet, les députés désigneront les membres du Bureau (six vice-présidents, trois questeurs et 12 secrétaires). Cela se fait en principe par consensus entre les groupes, au prorata des effectifs, selon une règle de répartition arithmétique. Le 20 juillet, les groupes répartiront leurs membres entre les huit commissions permanentes, à la représentation proportionnelle. Le président de chaque commission, et son bureau, seront ensuite élus par les commissaires. Un débat ressurgit : Les oppositions peuvent-elles alors déposer une motion de censure de ce gouvernement démissionnaire ? Une procédure - ou plutôt une arme -qui n'est pas à écarter ; elle est possible dès lors que l'Assemblée siège. En application de l'article 51 de la Constitution, la date de clôture de la session de plein droit est en principe le 2 août si l'on fait le décompte en jours calendaires ; elle serait même retardée jusqu'au 4 août pour permettre le débat et le vote d'une éventuelle motion de censure.

La situation est inédite. Elle marque une rupture avec la pratique institutionnelle de la Vème République. Une dissolution de l'Assemblée nationale ne peut se faire avant un délai d'un an, soit le 9 juillet 2025. Les risques de blocage sont réels. Des compromis politiques sont difficiles à trouver dans la mesure où il convient de rassembler les opposants d'hier, parfois alliés provisoirement ou par défaut lors du second tour. L'excessive concentration des pouvoirs entre les mains du Président sera partagée avec le basculement qui vient de se faire au profit du rehaussement de l'Assemblée nationale. La crise politique actuelle déclenchée par le Président peut perdurer, s'aggraver même et risquer de déboucher sur une crise de régime...