Noor Ouarzazate III : après bien des frayeurs, le fleuron solaire marocain redémarre après une panne technique majeure

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La centrale Noor Ouarzazate III, mise en service en 2018, repose sur une technologie de concentration solaire (CSP) de pointe. Mais cette technologie avancée a aussi révélé sa vulnérabilité

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Après plus d’un an d’arrêt, la centrale solaire Noor Ouarzazate III a repris du service en avril 2025. Symbole de l’ambition énergétique du Maroc, l’installation avait été mise à l’arrêt en 2024 en raison d’un dysfonctionnement complexe sur son système de stockage thermique. Retour sur les enjeux techniques, industriels et stratégiques de ce redémarrage après une panne mal vécue.

Un arrêt technique révélateur de la complexité de la technologie CSP

La centrale Noor Ouarzazate III, mise en service en 2018, repose sur une technologie de concentration solaire (CSP) de pointe : des milliers de miroirs héliostats concentrent l’énergie solaire vers une tour centrale. Cette dernière contient des sels fondus chauffés à très haute température – jusqu’à 565°C – pour stocker l’énergie et produire de l’électricité même sans rayonnement solaire.

Mais cette technologie avancée a aussi révélé sa vulnérabilité. En février 2024, une fuite a été détectée dans le réservoir de sels fondus chauds, un composant critique de la chaîne de production. Cette fuite, provoquée par des sollicitations thermomécaniques extrêmes, a mis en évidence les limites de durabilité de certains équipements exposés à des variations brutales de température.

A Rabat, cette panne est mal vécue à un moment où le Maroc figurait dans le peloton de tête du renouvelable. Le choix même de la technologie, son coût et sa production, sont remis en question à la limite de la suspicion, au mieux de l’incompétence. Ce qui est toutefois acquis selon des sources techniques proches du dossier, c’est la conception initiale du réservoir – datée de 2018 – qui n’avait pas anticipé pleinement les effets de la fatigue des matériaux sous contraintes thermiques répétées. Une surchauffe ponctuelle, combinée à une faiblesse structurelle localisée, pourrait avoir favorisé la fissuration de la cuve, entraînant la fuite. Ce qui a induit, entre autres, la remise en cause de la direction de MASEN

Mustapha Bakkoury, de la gloire au limogeage

Nommé par le Roi Mohammed VI directeur général en décembre 2009 , Mustapha Bakkoury, alors figure montante de la technocratie marocaine flirtant avec la politique – il a rejoint le Mouvement de Tous les Démocrate en 2007 et dirigé le PAM en 2012 - va diriger MASEN pendant près de 15 ans. Sous sa direction, l'agence a lancé des projets emblématiques tels que le complexe solaire Noor à Ouarzazate, positionnant le Maroc comme un leader régional dans le domaine des énergies renouvelables.

Cependant, sa gestion a été remise en question à partir de 2021. Il a été interdit de quitter le territoire marocain alors qu'il devait se rendre à l'Exposition universelle de Dubaï en tant que commissaire du pavillon marocain, sans qu'aucune raison officielle ne soit communiquée. En février 2023, il a été rapporté qu'il ne se rendait au siège de MASEN que pour expédier les affaires courantes. En mai 2024, il a été remplacé à la tête de l'agence par Tarik Moufaddal sans qu’on en sache plus sur ce qui ce limogeage.

Tarik Ameziane Moufaddal, un produit de l’école marocaine

Nommé PDG de MASEN en juin 2024, Tarik Ameziane Moufaddal, contrairement à son prédécesseur Ponts et Chaussées, est un ingénieur diplômé de l'École Mohammadia d'Ingénieurs, avec toutefois un master en management industriel de l'École des Mines de Paris. Il a ainsi occupé avant de rejoindre MASEN plusieurs postes de direction chez TotalEnergies, notamment en France, au Maroc et en Tanzanie. Sa nomination vise à renforcer la stratégie nationale en matière d'énergies renouvelables et à accélérer le développement de projets tels que l'hydrogène vert.

Une remise en service progressive et hautement sécurisée

La reprise de l’activité n’a pas été improvisée. Elle a nécessité, selon le communiqué de presse annonçant cette reprise, une mobilisation exceptionnelle des équipes de MASEN et de ses partenaires industriels, marocains et étrangers. L’intervention a été lourde techniquement : il a fallu vider, sécuriser, inspecter et réparer une installation opérant à des températures extrêmes. Le tout sans compromettre les standards de sécurité.

Une batterie de tests rigoureux, d’analyses de matériaux, de simulations thermodynamiques et de contrôles non destructifs a été mise en œuvre avant toute remise en pression du circuit de sels. Le redémarrage s’est effectué selon une procédure progressive et hautement surveillée.

« Cette remise en service est le fruit de la forte mobilisation de nos équipes sur le terrain », a notamment déclaré Tarik Ameziane Moufaddal, PDG de MASEN. « Elle reflète notre capacité à faire face à des situations complexes avec méthode et responsabilité, dans le respect des standards internationaux de performance et de durabilité. »

Une nouvelle conception pour renforcer la résilience

Fort des enseignements de cet incident, MASEN a lancé la construction d’un second réservoir basé sur une conception renforcée. Ce nouveau dispositif devrait permettre à l’avenir d’augmenter la redondance du système, en évitant les interruptions prolongées en cas de problème sur l’un des circuits.

Ce projet s’inscrit dans la stratégie nationale de transition énergétique, qui vise à porter la part des énergies renouvelables à plus de 52 % du mix électrique marocain d’ici 2030. Noor III est désormais de nouveau pleinement opérationnelle, contribuant à la production verte et à l’indépendance énergétique du Royaume.

Masen, moteur de la stratégie verte du Royaume

Créée en 2010, MASEN est en charge de piloter l’ensemble des projets d’énergies renouvelables au Maroc. Avec 4680 MW déjà en exploitation dans le solaire, l’éolien et l’hydraulique, le groupe est à la pointe des efforts du Royaume pour décarboner son économie.

Noor Ouarzazate, vitrine emblématique du potentiel solaire marocain, illustre à la fois les promesses et les défis des technologies vertes de nouvelle génération. L’épisode de 2024 rappelle que la transition énergétique implique non seulement des investissements ambitieux, mais aussi une gestion rigoureuse des risques industriels.

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