chroniques
GAZA: LE LIVRE NOIR - Par Mustapha SEHIMI
Agnès Levallois - Dès les premiers jours le général israélien Giora Eiland avait exposé dans le quotidien Yedot Aharonot, ce que devait être la réaction de l'État hébreu: " Israël n'a pas d'autre choix que de faire de Gaza un lieu où il sera temporairement ou définitivement impossible de vivre"
Voici un livre d'actualité, publié il y a quelques semaines seulement: "Le Livre noir de Gaza" (Le Seuil, Paris, oct.2024, 240 p.). C'est le décryptage d'une entreprise d'anéantissement.
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Cet ouvrage collectif rassemble une série de rapports et d'enquêtes publiés par des ONG et des médias. Il documente les effets de la guerre menée par Israël dans l'enclave palestinienne en riposte au massacre du 7 octobre. Une démarche qui ne peut que retenir: l'intérêt et entraîner l'adhésion: lutter contre l'"invisibilisation" des Gazaouis et de leurs souffrances. Dès les premiers jours qui avaient suivi le général israélien Giora Eiland, ancien chef du Conseil de sécurité, avait exposé dans les colonnes du quotidien Yedot Aharonot, ce que devait être, selon lui, la réaction de l'État hébreu: " Israël n'a pas d'autre choix que de faire de Gaza un lieu où il sera temporairement ou définitivement impossible de vivre". Une consigne suivie par le cabinet Netanyahou. Un an de bombardements sur Gaza: l'armée israélienne a pulvérisé tout ce qui permettra aux habitants de cette bande côtière de faire société - habitations, administrations, écoles, universités, lieux de culte, centres culturels, terrains de sports, usines, entrepôts, champs, routes, ronds-points, etc. Il faut pour commencer revenir sur l'attaque du 7 octobre 2023 du mouvement islamiste Hamas. Des atrocités ont été commises, des enlèvements de civils aussi : un choc effroyable qui reste dans les mémoires- des horreurs. "Des crimes qui restent des crimes", pour citer le préfacier de cet ouvrage, Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières. Mais il ajoute ceci: il faut rejeter le jugement métaphysique des autorités israéliennes et de leurs soutiens, à savoir " le Mal renaît, l'existence des juifs est menacée, la lumière doit triompher des ténèbres! Si la violence du Hamas est sans excuse, elle n'est pas cependant sans cause: tant s'en faut. De fait, l'on a quoi sur la table, si l'on ose dire ? Un territoire dans lequel une partie de la population a tous les droits, tandis qu'une autre n'en a aucun. L'apartheid est bien une réalité de tous les instants dans les territoires occupés. Tsahal s'autoproclame volontiers comme étant 1'"armée la plus éthique du monde". Or, elle est à la tâche, tous les jours dans le registre effarant de l’extrême violence découplée comme suit: la destruction méthodique des infrastructures civiles de Gaza et en même temps d'impitoyables techniques de "ciblage" par intelligence artificielle -la quantification de la mise à morts d'innocents, par dizaines, voire par centaines, pour atteindre une seule cible du Hamas. Aucune population n'a subi des bombardements d'une telle intensité, Aucune guerre récente n'a tué autant d'enfants. Aucun massacre de cette envergure n'a reçu un tel soutien de la part de pays démocratiques, professant leur attachement au droit international et aux droits humains.
Le "hors normes "
Dans sa présentation de ce livre, Agnès Levallois, vice -présidente de l'Institut de recherches et d'étude Méditerranée Moyen-Orient, qui a réuni les rapports, relève que l'on est dans le "hors normes ": le traumatisme vécu par la société israélienne par suite de l'ampleur du drame avec 1170 morts civils et militaires et quelque 250 personnes enlevée et retenues en otage par le Hamas; le blocus absolu imposé par l'armée israélienne en représailles, privant la population de tout moyen de survie et soustrayant Gaza à tout regard extérieur; le ciblage par cette même armée du personnel humanitaire et des infrastructures médicales- moins d'une dizaine d'hôpitaux sur 36 fonctionnaient encore à la fin avril dernier avec un manque criant de matériel et de médicaments; enfin, le déluge de feu qui est tombé sur l'enclave provoquant le terrible bilan de 40405 morts au 26 août 2024, en majorité des civils sans parler de plus de 10.000 personnes portées disparues et un million de Gazaouis sans domicile. Selon Euro-Med Human Rights Monitor, l'armée israélienne a largué plus d'explosifs que n'en contenaient les bombes atomiques qui ont décimé Hiroshima et Nagasaki en août 1945.
Cela dit, il vaut de relever que le 7 octobre a fait resurgir la question palestinienne de la pire façon qui soit. L'attaque de Hamas, aussi horrible soit-elle, ne doit pas être déconnectée de l'histoire depuis la création de l'État d'Israël en 1948. Sans cette contextualisation qui ne justifie aucun crime, on se condamne à opposer sans fin l'horreur à l'horreur; ce qui ne permet pas de savoir ni de comprendre et n'aide pas à rechercher une solution. Gaza subit un système d'apartheid; elle vit sous blocus depuis 2007. C'est un territoire occupé, une "prison à ciel ouvert"; la tentation du nettoyage ethnique se généralise; une politique patiemment élaborée par Netanyahou de faire disparaître la "question palestinienne"; le droit international humanitaire sapé; et la fabrique systématique du chaos.
Les Gazaouis n'ont pour l'heure aucune voie de sortie. Mais 1'histoire est dynamique : "Free Palestine!"