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La nouvelle scène politique sud-africaine exige une nouvelle culture – Par Hatim Betioui
Le parti de l’ancien président Zuma, ancien ANC, a arraché une grande part des voix au parti au pouvoir, qui fut le sien, dans ses bastions les plus importants
Trois décennies après la fin du régime de l'apartheid en Afrique du Sud, les élections de l'Assemblée nationale de mercredi dernier ont mis fin à la longue lune de miel du parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC), qui bénéficiait de l'héritage de lutte de son défunt leader, Nelson Mandela.
Le parti est au pouvoir depuis les élections du 27 avril 1994. Mais comme à chaque bonne chose il y a une fin, il a perdu pour la première fois sa majorité parlementaire après que sa popularité ait chuté. Son acronyme, ANC, est désormais associé à la corruption, à la mauvaise gouvernance, à la pauvreté extrême, aux inégalités criantes dans la répartition des richesses, aux coupures d'électricité chroniques, au taux de criminalité élevé, et au chômage.
Terreau de scandales incessants
L'Afrique du Sud a battu un record mondial en termes de taux de chômage, atteignant selon les chiffres officiels 32 %, avec 60 % des chômeurs jeunes, 15 à 20 ans, tandis que 55 % de la population vit dans une pauvreté extrême, selon la Banque mondiale. Environ 25 % des habitants (plus de 16 millions) dépendent des allocations sociales mensuelles, d'après l'Associated Press.
Sous la direction de Mandela, l'Afrique du Sud a restauré la dignité de toutes les composantes de son peuple, mais après son départ, le pays s'est enfoncé dans les avantages de l'État national et est devenu un terreau fertile pour les scandales incessants.
Les élections du mercredi 29 mai dernier ont été un échec majeur pour le parti au pouvoir, qui a obtenu 39,8 % des voix et des sièges, contre 57,5 % lors des élections générales de 2019. Le principal parti d'opposition, l'Alliance démocratique, favorable aux entreprises et dirigé par des blancs, a pris la deuxième place avec 21,8 % des voix et des sièges.
La surprise est venue du parti "Umkhonto we Sizwe", signifiant "Lance de la Nation", fondé par l'ancien président Jacob Zuma en 2023, qui a pris la troisième place avec 14,5 % des voix et des sièges, surpassant le parti radical de gauche "Combattants pour la liberté économique" (9,8 %). Le parti de Zuma a arraché une grande part des voix du parti au pouvoir dans ses bastions les plus importants, provoquant une situation où, selon l'expression arabe, "les pots se cassent entre eux". Ce qui ne manquera pas d’avoir un impact négatif sur la situation politique actuelle du pays, notamment pour la formation du nouveau gouvernement, qui devra nécessairement être une coalition. Cela signifie qu'une nouvelle culture prévaudra dans la scène politique sud-africaine, marquant la fin de la domination sans rival de l’ANC et le début de l'ère du partage du pouvoir. Elle impliquera nécessairement un accroissement des troubles et des perturbations politiques.
Une défaite sans grandes incidences diplomatiques
Si l'Afrique du Sud a échoué à réaliser ses objectifs de développement économique et social, elle a récemment connu une grande activité sur le plan extérieur, se distinguant par son soutien à la cause palestinienne. Parallèlement, elle n'a cessé de s'opposer au Maroc et de le contrarier ses droits sur son intégrité territoriale, oubliant le soutien que Rabat lui avait apporté pendant la lutte contre l'apartheid. C'est une histoire longue et complexe, qui ne peut être abordée ici. Cependant, la faiblesse du front intérieur du pays limitera sans aucun doute cette vitalité diplomatique dans sa double portée, positive et négative.
Dans ce contexte, on peut se demander quel sera le sort de la position de l'Afrique du Sud contre la marocanité du Sahara. La réponse, selon un diplomate au faite des relations entre le Maroc et l'Afrique du Sud, est qu'il n'y aura "aucun changement", car l'appartenance idéologique des partis candidats à former la coalition gouvernementale reste identique, même s'il y a des divisions internes. Il ne faut pas oublier que pendant les trois dernières décennies, le Congrès national africain (ANC) n'a pas réussi à se transformer d'un "mouvement de libération" en un "parti d'État", similaire à la majorité des mouvements de libération en Afrique, comme le SWAPO en Namibie et le ZANU (Front national) au Zimbabwe.
Les trois alliances probables
Pour ce qui est des alliances possibles, trois principaux scénarios probables se présentent, sans qu’ils soient exclusifs : le premier, consiste en une coalition entre l'ANC, l'Alliance démocratique (DA) et le Parti Inkatha de la liberté (IFP), qui est le parti de la province du KwaZulu-Natal et qui a obtenu 17 sièges. Cela permettrait de former un gouvernement au niveau national et dans les principales provinces de Gauteng (Johannesburg et Pretoria) et du KwaZulu-Natal. Cela semble être la solution préférée du président Ramaphosa, car cela lui permettrait de rester au pouvoir, mais il risquerait d'aggraver les scissions au sein de son parti, notamment à son aile gauche.
Des rapports fiables indiquent que les deux principaux partis sont prêts à négocier les grandes lignes de l'alliance, ce qui semble toutefois compliqué à la lumière de leurs différences idéologiques et politiques fondamentales. Dans un tel scénario, les deux partis feraient face à une opposition parlementaire bruyante, voire violente.
Si l'Alliance démocratique entre en coalition avec l'ANC, elle devra accepter le projet de loi sur l'assurance maladie nationale, qui promet de fournir des soins de santé de qualité mondiale pour tous, un projet signé par le président en mai dernier. Mais l'Alliance démocratique s'oppose à l'idée d'une assurance maladie nationale, ainsi qu'aux politiques de promotion des noirs.
Le deuxième scénario est une coalition entre trois partis: l'ANC, "Umkhonto we Sizwe" et les "Combattants pour la liberté économique" (EFF). Cette coalition, malgré les rancunes et les frictions entre ses dirigeants, aurait une certaine cohésion idéologique. Cependant, cela serait politiquement coûteux pour le président Ramaphosa, car il devrait faire des concessions importantes pour maintenir cette coalition potentielle. Zuma a exprimé sa volonté de s'allier avec l'ANC à condition que son ennemi juré, le président Ramaphosa, ne soit pas à sa tête. Zuma n'oublie pas que Ramaphosa l'a envoyé en prison et a pris sa place à la présidence du pays et à la tête du parti après une lutte fratrécide acharnée pour le pouvoir en 2018.
L'Alliance démocratique et les grandes entreprises blanches craignent et dénoncent cette coalition potentielle, en raison de son impact négatif sur le climat des affaires dans le pays et de l'accentuation des divisions raciales qu'elle entraînerait.
Le troisième scénario, le plus probable, est que l'ANC parvienne à former une coalition avec des partis plus petits, moins en mesure d'exiger des changements majeurs dans la politique gouvernementale. Plus de 70 partis ont participé aux élections, et 14 d'entre eux ont remporté un total de 40 sièges (entre un et 17 sièges chacun).
Quoi qu'il en soit, le défi de la prochaine phase en Afrique du Sud sera de concilier des idéologies divergentes et atténuer les affrontements entre les dirigeants des différents partis, pour parvenir à un consensus et une coopération entre les différents acteurs de la vie politique du pays. Par conséquent, l'ANC, habitué à monopoliser le pouvoir et la prise de décision, devra cette fois accepter de faire des concessions et de relâcher progressivement son emprise étouffante sur les ressources de l'État.