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La ruée vers l’or des corbeaux – Par Hatim Betioui
Non loin des mines exploitées par des entreprises étrangères, vivent des populations qui sont les premiers témoins des quantités d'or extraites quotidiennement de la terre. Pourtant, leurs vies restent inchangées : pas de routes, pas d'écoles, pas d'hôpitaux, seul seulement la poussière des mines et un environnement dévasté.
Il y a six siècles, l'or était la principale monnaie dans la région du Soudan africain, connue aujourd'hui dans les milieux médiatiques et politiques sous le nom de région du Sahel.
Beaucoup ont probablement entendu parler de l'histoire du sultan Mansa Moussa, qui quitta en 1324 Tombouctou et Gao, au cœur de l'actuel Mali, pour entreprendre un pèlerinage long et légendaire à la Mecque. Durant ce voyage, il provoqua une baisse des prix de l'or en le distribuant généreusement tout au long de son trajet.
L'or, un mauvais maitre
Mansa Moussa est considéré comme l'un des plus grands dirigeants de l'Empire du Mali au XIVe siècle et sans doute le plus célèbre. Il régna de 1312 à 1337 et est reconnu comme l'un des rois les plus riches et puissants de l'histoire. Il a su appliquer correctement l’adage qui dit : L'or est un bon serviteur, mais un mauvais maître.
À cette époque, l'or constituait la colonne vertébrale de l'économie régionale, qui jouissait d'une prospérité économique et scientifique remarquable. Mais aujourd'hui, la situation est complètement différente : l'or est devenu une malédiction, source d'instabilité et de conflits.
A l’inverse de cet adage dans Mansa Moussa a su appliquer la bonne strophe, l'or est désormais le symbole de luttes incessantes, une malédiction pour une terre riche où des millions d'habitants vivent dans une pauvreté extrême, tandis que d'énormes quantités de ce métal précieux sont extraites sous leurs yeux pour être exportées sur les marchés mondiaux ou introduites clandestinement dans des circuits complexes. Pire encore, il finance des attaques terroristes qui coûtent la vie à des innocents.
Au cœur de cette tragédie, un contraste frappant se dessine, mêlant des entreprises étrangères venues d'Occident et des groupes terroristes arrivés de l'Est. Entre ces intrus imposants, les rêves des populations locales de développement s'effacent.
Les corbeaux…
Les entreprises étrangères, comme une société canadienne récemment au centre des polémiques, arrivent avec des promesses de développement et d'investissement, mais se retrouvent accusées par les gouvernements et les populations locales de prendre beaucoup et de donner peu. Démontrant ainsi la pertinence d’un autre adage : Là où brille l'or, les corbeaux se rassemblent."
Non loin des mines exploitées par ces entreprises, vivent des populations qui sont les premiers témoins des quantités d'or extraites quotidiennement de la terre. Pourtant, leurs vies restent inchangées : pas de routes, pas d'écoles, pas d'hôpitaux, seulement la poussière des mines et un environnement dévasté.
Dans les zones échappant au contrôle des autorités, où la loi est absente, des groupes terroristes ont établi une économie parallèle basée sur l'exploitation artisanale mais efficace des mines d'or.
L'or est ainsi devenu une source de financement incontournable pour l'achat d'armes, de drogues, le financement de leurs activités et le recrutement de jeunes combattants, souvent désillusionnés et en colère contre leurs gouvernements locaux.
Ces groupes emploient des travailleurs locaux dans des conditions proches de l'esclavage, ne leur versant presque rien, tandis que les revenus de leur labeur alimentent des guerres qui leur coûtent leur vie et leur stabilité.
Même les gouvernements utilisent désormais les mines d'or pour obtenir des armes. Des rapports récents indiquent que le conseil militaire au pouvoir au Mali recourt aux mines d'or pour payer les services du groupe privé russe Wagner.
Des centaines de combattants de Wagner se battent aux côtés de l'armée malienne, équipés d'armes, de matériel, d'avions de guerre et de drones, le tout fourni par la Russie en trois ans seulement, payé par l'or extrait dans le cadre d'un accord non dévoilé.
L'or est devenu une source de financement pour les deux parties d'une guerre qui ne semble pas près de s'arrêter, et ce sont les civils innocents qui en paient le prix.
Pour une once d’or…
Ainsi se vérifie encore un troisième adage : Pour une once d'or, on peut perdre une montagne d'âmes. Malgré tout cela, l'or du Sahel entre sur les marchés mondiaux et contribue à l'économie globale, sans que personne ne se demande combien de sang a été versé pour l'obtenir et combien de pauvres sont morts pour y accéder.
Cette réalité soulève des questions éthiques et humaines. Comment le monde développé peut-il fermer les yeux sur ces tragédies ? Se contenter de parler de développement durable alors que les populations locales sont privées de leurs droits les plus fondamentaux suffit-il ? Comment permettre à des groupes terroristes de financer leurs activités grâce à une richesse qui devrait être source de vie, et non de mort ?
Ces questions peuvent sembler idéalistes, mais leur formulation est essentielle, car elles poussent à chercher une solution pour mettre fin à la tragédie des habitants de cette région du monde. Cette solution ne pourra être trouvée sans des gouvernements dotés d'une volonté politique forte pour prendre le contrôle des mines d'or et les libérer des griffes des groupes terroristes.
Le contrôle des mines d'or ne doit pas seulement passer par la force, mais également par la construction d'institutions solides et transparentes, garantissant que les revenus de cette richesse bénéficient aux citoyens. C'est une bataille dans laquelle les populations seront les plus grands alliés des gouvernements.
Il est également impératif d'obliger les entreprises étrangères à revoir leurs accords et leurs politiques, en s'engageant davantage pour les communautés locales et la protection de l'environnement. Elles devraient être tenues d'investir une partie des revenus de l'or dans la formation et l'emploi des jeunes.
La communauté internationale, dans toutes ses composantes, doit assumer sa responsabilité en surveillant le commerce mondial de l'or et en luttant contre la contrebande, car tirer profit de cette tragédie n'exonère personne de sa part de responsabilité. Elle pour mission (impossible ?) de démentir un quatrième adage : L'or a la couleur du soleil, mais il obscurcit le cœur."