Le suicide d'Aaron Bushnell hantera ''ceux qui refusent de changer de cap''

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Dans les heures qui ont précédé son immolation, M. Bushnell a envoyé un e-mail à plusieurs médias indépendants avec pour objet « Contre le génocide » qui contenait un lien vers un site Web où est apparue plus tard la vidéo de son auto-immolation. "Je vous demande de vous assurer que les images sont préservées et font l'objet de reportages",

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Que ma mort soit un conte - Par Mohamed Chraibi

Les faits sont connus mais ils méritent d’être rappelés ici. Dimanche 21 février 2024, vers 13 H, un employé des services de communications de l'armée de l'air américaine, Aaron Bushnell, revêtu de son uniforme, s’est immolé par le feu devant l'ambassade d'Israël à Washington DC. 

Avec son téléphone posé devant lui, il a transmis l’événement en direct sur Twitch. « Je ne serai plus complice du génocide, je vais commettre un acte de protestation extrême. Mais comparé à ce que les gens vivent en Palestine aux mains de leurs colonisateurs, ce n'est pas du tout extrême, nos dirigeants ont décrété que c’est normal. »

Libérez la Palestine ! a-t-il crié à plusieurs reprises avant de s’écrouler en flammes. Aaron est décédé dans un hôpital voisin quelques heures plus tard. Il avait 25 ans.

Il s’agit de la deuxième manifestation de ce type aux États-Unis ces derniers mois. En décembre, une femme s’est immolée par le feu devant le bâtiment du consulat israélien à Atlanta, un drapeau palestinien gisait près de son corps. Elle n’a jamais été identifiée.

Que savons-nous de Bushnell ?

À l'été 2016, après avoir obtenu son diplôme d'études secondaires, il s'est rendu en Israël et en Cisjordanie lors d'un voyage dirigé par la Communauté de Jésus. Voyage qui l'aurait profondément marqué.

Dans son dernier message sur Facebook, Bushnell a écrit : « Beaucoup d’entre nous se demandent : Que ferais-je si mon pays commettait un génocide ?  La réponse est ce que je suis en train de faire maintenant même."

Dans les heures qui ont précédé son immolation, M. Bushnell a envoyé un e-mail à plusieurs médias indépendants avec pour objet « Contre le génocide » qui contenait un lien vers un site Web où est apparue plus tard la vidéo de son auto-immolation.  "Je vous demande de vous assurer que les images sont préservées et font l'objet de reportages", y a t-il écrit.  Et, dans un testament envoyé́ à un ami quelques jours auparavant il lègue ses biens à une association de secours aux enfants palestiniens. De même que de son vivant, il envoyait de l'argent à une sans abri qu'il n'avait jamais rencontrée,

Le New York Post nous apprend, sur la base de déclarations d'un ami intime d’Aaron, que ce dernier lui avait affirmé, quelques heures seulement avant de s’immoler « qu’il détenait des informations secrètes sur des troupes américaines combattant dans les tunnels du Hamas sous Gaza, son travail actuel consiste à traiter des données de renseignement.  Une partie de ce qu’il traitait avait à voir avec le conflit israélien à Gaza » (1). Le New York Post ne dispose d'aucun moyen de vérifier l’authenticité de cette déclaration. Il rappelle cependant que « Les forces spéciales américaines ont été déployées en Israël depuis l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre, selon le New York Times, (NYT) pour identifier les otages et pour aider à la stratégie des troupes israéliennes à Gaza, qui pourchassent le Hamas dans le réseau de tunnels. »

Les réactions au suicide d’Aaron Bushnell

Selon le NYT, l’auto-immolation de M. Bushnell a déclenché une série de veillées en son honneur, suscité de nouvelles protestations contre les attaques israéliennes et des critiques de la part de certains qui considéraient la manifestation comme un acte suicidaire qui ne devrait pas être célébré. D’après HAARETZ : Un groupe anonyme de membres de l’administration Biden a écrit à ce dernier que la mort de Bushnell doit être perçue comme « un rappel obsédant pour ceux qui refusent de changer de cap ». Le même journal rapporte que le candidat à la présidentielle américaine Cornel West a commémoré Bushnell en déclarant : « N'oublions jamais le courage et l'engagement extraordinaires de notre frère Aaron Bushnell, mort pour la vérité et la justice ! Consacrons-nous à une véritable solidarité avec les Palestiniens victimes d'attaques génocidaires.  En temps réel !".

Pour l'anecdote, personnellement j'ai rendu hommage à Aaron par une journée de jeûne (comme signe de deuil) que je compte répéter tous les 25 février qui me restent à vivre.  

Quel sens donner à l'acte de Bushnell

Selon The Guardian, les actes d’auto-immolation sont rares, mais visent le même but : attirer de façon tragique et spectaculaire l’attention du public sur un problème et le forcer à en être le témoin. Du moine bouddhiste Thich Quang Duc, immolé par le feu à Saigon en juin 1963 à l'AMERICAIN Norman Morrisson, le plus célèbre de ceux, nombreux, qui se sont immolés lors de la guerre du Vietnam aux États-Unis, qui s’est suicidé par le feu devant le Pentagone en novembre 1965, suivi une semaine plus tard par R.A. Laporte qui s'est immolé devant l'ONU. 

Dans The Guardian, Moira Donegan écrit : « Ne faut-il pas être fou pour agir de telle sorte ? » se demandent certains. Ce à quoi la journaliste répond : « Comme si cette question ne devait pas être posée d’abord sur la guerre d'Israël elle-même ». Et de continuer : « Ce n est probablement pas la bonne question à poser, c'est une manière d'esquiver le sens évident de l'auto-immolation de Bushnell : qu'Israël mène un génocide à Gaza, un génocide qui n'est possible qu'avec l'argent et le soutien américains, et que cette catastrophe morale implique tous les Américains dans la complicité. Il devient alors clair qu'il n’est pas nécessaire de tolérer le suicide pour croire que cela vaut la peine d’être pris au sérieux » 

Donegan rappelle aussi que « l'auto-immolation du vendeur ambulant tunisien Mohamed Bouazizi en décembre 2010 a déclenché le Printemps arabe et ouvert une décennie de résurgence de l'activisme politique de gauche, qui comprenait des mouvements sociaux américains tels qu'Occupy Wall Street, #MeToo, Black Lives Matter. Mais plus d’une décennie plus tard, ces mouvements de protestation n’ont obtenu que peu de résultats, ni la justice raciale, ni la crise climatique, ni les inégalités économiques n’ont reçu une attention soutenue de la classe dirigeante.  Dans de telles circonstances, le désespoir politique est inévitable et le sentiment de futilité des voies de dissidence habituelles n’est pas déraisonnable.  Ce sont peut-être ces conditions qui appellent quelque chose d’aussi terrible que le geste d'Aaron et, en même temps pose la question terrible de savoir si un sacrifice aussi horrible affectera réellement la politique, ou s’il sera calmement digéré par nos consciences. Même si ces voies ne semblent pas aboutir et aussi désespérée que puisse paraître la lutte pour la justice, un monde meilleur demeure possible aussi longtemps que ceux d'entre nous qui sont engagés en faveur d'un tel monde restent ici sur terre, luttant.  C'est notre malheur qu'Aaron Bushnell ne soit plus là pour lutter avec nous ».

(1)Plausible quand on se souvient de l'affaire Snowden