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Les élections koweïtiennes face à leur ''condition sisypheenne'' – Par Hatim Bettioui
Une électrice koweitienne
Après les élections des dix derniers jours du Ramadan, le Koweït est entré dans une phase que l'on pourrait qualifier de "sisyphéenne". Les résultats n'ont apporté aucun changement notable dans le paysage politique, ramenant la crise politique du pays à la case départ, ce qui rend plausible la dissolution du parlement élu.
La mythologie grecque raconte l'histoire de Sisyphe, dont le supplice consiste à rouler sans cesse un immense rocher jusqu'au sommet d'une montagne. Chaque fois que Sisyphe parvient à atteindre le sommet, le rocher dévale la pente jusqu'au bas de la montagne. Il doit alors redescendre pour recommencer cette tâche inutile et sans fin. Sisyphe est ainsi devenu un symbole du supplice éternel et de l'absurdité de la vie.
Ce qui induit la question de savoir su la dissolution du parlement pourrait continuer à être remède aux problèmes chroniques que le Koweït connaît depuis des années.
Le risque d’une rupture entre le Prince et le Parlement
Le pari du nouveau prince du Koweït, Cheikh Mish’âal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah, sur les dernières élections était de sauver l'économie du pays des retombées des crises constitutionnelles répétées, et de limiter un populisme qui ne pourrait que mener le pays droit dans un mur. Un populisme qui rejette généralement toute réforme pouvant affecter les grands acquis sociaux du citoyen koweïtien dans le cadre d'un modèle d'État providence, devenu un fardeau majeur pour les finances de l'État, enflant la masse salariale du secteur public au détriment du secteur privé.
Les résultats du scrutin de jeudi dernier ont permis à l'opposition de conserver 29 sièges sur les 50 du nouveau parlement. 39 députés ont conservé leurs sièges, et seulement huit anciens députés ont perdu la course électorale, tandis que le nouveau parlement a vu l'arrivée de 11 nouveaux députés. Tout comme dans le précédent parlement, on note la présence d’une seule femme, Janan Mohsen Ramadan Boushehri.
Le sujet le plus important au Koweït ces jours-ci est que les résultats du scrutin du 4 avril ont clairement montré que le gouvernement souhaite un changement, tandis que la rue tient au statu quo, et que l'opposition aura le dernier mot au parlement.
Dans ce contexte complexe, les pronostics prédisent une rupture entre l'institution gouvernante et le nouveau parlement, en particulier lorsque le Prince du pays présentera le nom du nouveau prince héritier pour approbation. Les observateurs de la scène politique koweïtienne s’attendent à ce que le nouveau parlement entrave le processus de désignation du prince héritier, ce qui pourrait conduire à une profonde fêlure entre le parlement et le Prince.
Personne ne doute que le nouveau parlement reviendra à ses anciennes habitudes de provoquer des crises avec le gouvernement et de le submerger de questionnements, consolidant la transformation du parlement en un tribunal permanent qui harcèle le cabinet au détriment de sa mission d’institution législative qui promulgue des lois visant à développer le pays.
Le risque de stagnation
Lorsque le Prince Mish’âal a émis un décret de dissolution du parlement le 15 février dernier, soit moins de deux mois après avoir pris le pouvoir après son frère défunt, le Cheikh Nawaf Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah, il s'est appuyé dans sa décision sur les transgressions de certains membres du parlement envers les principes constitutionnels, leur manque de respect dû à la dignité princière, et leur utilisation délibérée de termes offensants.
La dernière dissolution du parlement est la treizième de l'histoire du parlement koweïtien. La première dissolution a eu lieu en 1976, et en avril 2023, le parlement a été dissous pour la douzième fois après un jugement de la Cour constitutionnelle annulant les élections de 2022, ce qui a nécessité l'organisation de nouvelles élections en juin 2023, d'où est issu le parlement que le nouveau prince a dissout.
Tous les indicateurs suggèrent que l'impasse politique au Koweït continuera, que la relation entre le gouvernement et le parlement ne changera pas, et que la crise entre eux pourrait s'intensifier, contribuant à aggraver l'état de stagnation politique dans le pays, notamment parce que certains députés qui étaient à l'origine de la dissolution du précédent parlement, dont le député Abdul Karim Al-Kandari, sont revenus au nouveau parlement après avoir obtenu le plus grand nombre de voix.
Et pour compliquer la situation, Cheikh Mohammad Sabah Al-Salem s'est refuser à former le nouveau gouvernement, faisant entrer ainsi son gouvernement dans le club des gouvernements les plus éphémères de l'histoire du Koweït, à moins qu'il ne revienne sur son refus, ce qui semble peu probable.
De grands espoirs ont été placés sur Cheikh Mohammad Sabah Al-Salem pour contribuer à résoudre la crise politique qui a épuisé le pays. "En plus d'être le seul Premier ministre koweïtien diplômé de l'Université Harvard, Il est le fils d'un prince (Cheikh Sabah Al-Salem / 1965-1977), reconnu pour sa compétence et son intégrité. il avait déjà quitté la vice-présidence du conseil des ministres et avait démissionné du ministère des Affaires étrangères la tête haute après avoir présenté sa démission le 18 octobre 2011 en protestation contre des affaires de corruption ou ce qui était alors connu sous le nom de l'affaire des "dépôts millionnaires pour les députés.
La désignation du prince Mish’âal comme Premier ministre il y a quatre mois et quelques jours a marqué une nouvelle ère au Koweït, caractérisée par la rigueur et la fermeté dans la gestion des affaires du pays.
La fin de l’Etat providence, un enjeu existentiel
Cheikh Mohammad Sabah Al-Salem a rapidement dévoilé les grandes lignes d'un programme de réforme ambitieux qui n'excluait pas l'abandon du modèle de l'État providence, convaincu que l'application de ce modèle n'était plus possible en se reposant uniquement sur la richesse pétrolière en voie d'épuisement, et que toute réforme souhaitée ne pouvait être réalisée qu'en réduisant le généreux soutien que l'État offre, soutien qui a créé un état avancé de dépendance envers lui.
Peut-être que Cheikh Mohammad Sabah Al-Salem est arrivé tardivement à la présidence du conseil des ministres, à un moment où le conseil législatif est devenu une force entravant toute personne désireuse de réformer, et surpassant les discours populistes élevés par de nombreux membres des parlements successifs, pour apaiser les citoyens afin de gagner leurs voix afin de garantir la continuité de leurs sièges de députés et une présence continue dans la scène politique du pays.
Il est devenu difficile de tourner la page des gouvernements successifs qui se sont distingués par une grande flexibilité et des concessions aux députés. Il existe une équation qui doit être préservée, celle de concilier la réalisation des réformes nécessaires tout en maintenant le haut niveau de démocratie dont jouit le Koweït, mais les nombreux obstacles à ce niveau lestent le rythme de toute réforme anticipée en raison des larges pouvoirs dont jouit le parlement.
En visite au Koweït à la fin de novembre 2016 pour couvrir les élections du quinzième parlement depuis l'indépendance du pays en 1961, j’ai pu relever les deux questions majeures posées par la rue koweïtienne : "Comment améliorer la situation économique ?" et "Comment travailler à réaliser une coopération entre les pouvoirs législatif et exécutif, tant leur confrontation n'a abouti à rien ?"
La manière dont le Dr Mohammed Al-Rumaihi, écrivain, journaliste et président du Centre d'études du Golfe arabe au Koweït, a alors exprimé, lors d'un colloque organisé par le ministère koweïtien de l'Information et de la Jeunesse à l'occasion des élections, le désir des Koweïtiens, était résumait la situation. Il a dit : "Nous ne voulons pas que le parlement se soumette au pouvoir exécutif, mais nous voulons qu'il coopère avec lui pour faire face aux défis que connaît le pays."
Que dire sinon qu’aujourd’hui ressemble à hier au Koweït ! De ce point de vue, certains affirment qu'il est désormais plus urgent et nécessaire que jamais que le prince Mish’âal utilise ses vastes pouvoirs constitutionnels pour émettre des décrets ayant force de loi afin de pouvoir imposer des décisions radicales dans la scène politique, telles que limiter l'expansion du parlement et réduire sa capacité souvent utilisée de manière inappropriée.
Les attentes restent grandes
Le Koweït, situé dans une région enceinte de problèmes, de crises et de défis, ne peut rester indéfiniment prisonnier de sa condition sisyphéenne et otage de ce que sa démocratie, leader dans la région arabe, à de négatif. Le pays peut-il encore une fois supporter la dissolution du parlement ? Ou a-t-il davantage besoin de modifier la constitution, et d'adopter une nouvelle loi électorale qui limiterait la domination de l'opposition sur le parlement législatif, ou au moins, comme certains l'espèrent, empêcher l'arrivée au parlement de députés habiles à créer des crises, afin de sortir le pays de l'impasse chronique dans laquelle il vit, et d'établir un système de coopération productif et constructif entre les pouvoirs exécutif et législatif, ouvrant la voie aux projets de développement pour qu'ils voient le jour.
Et comme la réalité est incontournable, toutes les possibilités restent envisageables, mais il ne faut pas oublier un point essentiel : jusqu'à présent, les autorités supérieures au Koweït, afin de protéger la constitution et préserver l'expérience démocratique koweïtienne, toujours considérée comme unique, se sont abstenues de recourir à de telles solutions.
Les attentes restent grandes envers le prince Mish’âal pour réguler le rythme de la scène politique de son pays, surtout qu'il a montré dès le premier moment de sa prise de pouvoir une grande fermeté en matière de discipline, de soutien à la réforme et de préservation du pays de toute tension dont il n'a pas besoin.
D’après Annahar Al-arabi – traduit de l’arabe par Quid