LES SYRIENS ET LE DROIT D'ASILE - Par Mustapha SEHIMI

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Les réfugiés Syriens à Edirne, poste-frontière entre la Turquie et la Grèce le 2 MARS 2020. 

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La chute du régime de Bachar el-Assad, le 8 décembre courant, a déclenché des réactions quasi-immédiates en Europe quant au sort des syriens demandeurs d'asile ou ayant été protégés. Des États ont ainsi annoncé "suspendre" l'examen des demandes et même envisager un retour des personnes concernées. Que dit le droit international en la matière ?

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La fuite des ressortissants syriens a été massive par suite de la dictature et de la répression du régime. Selon les chiffres du Haut -Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (UNHCR), ce sont près de 5 millions d'entre eux qui étaient en situation de déplacement forcé - il y a même eu des pics de 11 millions en 2018 et 2021. Dans un premier temps, ceux-ci ont d'abord et surtout fui comme c'est toujours le cas d'ailleurs en matière d'exil de guerre, vers les pays limitrophes : Turquie avec quelque "3 millions de Syriens, au Liban (768.000), en Jordanie (620.000) ou encore en Irak (300.000). D'après les données d'Eurostat, 1'Union européenne n'a été qu'indirectement touchée par ces déplacements avec plus de 180.000 demandes formulées auprès de ses États membres en 2023, après deux pics à plus de 330.000 en 2015 puis en 2016. L'Agence européenne pour 1'exil a estimé ces derniers jours à un peu plus de 100.000 le nombre de demandes de protection actuellement pendantes. Le taux de protection est cependant élevé, de l'ordre de 90 %. En, 2023, près de 130.000 Syriens ont été protégés à l'échelle de 1' UE après un pic à plus de 400.000 en 2016. En France, d'après les rapports de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), 4.465 demandes d'asile syriennes ont été déposées en 2023 pour 3530 protections. La demande a été relativement stable au cours des années : 3400 en 2015, à peine plus de 6.000 en 2016, 5.800 en 2017. La demande syrienne est sans commune mesure avec la demande afghane (près de 20.000 en 2023 en France) ou turque (plus de 10.000). Sur ces bases-là, l'on ne peut que s'étonner, avec le HCR, de la rapidité des réactions de certains membres dont la France alors qu'elle n'est concernée que de manière marginale par la demande syrienne...

Deux situations

Cela dit, il faut distinguer deux situations différentes : d'une part celle des demandes d'asile en cours, et d'autre part celle des protections déjà reconnues. Pour ce qui est des premières, le droit international reste assez discret : il ne prévoit pas expressément le statut de demandeur d'asile ; et l'on ne peut mentionner que le principe de non-refoulement (articles 33 de la Convention de Genève de 1951 et 3 de la Convention contre la torture). Obligation est faite aux États à statuer individuellement sur les demandes de protection, avant d'envisager un renvoi vers un pays où existerait un "risque de torture ou de traitement inhumain ou dégradant". De ce point de vue, il faut préciser que rien n'interdit à un État de "suspendre" l'examen d'une demande en cours. A noter encore que le droit de l'UE encadre toutefois cette hypothèse à travers l'article 31§ 4 de la directive "Procédures"; celles-ci prévoit la possibilité de différer l'examen d'une demande en raison d'"une situation incertaine dans le pays d'origine". Les États peuvent alors suspendre l'examen de la demande durant 21 mois - le délai normal d'examen est de 6 mois. L'annonce du ministère de l'Intérieur français d'une " suspension" de l'examen des demandes d'asile syriennes oublie de préciser à cette occasion que l'OFPRA, supposément indépendant, est seul à même de prendre ce type de décision.

S'agissant, ensuite des Syriens ayant obtenu une protection internationale, celle-ci ne peut cesser que selon les conditions strictement prévues, tant par la Convention de Genève (art. I C) que le droit de l'Union européenne (articles II et 16 de la directive "Qualification". Il y a le cas des réfugiés qui décideraient de rentrer d'eux-mêmes - ce qui est un motif de cessation de la protection. Mais il est un autre cas où seul un "changement de circonstance "que le droit européen qualifie de "significatif et non provisoire" dans le pays d'origine peut justifier une décision de cessation. La jurisprudence est attentive, et même sourcilleuse, quant au respect de ces critères. Elle ne reconnaît ainsi un tel changement que si l'État d'origine s'est doté d'un système judiciaire effectif permettant de déceler, de punir et de sanctionner toute violation grave des droits fondamentaux de l'homme qualifiable d'acte de persécution (voir CNDA, 25 mai 2019, M.L., no 17047809 C + et CJUE, 2 mars 2010, Abdulla, aff. C-175/08).

Ces conditions sont-elles remplies aujourd'hui concernant les Syriens ? Il est évidemment beaucoup trop tôt pour dire aujourd’hui, quelques jours après le changement de régime, qu'un tel changement" significatif et durable" serait advenu en Syrie ! Lorsque tel sera le cas- ce que les Syriens sont les premiers à souhaiter - alors une décision de cessation pourra intervenir. Elle peut être collective pour tous les Syriens protégés. Sauf à apporter cette restriction : la possibilité de maintenir la protection à celles et à ceux qui auraient subi par le passé des persécutions d'une particulière gravité (art. II § 3 et 16§ 3 de la directive "Qualification). Au regard des images que l'on découvre des prisons syriennes et des tortures qui y ont été pratiquées, cette hypothèse ne sera pas isolée : le régime des Assad est mis à nu pour sa barbarie...

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