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L’homme aux sept vies – Par Hatim Bettioui
L’ancien Premier ministre de François Hollande, de 2014 à 2016, effectue un retour inattendu au gouvernement après avoir fait un petit tour par sa catalogne natale où il a été candidat désappointé à un poste d’élu local. (Photo Ludovic Marin/AFP)
Manuel Valls est entré dans l'histoire contemporaine de la France en devenant le premier immigrant à occuper le poste de Premier ministre (2014-2016) sous la présidence de François Hollande, alors qu’il n’avait acquis la nationalité française qu’à l’âge de vingt ans.
Avant cela, il avait été nommé ministre de l'Intérieur (2012-2014). Cependant, son passage dans les arcanes du pouvoir fut de courte durée. Rapidement emporté par les tumultes de la politique française, il choisit de retourner en septembre 2018 à Barcelone, sa ville natale, pour se présenter au poste de maire lors des élections municipales de mai 2019. Cette démarche de Valls fut sans précédent : jamais une personnalité politique européenne de premier plan ne s'était portée candidate à un poste local dans un autre pays européen.
Un échec catalan
Valls justifia sa candidature par ses origines catalanes et sa naissance à Barcelone en août 1962, affirmant son désir de servir la ville. Mais la chance ne fut pas de son côté : il obtint un score faible, malgré le soutien du parti Ciudadanos (« Citoyens » en espagnol), une formation politique espagnole fondée en 2006 en Catalogne.
Sa défaite à Barcelone fut considérée comme un revers cuisant, particulièrement après sa carrière politique marquante en France. C’est qu’il existe plus qu’une nuance entre la chance espagnole et la chance française, chacune ayant sa saveur et ses teintes.
Il rentra donc en France bredouille, où les portes du pouvoir s’ouvrirent à nouveau pour lui, cette fois en tant que ministre délégué aux Outre-mer dans le gouvernement de François Bayrou, annoncé à Paris ce lundi 23 décembre 2024.
Cette curieuse particularité des politiques d'origine étrangère
Manuel Valls avait rejoint le Parti socialiste français à un jeune âge et en était une figure éminente. Ses ambitions grandirent avec le temps, l’amenant à tenter sa chance pour la présidence lors de l’élection de 2017, sans arriver à dépasser la primaire citoyenne organisée par le Parti socialiste, qui lui préféra son camarade Benoît Hamon.
Mais Valls reste véritablement une personnalité politique aux sept vies, suscitant de nombreuses controverses. Lorsqu’il était Premier ministre, il était connu pour son soutien à des politiques réformistes, notamment dans les domaines de l'économie et du marché du travail, qui provoquèrent de vifs débats. En tant que ministre de l'Intérieur, il s’était également fait remarquer par sa fermeté sur les questions de sécurité et d’immigration, ce qui lui valut une base de soutien solide, mais aussi un torrent de critiques de la part de certains milieux politiques et sociaux.
Et il est particulièrement intéressant de noter ici que les responsables politiques d'origine étrangère sont curieusement souvent plus stricts que leurs homologues autochtones sur les questions de sécurité et d'immigration.
D'autres épisodes controversés jalonnent le parcours de Valls. En juin 2015, il fut vivement critiqué pour avoir utilisé un avion gouvernemental pour se rendre à Berlin afin d'assister à la finale de la Ligue des champions entre Barcelone et la Juventus. Il justifia ce voyage en affirmant qu’il s’agissait d’un déplacement professionnel, durant lequel il avait rencontré des responsables de l’Union des associations européennes de football (UEFA), mais beaucoup n’y virent qu’un abus de fonds publics.
Une nomination provocante pour ses anciens amis
En tant que ministre de l’Intérieur, Valls fit des déclarations provocantes envers les musulmans de France. Il affirma notamment que le port du voile symbolisait la soumission des femmes et plaida pour une position plus stricte à son égard dans les espaces publics. Il déclara également que l’islam devait s’adapter aux valeurs de la République française laïque, estimant que les musulmans en France avaient la responsabilité de favoriser cette adaptation. En 2013, il décrivit certaines banlieues pauvres comme des « zones isolées » et affirma que l'expansion de l'islam politique y constituait une menace pour l'ordre public et la cohésion sociale, ce qui suscita des critiques de la part de groupes de défense des droits humains. Ces derniers accusèrent ses propos de renforcer les divisions sociales et de perpétuer des stéréotypes négatifs sur les musulmans, aggravant ainsi les discriminations et le racisme.
En 2014, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, Valls soutint l’interdiction des spectacles de l'humoriste Dieudonné, connu pour ses critiques acerbes et polémiques. Cette décision provoqua un débat intense sur la liberté d'expression et la censure en France.
Récemment, les réactions à sa nomination en tant que ministre des Outre-mer furent mitigées. Certains y virent une tentative de renforcer le gouvernement avec des personnalités marquantes, qualifiant ce retour de Valls sur la scène politique, après une absence de huit ans, de remarquable. D'autres, en revanche, y perçurent une provocation et une simple réutilisation de figures anciennes sans apporter de renouveau significatif.
Le secrétaire général du Parti socialiste français, Olivier Faure, qualifia la nouvelle composition du gouvernement de « provocation », faisant notamment référence à la nomination de personnalités comme Valls à des postes ministériels. La présidente du parti écologiste, Marine Tondelier, critiqua également le gouvernement Bayrou, estimant que ceux qui avaient accepté d’y participer manquaient de dignité, visant aussi Valls, qui acceptait un poste ministériel subalterne après avoir été Premier ministre.
Comme quoi, Jean-Jacques Rousseau a bien raison : « Le pouvoir dévoile l’homme, révélant en lui la force ou la faiblesse, la noblesse ou la corruption. »