PRÉSIDENTIELLE EN ALGÉRIE: ''IL A ÉTÉ DÉCIDÉ...'' - Par Mustapha SEHIMI

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Il semble bien que Tebboune soit un candidat par défaut. Les généraux n'ont pas cessé cependant de voir s'il était possible de prévoir un "Plan B". Le marché potentiel des "présidentiables" n'est pas probant

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L'annonce en a été faite le jeudi 21 mars courant dans un bref communiqué de la présidence voici une semaine, de la présidence de la République algérienne : "Il a été décidé que l'élection présidentielle anticipée se tiendra. Sa date est fixée au samedi 7 septembre 2024 et le corps électoral sera convoqué le 8 juin". 

A la réunion qui s'est tenue au palais d'El Mouradia, étaient présents les personnalités suivantes : le Premier ministre, les présidents des deux chambres du Parlement (Assemblée nationale et Sénat), le chef d'état-major de l'ANP (Salah Chengria), le président de la Cour constitutionnelle, le président de l'Autorité nationale indépendante des élections, le ministre de l'Intérieur et le Directeur du cabinet présidentiel. Le décret a été publié au journal officiel.

Fortes pressions des généraux

Il faut bien préciser que ce décret fait expressément référence aux dispositions de l'article 91 ( al.2) de la Constitution révisée du 20 décembre 2020, lequel stipule: "Il (le président de la République) peut décider d'organiser des élections présidentielles anticipées". Il s'agit d'une attribution personnelle et exclusive du Chef de l'État : personnelle en ce sens qu'elle ne peut pas être déléguée; exclusive aussi dans le mesure où elle est exercée sans aucune interférence d'un ou d'autres organes. Sur ces bases-là, cette question de principe : pourquoi Tebboune a-t-il sacrifié à une réunion avec un tel aréopage formé du Premier ministre, des présidents des deux Chambres du parlement, de l'exécutif (Premier ministre et ministre de l'Intérieur), deux présidents d’institutions constitutionnelles et même le directeur de son cabinet présidentiel ? Mais il y a plus. Référence est faite à d’autres faits. Le premier a trait à l'absence totale de toute explication. Pourquoi le Président Tebboune n'a-t-il pas adressé un discours à la Nation pour (article 93, a1.4) pour justifier sa décision en avançant des arguments pertinents et conséquents, alors que son mandat s'achève, après un terme normal de cinq ans, trois mois plus tard, le 12 décembre prochain. Le second est le suivant : dans la pratique institutionnelle algérienne, il n'y a eu qu'un seul précédent, avec le président Liamine Zeroual élu le 16 novembre 1995 qui avait annoncé le 2 septembre 1998, dans un discours à la nation, la tenue d'une élection présidentielle anticipée pour février 1999, à laquelle il ne se présente pas alors que son mandat prend fin en 19 novembre 2020. La raison non publique ? De fortes pressions de la hiérarchie militaire qui préparait le retour et l'investiture de Bouteflika, élu en avril 2019

Bilan: une "œuvre" inachevée 

Un quart de siècle après, se trouve-t-on dans une équation avec pratiquement les mêmes termes. Assurément, les deux contextes sont distincts à bien des égards mais ils partagent ces deux paramètres : une présidentielle anticipée et son imposition par les généraux. Ce qui différencie l'annonce du 21 mars 2024 c'est l'aréopage qui a été réuni en cette occurrence. Comment 1'interpréter ? N'est-ce pas la traduction d'un rapport de force au profit de l'armée ? Ce qui soulève maintes observations interrogatives. La première regarde l'anticipation même du scrutin présidentiel, avancé de trois mois. Quels facteurs ont pesé pour le changement inattendu et toujours inexpliqué officiellement de l'agenda électoral ? C'est d'autant plus problématique qu'il était admis qu'il était candidat pour un second mandat : il ne l'a jamais déclaré mais il y pensait sans doute tous les jours en se rasant. Voici quatre semaines seulement, l'agence officielle Algérie presse service (APS) directement reliée à la direction de la communication de la présidence de la République, a répondu à des rumeurs sur un possible report de l'élection présidentielle avec cette mise au point : "Les élections auront lieu en temps, tel que c'est prévu per la Constitution, et ce par respect pour le peuple algérien, seul détenteur se la souveraineté". Mais alors si le peuple est si souverain, pourquoi avoir avancé le 7 septembre pour un rendez-vous avec les électeurs ? Sans aucune forme d’explication. Tebboune était de fait constamment en campagne électorale. Le 26 décembre dernier, devant le Parlement (Assemblée nationale et Sénat), il a adressé le bilan des quatre années de son mandat. Ce n'était pas un "message" comme le lui permet la Constitution (art.150) mais un discours d'une heure et demie sur "L'Algérie Nouvelle", du bilan de sa présidence, les réalisations et les objectifs de son programme depuis décembre 2019. Cette procédure est exceptionnelle : elle n'a été utilisée qu'une seule fois par Abdelaziz Bouteflika dans un message relatif à la révision de la Constitution et de la possibilité pour lui de briguer en 2016 un quatrième mandat. La presse officielle a été dithyrambique après le discours de Tebboune, voici un mois : "L'Algérie se porte bien", "L'Algérie se développe", ayez confiance en notre peuple", "Un discours pour l'histoire",... Des parlementaires l'ont interpellé pour un second mandat". Sa réponse a ouvert cette option : "La parole revient au peuple et que Dieu nous prête la santé nécessaire". Il faut ajouter qu'à certains de ses visiteurs de confiance, il avançait que son œuvre était inachevée par suite de la pandémie Covid-19 (2020-2022), de son hospitalisation et de sa longue convalescence. L'hypothèse d'un second mandat est étayée par d'autres faits en 2023. Ainsi, la mobilisation par la présidence de partis satellites du pouvoir, soldée par un accord à huis clos, le 4 juin, entre les formations suivantes : FLN, RND, Rassemblement Front El- Moustakbal, La Voix du Peuple, le parti El-Karama, L'Espoir Algérien (TAJ), Union des forces démocratiques et sociales, et Mouvement Ennahda, etc. Le texte commun des 29 signataires - avec des syndicats et des organisations nationales - déclare vouloir" renforcer la cohésion nationale, renforcer le front intérieur, et faire face aux menaces et aux risques qui pèsent sur le sécurité, les institutions et l'unité de l'Algérie".

Tebboune , par défaut...

Cela dit, il semble bien que Tebboune soit un candidat par défaut. Les généraux n'ont pas cessé cependant de voir s'il était possible de prévoir un "Plan B". Le marché potentiel des "présidentiables" n'est pas probant : tant s'en faut. L'âge des profils est rédhibitoire : Ahmed Taleb Ibrahimi (92 ans), Sid Ahmed Ghozali (86 ans), Ali Benflis (80 ans), Mouloud Hamrouche (81 ans), Ahmed Benbitour (78 ans),... Ils ont été soit Premier ministre, soit candidats à l'élection présidentielle. Sauter une génération ? Pourquoi pas, mais aucun profil ne se détache. Remtane Lamanra, ancien ministre des Affaires étrangères (72 ans) mais d'origine kabyle, a été envisagé un temps par les généraux mais Tebboune l'a limogé voici un an, le 18 mars 2023. Un casse-tête donc pour les généraux qui ont besoin d'une personnalité civile comme paravent à la nature militaire du régime - Bouteflika a été choisi en 1999 avec cette même préoccupation. L'élection présidentielle aujourd'hui est la conséquence de cette impasse : elle permet d'offrir une solution provisoire d'attente. Élu le 7 septembre prochain face à d'autres candidats, au premier tour, Tebboune pourra alors effectuer une visite officielle à Paris en tant que Chef d'État réinvesti dans les semaines qui suivront.

Mais les grandes hypothèques de son régime continueront à peser sur le déroulé politique, économique, et social et diplomatique de son pays. La gestion du statu quo et le pouvoir décisionnaire des généraux resteront toujours à l'ordre du jour d'un "système" qui n'est pas réformable sur des bases démocratiques.