Report de la présidentielle, le Sénégal modèle a-t-il atteint ses limites ?

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Le président sénégalais Macky Sall fait un geste alors qu'il quitte le pays après avoir rencontré le président français au palais de l'Élysée, dans le cadre du sommet du nouveau pacte financier mondial à Paris, le 23 juin 2023. Dans un discours à la nation, le président sénégalais Macky Sall a annoncé le 3 février 2024 le report sine die de l'élection présidentielle prévue le 25 février, quelques heures seulement avant le début de la campagne officielle. (Photo Ludovic MARIN / AFP)

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La décision-choc du président Macky Sall de reporter sine die la présidentielle du 25 février est une première dans l'histoire du Sénégal depuis l'indépendance qui suscite beaucoup d’interrogations et de nombreuses réactions de rejets et d’inquiétude.

Un contexte chargé 

Le Sénégal a été en proie depuis 2021 à plusieurs épisodes d'émeutes, de pillages et de manifestations, provoqués par le bras de fer entre l'opposant antisystème Ousmane Sonko et le pouvoir. Ils ont causé la mort de dizaines de personnes et donné lieu à des centaines d'arrestations.

M. Sonko, visé par différentes procédures judiciaires qu'il a dénoncées comme autant de stratagèmes pour l'écarter de la présidentielle, a été inculpé et écroué en 2023 pour appel à l'insurrection, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste et atteinte à la sûreté de l'Etat. Son parti, le Pastef, a été dissous.

Le refus d'un troisième mandat de M. Sall a contribué aux tensions. Après avoir longtemps maintenu le flou, M. Sall a annoncé en 2023 qu'il ne concourrait pas. Ce que qui fait que suite à sa décision de reporter le présidentielle dans fixer de date à l’échéance suscite la suspicion sur ses intentions réelles, nombreux étant qui y voit une manière de perdurer au pouvoir.

 Dans une déclaration au journal français Le Monde, le professeur de droit Babacar Gueye s’inquiète : « Ce report risque de déstabiliser notre démocratie, nous ne savons pas ce que cela peut entraîner, s’inquiète. C’est un mauvais signal adressé aux partenaires internationaux et aux pays africains, nous cessons d’être un modèle de démocratie sur le continent. » Les Etats-Unis se sont ainsi déclarés « profondément préoccupés » par cette annonce ont pressé les autorités de fixer « rapidement et dans le calme » une nouvelle date au scrutin.

La décision de Macky Sall d’abroger le décret convoquant l’élection présidentielle n’est pas justifiée, selon l’expert, le pays n’étant pas dans une crise constitutionnelle. « Le conseil n’a pas été dissous. Ce report ne repose sur aucune base juridique, mais sur des raisons politiques », dit-il, insistant sur le fait que le mandat de Macky Sall se termine le 2 avril 2024.

Un processus contesté 

Le Sénégal est entré en période pré-électorale dans l'inquiétude de nouvelles violences. Le Conseil constitutionnel a validé en janvier vingt candidatures, mais éliminé celles de M. Sonko et d'une autre figure de l'opposition, Karim Wade, ce dernier ayant la double nationalité. Mais les craintes de nouvelles confrontations ne se sont pas concrétisées. La diversité des candidatures a même été saluée comme un signe d'inclusivité.

Mais le rejet des dossiers de MM. Sonko et Wade et de dizaines d'autres prétendants, ainsi que la confusion sur le fichier électoral et autour du système des parrainages nécessaires pour être candidat ont suscité de multiples protestations et de soupçons d’actes prémédités pour provoquer un reports des élections.

Un scrutin indécis comme jamais 

L'absence pour la première fois du sortant à l'élection et la multiplicité des candidatures annonçaient un scrutin ouvert comme jamais. Le candidat du camp présidentiel, le Premier ministre Amadou Ba, adoubé par M. Sall, a été publiquement critiqué par les siens, et faisait face à des dissidents.

M. Sonko a certes été disqualifié, mais, contre une attente largement répandue, le Conseil constitutionnel a retenu celui que son parti avait désigné, Bassirou Diomaye Faye, emprisonné lui aussi, mais pas condamné contrairement à son chef. M. Faye s'est imposé ces dernières semaines comme un postulant crédible à la victoire, un scénario cauchemar pour le camp présidentiel.

L'affaire Wade 

Le Conseil constitutionnel a disqualifié M. Wade parce que il était Franco-Sénégalais au moment de son dépôt de candidature, ce que M. Wade conteste. La Constitution interdit la double nationalité à un candidat.

M. Wade a lancé une campagne contre le Conseil constitutionnel, accusant deux de ses membres de collusion avec certains candidats, dont le Premier ministre. Il a réclamé le report de l'élection et porté le combat à l'Assemblée nationale, demandant une commission d'enquête et déclenchant une vive querelle sur la séparation des pouvoirs.

Contre toute attente, en apparence seulement, les députés du camp présidentiel ont soutenu la demande de commission, celle-ci permettant d’épaissir la confusion qui justifierait, entre autres le reports, même si ce camp assure ne pas vouloir que sa victoire souffre de contestation. L'Assemblée a approuvé la commission, alimentant la suspicion d'un plan ourdi pour ajourner l'élection et éviter la défaite.

Le rebondissement Wardini 

Avec le Conseil constitutionnel, c'est une institution capitale dont la légitimité est attaquée à un moment critique. Il proclame les résultats de l'élection et statue sur les éventuelles contestations.

Or quelques jours avant l'ouverture de la campagne ont été publiées sur les réseaux sociaux des informations selon lesquelles une autre candidate, Rose Wardini, avait, elle aussi, la double nationalité, alors qu'elle a été qualifiée. Elle a été placée en garde à vue vendredi.

Pourquoi cette élection importe 

La présidentielle suscite un intérêt sans mesure avec celle d'un autre pays de 18 millions d'habitants, parmi les trente derniers au monde à l'indice onusien de développement humain, même si le Sénégal devrait commencer à produire des hydrocarbures en 2024, ce qui n’est pas sans compliquer la situation et nourrir les convoitises .

Alors que les coups d'Etat se sont succédés ces dernières années en Afrique de l'Ouest, le Sénégal n'en a connu aucun, une rareté sur le continent. Américains et Européens vantent la stabilité et la pratique sénégalaise de la démocratie et de l'alternance. Le Sénégal a élu tous ses présidents au suffrage universel depuis 1963 et en a même changé par les urnes. (Quid avec AFP)