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Royaume-Uni : Médias mainstream vs réseaux sociaux : le débat fait rage – Par Abdelghani AOUIFIA
La vague de violence anti-immigration qui déferle actuellement sur plusieurs villes britanniques a poussé au-devant de la scène le débat sur l’usage des réseaux sociaux, sur la base de fake news, par des groupes d’extrême droite et d’autres pour attiser la tension sociale
Par Abdelghani AOUIFIA (Bureau de MAP à Londres)
Londres - À l’intérieur du Maid of Muswell, l’un des nombreux cafés qui bordent l’artère principale de Muswell Hill, un quartier du nord de Londres, le bourdonnement tranquille du début de soirée s’installe. Les écrans de télévision silencieux meublent les lieux où les clients dégustent leurs boissons, les yeux fixés sur leurs smartphones.
Rapidement, la discussion s’enflamme à l’écoute d’un rapport télévisé sur les réseaux sociaux et les Fake News dans un pays qui a vécu un été 2024 rythmé par des violences anti-immigrés fomentées sur la toile.
Peter, un défenseur de la presse traditionnelle, s’est lancé dans une attaque virulente contre la consommation à outrance d’internet pour s’informer, rappelant, avec un brin de nostalgie et d’amertume, les beaux jours des médias britanniques, leur rigueur et leur respect des règles fondamentales du métier.
« Nous avons besoin d’une intervention robuste pour réglementer les réseaux sociaux, protéger les médias sérieux et mettre fin à l’anarchie qui risque de déborder », indique ce sexagénaire.
En août dernier, plusieurs villes du Royaume-Uni ont été le théâtre de violentes émeutes menées par des groupes d’extrême droite qui criaient des slogans anti-immigrés et islamophobes et attaquaient des mosquées et des hôtels connus pour accueillir des réfugiés.
Les émeutes ont commencé suite au meurtre, le 29 juillet, de trois fillettes dans la ville côtière de Southport et la diffusion de fausses informations attribuant le crime à un demandeur d’asile.
La campagne de désinformation qui a suivi ce crime était tellement intense qu’elle a suscité un débat houleux sur les réseaux sociaux, devenus « une véritable poudrière de haine sociale », selon les analystes.
Entre respect du droit d’expression dans une des grandes démocraties et devoir de protéger la société contre « les déboires » de médias qui échappent au contrôle, le débat a été polarisé.
Les déclarations des responsables du nouveau gouvernement travailliste à peine entré en fonction après 14 années dans l’opposition à l’ombre du parti conservateur fusaient, promettant une action efficace pour réglementer le secteur. La chambre des lords, haute chambre du parlement, s’est saisie du dossier, élaborant un rapport qui doit servir de base pour tracer les contours d’une nouvelle stratégie en la matière.
Au milieu du débat, les raisons du recul des médias dits mainstream face à la déferlante des réseaux sociaux ont pris les devants du débat. L’hégémonie débordante de ces réseaux et la décadence du modèle financier des médias conventionnels poussent la société britannique vers un journalisme à deux vitesses : un journalisme de haute qualité réservé à une élite restreinte, et un autre peu fiable ouvert au grand public, a constaté la commission des communications et du numérique de la chambre des lords.
La perspective n’est pas sans implication « périlleuse » pour le modèle démocratique du pays, avertit l’instance législative. « La fracture irréparable » n’est pas loin, soutient la Baronne Stowell, présidente de la commission, relevant que dans le nouvel environnement, seule une minorité aura accès à un contenu d’excellence, tandis que la majorité s’appuiera sur les informations généralement peu fiables qu’elle peut trouver sur les réseaux sociaux.
Une action urgente pour gérer la concurrence dans le secteur des médias est recommandée, sans pour autant oublier le soutien aux médias mainstream afin de leur permettre de survivre et, peut-être, s’épanouir dans le nouvel ordre.
L’environnement est sans merci pour ces médias. Les chiffres le confirment. Le développement des réseaux sociaux a entraîné une réduction des revenus publicitaires et réduit la possibilité de maintenir un réseau d’information de qualité.
Cette situation a conduit à un exode massif vers les réseaux sociaux, les groupes de presse connaissant une baisse de leur lectorat. Ainsi, le lectorat du Daily Mail et de son édition dominicale, le Mail on Sunday a baissé à 13%, alors que ce recul a été de l’ordre de 10% pour le Guardian.
La tendance est plus remarquée pour la télévision linéaire. Ofcom, l’organisme de régulation des communications au Royaume-Uni, a fait savoir, dans un récent rapport, qu’Internet est en train de remplacer la télé comme source principale d’information.
Quelque 71% des adultes britanniques consomment l’information online. Globalement, 52% de la population du pays ont utilisé les médias sociaux pour s’informer en 2024 contre 47% en 2023, les plateformes les plus populaires étant Facebook, Youtube, Instagram et X.
Paradoxalement, le site de la BBC, la chaine de télévision publique, n’est utilisé que par 18% des adultes britanniques.
Les professionnels des médias dans le pays s’inquiètent de cette tendance qui marque un changement radical. « Ce n’est pas seulement un problème pour les journalistes, c’est un problème pour la société toute entière », indique Fiona Bruce, une des vétérans de la BBC.
En toile de fond de cette inquiétude, le peu de contrôle des réseaux sociaux, qui peuvent se transformer, selon la journaliste, en « une arme fatale » de désinformation.
« Une fois qu’une fausse information est publiée, il est presque impossible de la corriger », s’insurge-t-elle.