TRUMP, GAZA ET LE DROIT INTERNATIONAL - Par Mustapha SEHIMI

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Un graffiti représentant la reconstruction de Gaza, sur une section de la barrière de séparation israélienne, à Bethléem en Cisjordanie occupée, le 12 février 2025.. (Photo HAZEM BADER / AFP)

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"Prendre le contrôle " de la bande de Gaza, la "posséder" en vue d'en faire "la Riviera du Moyen -Orient": voilà donc le projet du président Trump! Une violation grave des principes du droit international du droit international humanitaire en particulier.

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Ces propos du chef de l'exécutif américain ont été tenus lors d'une conférence de presse aux côtés du Premier ministre israélien Netanyahu, le 4 février courant. Ils sont choquants! Les Palestiniens sortiront ainsi, selon lui, du « trou noir ». Ils seront déplacés, ou plutôt déportés ailleurs - en Égypte, en Jordanie aussi. Refus de ces deux pays qui se sont mobilisés en vue d'un sommet interarabe prévu le jeudi 20 février à Riyad devant réunir les dirigeants de d'Arabie Saoudite, d'Égypte, des Émirats arabes unis, du Qatar et de la Jordanie du "trou d'enfer" qu'est selon lui Gaza.

Une seule et même entité territoriale

Gaza " terra nullius" ? Personne ne peut le dire et le croire. C’était un territoire sous domination ottomane jusqu'en 1917, placé en 1922 sous mandat britannique qui a pris fin en 1947. La proclamation d'Indépendance d'Israël en 1948 conduit à l'occupation de cette bande par l'Égypte. Un armistice en 1949 fixe les lignes de séparation des frontières. Elle a été habitée par des Palestiniens - quelque 2,4 millions - avant le 7 octobre 2023 qui ont fui leurs terres à la création d'Israël. 

La bande de Gaza était sous administration égyptienne depuis la guerre israélo-arabe de 1948-1949 et le demeurera jusqu’en 1967, elle sera alors occupée par Israël. Par la suite, les accords d'Oslo font de l'Autorité palestinienne l'autorité de gouvernement des Palestiniens dans la bande de Gaza. Celle-ci constitue une "unité territoriale" avec la Cisjordanie et Jérusalem -Est. Du point de vue juridique, comme l'a rappelé tout récemment la Cour Internationale de justice de La Haye dans son avis du 19 juillet 2024, "le Territoire palestinien occupé constitue une seule et même entité territoriale, dont l'unité, la continuité et l'intégrité doivent être préservées et respectées ( résolution 77/244 de 1'Assemblée générale, par.12; article XI de l'accord d'Oslo II; résolution ES- 10/20 (2018) de l'Assemblée générale, seizième alinéa du préambule; résolution 1860 (2018) du Conseil de sécurité, deuxième alinéa du préambule résolution 2720 (2023) du Conseil de sécurité, quatrième alinéa du préambule (& 78). C'est dire le caractère bien assis de cette qualification juridique.

Un statut d'État... sous occupation

Les accords d'Oslo n'ont pas mis fin à l'occupation israélienne. Israël s'est en effet maintenu militairement dans la bande jusqu'en 2005. A cette date, elle s'en retire tout en maintenant cependant le contrôle sur ce territoire (contrôle des frontières, restrictions à la circulation des personnes et des marchandises, perception des taxes à l'importation et à l'exportation, et contrôle militaire sur la zone tampon). La CIJ l'a rappelé en précisant que " cela est encore plus vrai depuis le 7 octobre 2023 "(§ 93). En résumé, la bande de Gaza est un territoire dont 1e statut est défini par les accords d'Oslo, lesquels protègent son unité et son intégrité. Mais elle se trouve actuellement sous occupation israélienne. Ces deux qualifications emportent des conséquences juridiques que la proposition de Trump méconnaît totalement. C'est là, assurément, une illustration rare d'un projet explicitement illicite au sens du droit international et explicitement criminel, au sens du droit international pénal. 

Dans cette même ligne, l'on pourrait aller plus loin en ce sens que les déclarations du nouveau locataire de la Maison Blanche pourraient constituer en elles-mêmes une violation du droit international. Au passage, il vaut de rappeler en effet que la Charte des Nations-Unies interdit en son article 2§4 "la menace" de recourir à la force contre "l'intégrité territoriale" ou "1'indépendance politique" de tout État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte". Il faut ajouter, indépendamment de la discussion éventuelle de la qualité d'État de la Palestine, un argument de principe ! Celui du droit du peuple palestinien à l'autodétermination, protégé par l'article 1§2 de la Charte. Mais il y a plus. Ainsi la Palestine a le statut d'État en tant qu'observateur auprès de l'ONU (résolution 67/19 du 29 octobre 2012); elle est également partie au Statut de Rome; ce qui confère par ailleurs compétence à la Cour pénale internationale (CPI) pour connaître des crimes perpétrés à Gaza. - La délivrance récente d'un mandat d'arrêt contre Netanyahu l'illustre; elle confirme que la réalisation du projet américain pourrait entraîner la délivrance d'un mandat similaire contre ses responsables...

Crime contre l'humanité

S'agissant de ce qui relève du Statut de Rome et donc de la compétence de la Cour pénale internationale, il faut souligner que la déportation consiste en un déplacement forcé de la population. L'article 7 définit" par déportation ou transfert forcé de population" le fait de "déplacer de force des personnes en les expulsant ou par d'autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motifs admis en droit international". Il s'agit d'un crime contre l'humanité. Il faut ajouter à cette première qualification la kyrielle de crimes de guerre qu'une telle entreprise de déplacements forcés et de "reconstruction totale " de Gaza, comme l'a affirmé le Président américain-ils sont énumérés aux paragraphes I15 et suivants de l'avis précité de la CIJ en 2024 (confiscation de terres, extension d'une législation étrangère sur ce territoire, etc).

Alors ? La seule énonciation du projet américain est en elle-même une violation de l'obligation qui pèse sur " tous les États" de ne pas "reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite d'Israël dans le Territoire palestinien occupé". La CIJ considère que l'ensemble les États sont de ce fait "tenus de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette présence; Tous les États doivent veiller, dans le respect de la Charte des Nations- Unies à ne pas a appréhender comme licite la situation découlant de la présence illicite d'Israël dans le Territoire palestinien occupé" (CIJ, avis consultatif du 19 juillet 2024,§279). La promesse que des annonces seraient faites prochainement à propos de la Cisjordanie est fortement préoccupante: elle laisse augurer de nouvelles violations de ces obligations définies par la Charte des Nations- Unies et le droit international…

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