chroniques
Ce que racontent les déboires du PAM – Par Bilal Talidi
La troïka issue du dernier congrès du PAM: des accolades qui ont vécu
Il y a quelques jours, deux incidents ont éclaté au sein du Parti Authenticité et Modernité (PAM) : le premier concerne Salah Eddine Aboulghali, un membre de la troïka qui dirige le PAM. Il a fait l'objet d'une décision d'expulsion du parti pour des raisons qui varient selon les versions données par lui et par ses compères de la troïka. Le second incident concerne un président d'un conseil communal dans la région de Tazrout (région de Moulay Abdessalam), qui a également été expulsé du parti pour des comportements présumés « contraires aux valeurs éthiques du parti ». Cependant, lui aussi présente une version différente, affirmant que sa radiation est liée à un conflit juridique entre lui et la famille Baraka.
Le récit du président du conseil communal indique que la personne concernée par le litige, issue de la famille Baraka, est l’époux de Fatima Ezzahra El Mansouri, coordinatrice de la troïka dirigeante du PAM. Il affirme avoir subi de fortes pressions de la part des dirigeants du parti pour faciliter la plus grande opération « contre les terres de cinq douars de la région ». Par conséquent, il s’estime ainsi « en conflit avec deux partis de la coalition gouvernementale : le parti de l'Istiqlal et les dirigeants du PAM, qui chercheraient à plaire à la famille de l’époux de Fatima Mansouri, et, prétend-il préserver la coalition gouvernementale.
De la sphère privée à la sphère publique
En réalité, il est difficile de comparer les récits de chaque partie. Tant Salah Eddine Aboulghali qu'Ahmed Louhabi ont essayé de documenter leurs allégations, mettant ainsi la direction du parti dans l'embarras. Mais ils ont surtout démontré que la commission d'éthique, en mêlant sphère privée et sphère publique, fonctionne de manière autoritaire et sans respect des procédures. De plus, la direction du parti n'a jusqu'à présent fourni aucun indicateur satisfaisant des motifs qui ont conduit à l'expulsion des deux hommes.
Ce qui importe dans ces deux incidents, en réalité, ce ne sont pas ces détails, bien qu'ils soient significatifs. Mais autre chose qui est en lien avec ce que le fondateur du parti avait déjà souligné lorsqu'il avait pris ses distances avec le PAM. Il avait alors précisé que le parti s'était éloigné des principes sur lesquels il avait été créé, et noté de nombreuses déviations par rapport à son programme politique. Fondateur ».
Ces pratiques n’ont fait depuis que s’aggraver et montrent à quel point la déviation est devenue profonde, soulevant ainsi la question de savoir s'il est encore possible d'y remédier et de justifier l'existence de ce parti sur la scène politique.
Certains tentent de minimiser ces détails et cherchent des interférences à ce conflit. Ils supputent que les anciennes directions, qui ont été écartée, alimentent ce conflit en coulisse, et que des questions liées au remaniement ministériel l'ont incitée à ouvrir des dossiers contre Fatima Ezzahra El Mansouri, tentant de présenter l'état du parti comme s'il s'agissait d'une propriété privée de la "fille du pacha", en allusion à son défunt père.
Le récit de Salah Eddine Aboulghali et d'Ahmed Louhabi fait également référence à la question du remaniement ministériel. Cependant, peu importe la nature de ce remaniement et s'il mettra fin aux fonctions de certains ministres du PAM, notamment Abdellatif Ouahbi, ou même si ce remaniement aura lieu ou pas. Le problème est bien plus profond qu'un simple événement conjoncturel ou qu'un remaniement ministériel. Il est fondamentalement lié à l'identité doctrinale du parti et à sa capacité à défendre son pari politique. Il consiste aussi à savoir si la structure sociologique interne du parti permet, elle, de soutenir ce pari ?
Les notables prennent le pas sur le politique
La création du PAM ne diffère pas beaucoup de la création des autres partis administratifs en ce qui concerne le rassemblement des notables, même si au départ, il y avait une volonté manifeste de diversifier la base de ses composantes, en intégrant des membres de l’ancienne « nouvelle gauche », des déserteurs des partis démocratiques, des libéraux et des laïcs, tout en s'ouvrant à l'adhésion de certains islamistes.
Ce qui distingue la fondation du PAM, c'est la migration massive des notables vers ce parti. Ces derniers ont su saisir au vol les changements politiques de la conjoncture dans laquelle le. PAM a été créé et n'ont pas hésité à quitter leurs anciens partis pour le rejoindre, estimant que leurs intérêts seraient mieux protégés avec ce nouveau parti. Ce qui n’a pas été sans provoquer un déséquilibre dans la répartition des notables, rendant difficile la gestion de leurs contradictions et de leurs intérêts électoraux (qui ouvrent la voie à l'expansion d'autres intérêts). Par conséquent, de nombreux conflits sont nés et continuent d'éclater, révélés par les médias à chaque occasion.
Le premier pari politique de ce parti était de stopper l’ascension des islamistes et leur domination à l’époque de la scène politique. Ce pari n’a pas rencontré le succès escompté à deux reprises : d'abord en 2011, à cause de l’effervescence socio-politique que connaissait la scène arabe, et ensuite en 2016, en raison de l'échec de la direction du PAM à obtenir la première place qu’elle briguait aux élections.
Les clivages sur le rôle du parti
Ces deux échecs électoraux par rapport aux objectifs affichés, ont produit un choc au sein du parti, provoquant dans son sillage des clivages dans les points de vue et les analyses. Certains ont estimé que la position de l'État vis-à-vis du parti n'a pas changé, qu'il continue de le considérer comme un pari central, et que l'essentiel a été fait avec le changement de leadership ou du moins son éloignement de la scène, rétablissant ainsi la situation précédant l'époque d'Ilyas El Omari.
D'autres ont considéré que la position de l'État n'est pas stable, que son soutien au PAM n'est pas un choix permanent, et que son pragmatisme le pousse à réagir aux options réalistes. Ils estimaient que dans son état actuel, le PAM ne fournit pas à l'État les garanties nécessaires pour qu'il puisse avoir confiance en la capacité du parti à remplir le rôle politique pour lequel il a été créé. Pour cette raison, le parti devait accomplir un travail considérable sur lui-même, à la fois dans son discours politique et ses relations avec les autres acteurs politiques, mais aussi en changeant de leadership et en adoptant une approche plus rationnelle pour gérer les contradictions d'intérêts des notables. Il devait aussi rompre avec les nouveaux notables qui ont émergé grâce aux relations clientélistes au sein du parti. Dans leur considération, cela ne pouvait être réalisé qu'en libérant le centre du pouvoir du parti de l'emprise ethnique et régionale.
L’épisode Abdellatif Ouahbi représentait cette deuxième optique. Son plus grand objectif était de convaincre les différentes composantes du paysage politique, y compris l'État lui-même, qu'il était possible de changer l'image du parti, de le purifier de ses déviations, de prendre ses distances avec la période autoritariste du parti (l'époque d'Ilyas El Omari), et de normaliser complètement le parti politiquement. M. Ouahbi assurait vouloir que le PAM soit perçu comme un « parti ordinaire », semblable à tous les autres.
La déception de M. Ouahbi
A sa grande déception, Abdellatif Ouahbi qui estimait qu'il était possible de réussir dans cette mission sans modifier radicalement la structure sociologique du parti, va se rendre. Compte à la fin de son mandat au poste de secrétaire général qu’il n’en était rien su bien qu’à la surprise générale, lors des élections internes du parti, personne ne s'est présenté au poste de secrétaire général, ni lui pour être reconduit ou éconduit, ni un autre pour le remplacer. La crise interne du PAM ne pouvait mieux s’exprimer, personne ne sachant ce qui allait advenir du parti et de sa direction indépendante, avant que l'idée d'une direction « collégiale » tripartite, qui n'avait jamais été discutée auparavant, ne soit proposée. `
Il devenait ainsi clair pour tous que la mission de M. Ouahbi n'a été qu'un coup d’épée dans l’eau, que la structure sociologique du parti avait pris le dessus sur les considérations politiques, et que changer la nature du parti de la manière dont M. Ouahbi en rêvait était impossible dans un cadre où les intérêts personnels, somme toute légitimes dans un parti, passaient toutefois avant l’intérêt politique du parti et où ses membres ne le voient pour la plupart que comme un simple outil. Ses dirigeants, lorsqu'ils sont dans l’incapacité de gérer leurs contradictions internes de manière rationnelle, se réfugient derrière l'expression devenue ritournelle : "des instructions venues d'en haut".
Il apparait ainsi clairement qu’il y a une grande différence entre la manière dont les politiciens et les notables gèrent leurs contradictions internes. Si pour les politiciens, même lorsque le conflit est d'ordre personnel, le temps et la manœuvre politiques priment, pour les notables le temps politique semble long et n’ont aucune patience pour attendre que leurs adversaires fassent de faux pas justifiant leur exclusion. Manipulant les statuts et les procédures internes dans l’urgence de leurs impatiences, ils leur substituent les « directives venus d’en haut ». Ils persistent à se protèger sous le parapluie de ce les a amenés au parti, à savoir l'ombre du pouvoir pour préserver et fructifier leurs intérêts, bien que de nombreuses choses aient changé, et que de plus en plus d’indicateurs montrent que le PAM, tel qu’il est aujourd’hui, avec les pratiques de ses membres et de ses responsables, est devenu plus un fardeau pour l'État et un danger pour la politique qu’un instrument efficace et efficient.