Congrès du PJD : le leadership de Benkirane à l’épreuve de l’avenir - Par BILAL TALIDI

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Abdalilah Benkirane, même en oligarque vieillissant qui rappelle ceux de l’Union soviétique chancelante, n’a pas l’intention de céder quoi que ce soit de sa main mise sur le PJD

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À l’approche de son neuvième congrès, le Parti de la justice et du développement (PJD) traverse une crise existentielle. Entre la désertion de ses cadres historiques, l’absence de vision politique claire et l’emprise de Benkirane sur la direction, le parti islamiste marocain joue sa survie politique dans un paysage en mutation, analyse Bilal Talidi.

Un congrès sous haute tension 

Dans une semaine, se tiendra le neuvième congrès du Parti de la justice et du développement (PJD), dans un contexte de grandes difficultés financières. Un congrès que les militants de cette formation considèrent comme décisif, marquant soit la remise du parti sur les rails pour rétablir son rôle dans la vie politique, soit le début de la fin, scellant la parenthèse de toute possibilité de reprendre l’initiative.

La réponse à cette question cruciale, au sein des différentes sensibilités du parti, dépend de l’évaluation de la période ayant suivi le congrès extraordinaire, et de le degré de réussite du secrétaire général actuel, Abdalilah Benkirane, dans sa mission de mener PJD vers le salut, en tenant sa promesse de faire du neuvième congrès un moment d’unification des diverses composantes du parti.

Sur ce point, les avis divergent beaucoup. Si tous s’accordent à reconnaître qu’un travail important a été accompli pour corriger les positions du parti, exercer une opposition solide fondée sur des arguments tangibles, et revigorer la capacité du parti à mobiliser la société — comme ce fut visible lors de plusieurs événements (affaire des conflits d’intérêts, débat sur le Code de la famille, marche de solidarité avec Gaza) —, le consensus s’estompe lorsqu’il s’agit d’évaluer l’impact de ces efforts sur le plan interne. En d’autres termes, la question reste posée quant à la capacité de la direction actuelle à clore les dissensions internes, ramener les cadres et militants au sein du parti, tourner la page du passé et s’engager sérieusement dans la construction de l’avenir.

Le secrétaire général du PJD a reconnu, lors de la conférence de presse organisée par le parti pour présenter les données relatives au neuvième congrès, que les effectifs du parti avaient diminué de moitié, passant de 40 000 à 20 000 membres. Sans fournir d’explication à cette érosion, il s’est contenté de contourner l’échec en affirmant que cette situation ne le dérangeait pas, car, au final, ce qui importe n’est pas le nombre, mais l’efficacité, le dynamisme et la renaissance du rôle du parti.

Une direction verrouillée, des cadres marginalisés

L’explication la plus proche de la réalité le gêne en effet : bon nombre de ceux qui avaient rejoint le parti pour les avantages qu’il offrait lorsqu’il était au gouvernement, l’ont quitté. Certains ont rejoint d’autres formations politiques, tandis qu’une proportion non négligeable s’est retirée à cause de désaccords avec la direction actuelle ou en raison d’une évaluation pessimiste de l’avenir du parti, dans un contexte d’absence de vision ou de renouvellement du leadership.

L’une des figures de l’ancienne direction du PJD, Mustapha Ramid, après une première sortie sur le site d’information Sawte Almaghrib, a accordé un long entretien à le média en ligne Achkayen, en 25 épisodes, dans lequel il retrace son parcours au sein du parti, ses différends avec la direction (Benkirane et El Otmani), et adresse trois messages au neuvième congrès :

Le premier : Abdelilah Benkirane tient au pouvoir, et ne quittera jamais le poste de secrétaire général. Toute tentative de l’en déloger se heurtera au même scénario que par le passé, avec des interventions extra-institutionnelles de sa part pour influencer les décisions du parti et retirer toute légitimité à une éventuelle nouvelle direction.  

Le deuxième : Ses déclarations ont déjà engendré des tensions institutionnelles, notamment avec la monarchie. Sa reconduction signifie donc un retour probable à un bras de fer avec l’État.  

Le troisième : L’État n’a aucun problème avec le parti en tant que tel, mais avec Abdalilah Benkirane personnellement. Si le parti souhaite retrouver une liberté d’action et remplir de nouveaux rôles, le coût serait simple : que Benkirane quitte volontairement le leadership, ou qu’il en soit écarté par un vote du congrès.

Le secrétaire général du PJD a répondu par un certain dédain en affirmant à plusieurs reprises ne pas suivre les épisodes de Ramid et qu’il ne comptait pas lui répondre. Une large partie de la base militante du parti a interprété les propos de Ramid comme des messages émanant de l’extérieur du parti, véhiculés par l’un de ses anciens dirigeants. Benkirane aurait ainsi, réussi à faire de ces 25 épisodes un renforcement implicite de sa légitimité à la tête du parti pour la période à venir. Par son rouerie politique, il a su contourner les questions embarrassantes concernant la pertinence de son rôle dans la nouvelle phase.

L’élite politisée du parti pose aujourd’hui la question du bilan au regard des engagements que Benkirane avait pris lors de son élection à la tête du parti, en décembre 2021, avec 81 % des voix au congrès extraordinaire. Cela concerne en particulier la réconciliation interne, la réforme de l’outil organisationnel du parti, et la vision censée renouveler son rôle dans la période à venir.

Sur le plan interne, Benkirane a adopté une nouvelle logique pour la relance organisationnelle du parti : « Je ne vais pas changer pour que mes opposants me rejoignent. Ceux qui veulent travailler avec moi sont les bienvenus, les autres sont libres de partir. »  Il a refusé d’engager un dialogue interne pour évaluer la phase précédente, arguant que cela ne ferait qu’aggraver la crise du parti. Pourtant, dans tous ses discours, il s’est permis de diffuser sa propre version de la crise pendant trois ans, jusqu’à ce que certains membres du secrétariat général démissionnaires à la suite des élections de 2021 commencent à publier, tour à tour, leurs propres récits sur un site d’information (notamment Mustapha Ramid et Lahcen Daoudi).  

Benkirane a également déclaré avoir pas engagé de dialogue de réconciliation avec les cadres du parti, car il estime qu’ils reviendraient d’eux-mêmes lorsque les positions du parti s’ajusteraient et que celui-ci s’engagerait dans les grandes batailles politiques. Ce retour, selon lui, se ferait naturellement pour défendre le parti face à ses adversaires. Mais cela ne s’est pas produit, même lors de la bataille autour du Code de la famille, où Ramid a exprimé des positions proches de celles du parti, mais depuis une posture externe, comme pour signifier la pluralité des soutiens aux causes liées à l’identité et aux fondements idéologiques.

L’évaluation globale de cette situation montre que les anciens dirigeants maintiennent leur jugement critique sur le style de Benkirane, bien que leurs distances avec le parti varient. Mustapha Ramid, Aziz Rebbah et Abdelkader Amara ont opté pour la démission ou le gel de leur adhésion. Lahcen Daoudi et Mohamed Yatim ont, quant à eux, continué à travailler avec le parti, sans pour autant se rapprocher de la direction. Saâdeddine El Othmani a, lui, préféré prendre du recul et plaider publiquement pour une direction nouvelle et plus jeune.

Stagnation et personnalisation du pouvoir, ombre du passé, flou sur l’avenir

Sur le plan de la réponse à la question de l’avenir et de de la vision que le parti devrait en avoir – un enjeu distinct des polémiques liées à la destitution de Benkirane en 2017 – le PJD n’a présenté aucune proposition claire. Il n’a pas non plus posé les questions fondamentales sur sa relation avec l’État, ni sur la possibilité d’assumer un nouveau rôle à l’avenir, ou sur l’orientation politique à adopter.

L’expérience passée, résumée en une phrase, démontre que le style Benkirane s’est soldé par une impasse ("blocage"), et une crispation des relations avec l’État. Et ce, malgré son discours récurrent sur la monarchie, sa défense de l’institution royale, et sa volonté affichée d’éviter tout conflit. Il a d’ailleurs tenté de détourner l’attention de ce point de friction en désignant Fouad Ali El Himma, ainsi que les leaders du RNI (Aziz Akhannouch) et de l’USFP (Driss Lachgar), comme responsables de ses ‘’malheurs’’.

Une telle évaluation pose le problème du PJD en une équation simple : soit le parti persiste dans sa vision passée, avec une force organisationnelle amoindrie par la crise dont il ne s’est toujours pas remis, et dans ce cas, il restera en dehors du jeu politique, suspendu à d’éventuels bouleversements régionaux, nationaux ou internationaux qui pourraient, ou non, relancer la demande pour ses services ; soit il décide d’adapter sa ligne politique dans un sens plus radical, un tournant que Benkirane et son entourage ne semblent ni vouloir ni pouvoir assumer, eux qui sont habitués à une approche faite de pressions progressives et d’accumulation stratégique ;  ou bien encore, il choisit une voie sans vision, une forme d’improvisation où les décisions seront dictées par les circonstances du jour. Dans ce cas, le seul objectif tangible du parti serait de maintenir Benkirane à la tête de la formation jusqu’en 2035, selon ses propres déclarations – après deux mandats pleins, en plus de son mandat extraordinaire.

Un signal important a été envoyé à la veille du congrès, avec la nomination d’Abdelkader Amara à la tête du Conseil économique, social et environnemental. Ce geste montre que l’État n’a pas de problème avec le parti en soi, ni avec ses cadres, et ne leur refuse pas la reconnaissance de leurs compétences.  

Mais, aucun ajustement de la vision du parti n’a suivi ce signal ou d’autres semblables. Le congrès a tout préparé – notamment sur le plan de la communication et des médias – sauf l’essentiel: une vision pour l’avenir. Même le document d’orientation censé formuler cette vision est truffé de formules vagues, ouvertes à des interprétations multiples, laissant à la direction une grande marge pour en faire un simple texte sans contenu ni substance.

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