National
Désignation du chef de gouvernement : Damir pour la contextualisation de l’article 47 de la Constitution
Le Roi Mohammed VI recevant le mars 2017 le chef du gouvernement Saad Dine El Otmani
Il est bien curieux le long communiqué que vient de publier le Mouvement Damir où il aborde les élections générales du 8 septembre et plus particulièrement les législatives. Si le mouvement salue la tenue de ces scrutins à la date de leur échéance, il n’en considère pas moins « les conditions dans lesquelles les Marocains vont être appelés à s’exprimer […] particulièrement inappropriées ». Alors qu’on s’attendait, en toute logique avec cette introduction, à ce que Damir appelle, ou du moins estime nécessaire un report des élections, son communique tourne en queue de poisson. Et s’il se perd dans l’explication des « facteurs endogènes et exogènes [qui] représentent aujourd’hui des obstacles majeurs à sa quête de développement, « d’essor » et d’épanouissement démocratique», c’est aussi pour mieux souligner que les faiblesses internes handicapent la réaction aux menaces externes. Damir, apparemment convaincu qu’un appel au report aurait été « un cri dans le vide », s’est donc abstenu d’y appeler explicitement, mais se réserve, par ce biais, la latitude de prendre son analyse pour référence dans ses commentaires à venir. Se rendant donc à la raison, Damir se contente de s’attarder sur les conditions qui feraient que ces élections soient un échec, notamment un taux de participation encore plus faible qu’auparavant. Mais ce qui retient surtout l’attention dans ce communiqué c’est l’appel de Damir à la contextualisation de l’article 47 qui stipule que « le Roi nomme le Chef du Gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des Représentants, et au vu de leurs résultats ». Ce qui revient à un appel à libérer le Souverain d’une contrainte constitutionnelle qui empoisonne le débat politique et envenime la compétition partisane. Voici par ailleurs le communique de Damir :
Le moment présent est exceptionnel à bien des égards. Le Maroc s’apprête pour le rendez-vous politique le plus important des cinq dernières années. Les prochaines élections législatives vont clôturer un processus électif global regroupant les scrutins des élections syndicales, professionnelles, communales, régionales et celles relatives à la Chambre des Conseillers. Si la tenue de l’ensemble de ces scrutins à leur date convenue est à saluer, il n’en demeure pas moins que les conditions dans lesquelles les Marocains vont être appelés à s’exprimer sont particulièrement inappropriées. Ces élections constituent un défi à la raison politique et une menace supplémentaire à la laborieuse construction démocratique de notre pays.
Des facteurs exogènes et endogènes à la Nation représentent aujourd’hui des obstacles majeurs à sa quête de développement, « d’essor » et d’épanouissement démocratique. En prendre pleinement conscience est un premier pas vers leur dépassement et vers la recherche des solutions les plus pertinentes. Les sous-estimer, ou même plus grave, les ignorer, nous condamnerait à des lendemains de désenchantement. Cette perspective serait mortifère pour notre pays, alors qu’il s’engage dans la voie d’un Pacte national pour un Nouveau modèle de développement (NMD) sous la supervision royale, créant des espoirs incommensurables auprès de nos concitoyens. Les Marocains aspirent à un Maroc plus prospère et plus juste. Ils sont prêts à reconsidérer leur relation de défiance à l’égard de certaines institutions du pays, mais exigent en contrepartie, comme gage d’une confiance retrouvée, une application effective, fidèle et exhaustive des réformes annoncées.
Les facteurs exogènes de risques pour notre pays sont d’abord liés à la pandémie de la Covid-19 et à ses répercussions sur la sécurité sanitaire de nos concitoyens et sur l’activité économique, l’emploi, la vie sociale, les relations humaines, les pratiques sportives, les évènements culturels, les loisirs, les moments festifs et... la vie démocratique. En effet, le pic de la 3ème vague de la pandémie étant encore devant nous dans une situation vaccinale où l’immunité collective demeure encore éloignée, la campagne électorale ne pourra pas se dérouler dans des conditions sécurisées pour les électeurs. Elle ne pourra donc pas avoir lieu suivant les normes universellement admises en démocratie, ce qui constitue un biais majeur au débat transparent et contradictoire entre les différentes formations politiques et une entrave à l’expression du libre choix des citoyens, augurant vraisemblablement d’un taux de participation encore plus réduit qu’il ne l’était auparavant. La démocratie marocaine en ressortirait davantage affaiblie. L’émergence du Maroc comme puissance régionale constitue un autre facteur exogène de risques. La réintégration du Royaume au sein de l’Union africaine et la diplomatie marocaine en Afrique sub-saharienne, dans le pourtour euro-méditerranéen, au Maghreb, ainsi que les positions volontaristes du Maroc dans les grands dossiers de la géostratégie mondiale, de la défense de la souveraineté marocaine dans ses provinces sahariennes à la coopération Nord-Sud et Sud-Sud, en passant par la lutte contre le terrorisme, la régulation des flux migratoires, la lutte contre le réchauffement climatique et le développement des énergies renouvelables, la défense de la cause palestinienne et la normalisation des relations diplomatiques avec Israël, ou encore la recherche d’une solution politique à la crise libyenne, sont autant des succès diplomatiques pour le Royaume que des sources de préoccupation du fait des campagnes diffamatoires orchestrées par certains médias et ONG étrangers et des agissements discourtois ou belliqueux de certains pays du voisinage immédiat désappointés par ces succès.
Les facteurs endogènes de risques pour notre pays sont d’autant plus menaçants qu’ils fragilisent le Royaume de l’intérieur et réduisent sa capacité à faire face aux risques exogènes. Le climat délétère créé par l’emprisonnement de certains journalistes ou opposants politiques, dont il faut sortir collectivement par le haut pour lever le trouble sur les raisons réelles (délits de droit commun ou d’opinion ?) de leur privation de liberté, dans le respect des principes du droit à un procès équitable, constitue la première de ces menaces. L’autre menace interne réside dans la défiance des Marocains à l’égard de la classe politique et des hauts responsables en charge des institutions constitutionnelles de bonne gouvernance et des administrations publiques. La perte de confiance atteint des niveaux alarmants en raison d’un sentiment d’immense déception que ressentent les citoyens à l’endroit de ceux qui les ont représentés suite aux précédentes élections nationales et locales, tant au sein du Parlement que de l’Exécutif et des collectivités territoriales. Les décisions actuelles des états-majors des partis politiques à quelques jours seulement des prochaines législatives témoignent de la persistance du même climat politique et révèlent les mêmes comportements, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Les partis politiques se sont lancés dans une surenchère aux candidatures, une sorte de « mercato » électoral où l’on systématise les pratiques saisonnières de nomadisme politique et de transhumance en tous genres, où l’on généralise les incitations financières et alimentaires au vote, qui sont à la fois immorales et illégales, et où l’on privilégie les candidats hommes d’affaires et bailleurs de fonds au détriment des universitaires, intellectuels, cadres supérieurs et militants. Une situation qui empêche toute réelle concurrence politique entre les partis et conduit inéluctablement à la faiblesse de l’offre programmatique présentée aux électeurs au niveau : des candidats, des idées politiques, des programmes, des projets, des méthodes de travail et des comportements. Le risque est donc grand de voir la défiance des citoyens s’aggraver au lendemain du 8 septembre prochain et entrainer un affaiblissement encore plus prononcé des institutions élues, ainsi qu’une remise en cause de leur légitimité populaire et de leur crédibilité politique.
Fort de ce constat, conscient des implications de ces facteurs endogènes et exogènes de risques pour notre pays et en référence aux réformes proposées par Le Mouvement Damir en juin 2019 dans son mémorandum intitulé « Pour un nouveau modèle de développement du Maroc : Le Maroc que nous voulons... », Le Mouvement Damir déclare :
1. Regretter que le rapport de la Commission spéciale sur le modèle de développement, en dépit des avancées notables initiées en matière de transformation économique, sociale et culturelle de notre pays, que Le Mouvement Damir soutient avec force et conviction, ait occulté la dimension politique du modèle de développement en s’abstenant de proposer des réformes disruptives régissant le cadre d’action des partis politiques. En effet, se pose avec acuité la problématique de l’efficience des acteurs du système politique, qui sont au cœur de la mise en œuvre des stratégies d’État et des politiques publiques. Certes, il est institué un Mécanisme de suivi, d’impulsion des chantiers stratégiques et d’appui à la conduite du changement placé sous l’autorité directe du Roi ainsi qu’une Delivery unit au niveau de la Présidence du Gouvernement, ces deux entités devant travailler dans une parfaite intelligence collective au service d’une bonne mise en œuvre des politiques publiques et en réponse aux attentes des citoyens et des opérateurs économiques. Certes, il est prévu de renforcer les principes de transparence, de co-construction, de participation élargie et de recherche d’efficience pour toutes les institutions intervenant dans la gestion des affaires de l’État. Certes, la primauté des principes constitutionnels est réaffirmée, comme le sont également leur effectivité et leur bonne application à travers des lois et des pratiques politiques et administratives conformes à leur texte et leur esprit. Cela sera-t-il pour autant suffisant ? Il est permis d’en douter en l’absence d’une réforme profonde du champ politique.
2. Demander aux grandes formations politiques d’engager sans plus tarder un débat national sur les sujets fondamentaux régissant leur cadre réglementaire et leur périmètre d’action, qui vont bien au-delà de la question secondaire du mode de scrutin aux législatives et du seuil électoral. Ces sujets, qui auraient dû être traités en amont de la stratégie du Maroc à l’horizon 2035 et qui sont traités dans le mémorandum précité du Mouvement Damir, concernent le fonctionnement interne des partis politiques, leur transparence financière, le renouvellement et le mode de désignation de leurs secrétaires généraux et de leurs équipes dirigeantes, le profil de celles et ceux qui incarnent leur leadership, les situations d’incompatibilités, les conflits d’intérêts, les cumuls de mandats, l’interdiction de l’usage de l’argent ou de la religion dans les campagnes électorales, la limitation des dépenses liées aux campagnes électorales et leur contrôle, le découpage des circonscriptions électorales, etc. La demande pressante des Marocains suite à la restitution du NMD est d’activer les moyens constitutionnels permettant d’une part, de faire partir de la scène publique celles et ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir et incarnent les causes de l’échec du modèle de développement actuel et, d’autre part, d’organiser les conditions d’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants politiques qui sera en charge d’une mise en œuvre loyale et fidèle des stratégies et politiques publiques au sein de l’appareil exécutif et législatif et de la haute administration.
3. Appeler à une lecture contextualisée de l’article 47 de la Constitution, qui stipule que « Le Roi nomme le Chef du Gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des Représentants, et au vu de leurs résultats ». L’application littérale de cette disposition constitutionnelle a pu être considérée par une certaine classe politique comme étant une rente de situation, incitant certaines formations à commettre toutes les manœuvres politiciennes susceptibles de leur permettre d’atteindre à n’importe quel prix le premier rang des résultats électoraux aux législatives et de constituer des majorités gouvernementales factices, tant elles sont pléthoriques, hétérogènes, incohérentes et désunies, comme on a pu l’observer durant les deux dernières mandatures.
4. Suggérer aux quatre grandes formations politiques qui se disputent le premier rang des prochaines législatives de faire preuve de modestie et de sens de la responsabilité en gardant à l’esprit, pour les raisons invoquées précédemment, le déficit de légitimité et de crédibilité qui entache la classe politique, de relativiser leur poids politique respectif, en particulier de celle qui arrivera en tête des élections, et de déployer tous les efforts nécessaires à la constitution d’une majorité gouvernementale qui soit portée par une personnalité nationale au leadership fort et charismatique et qui soit conforme aux attentes de nos concitoyens et digne de la confiance du Roi.
5. Affirmer qu’il n’y a point de vie démocratique crédible sans l’existence de partis politiques forts, compétitifs et autonomes dans leurs décisions. Toute pratique visant à réduire la portée des formations politiques et à entraver leur indépendance est de nature à créer de l’autoritarisme et à desservir la nouvelle doctrine institutionnelle et organisationnelle de la Nation, celle de la complémentarité entre un « État fort » et une « Société forte ».
6. Attirer l’attention de nos concitoyens sur le grand danger qui les guette aujourd’hui, celui d’une alliance implicite et objective entre les nihilistes, qui sont autistes aux réformes portées par le NMD par aveuglement idéologique, et les thuriféraires de la rente, qui font tout pour empêcher ces réformes de voir le jour craignant pour leurs intérêts catégoriels ou privés. Outre un discours hypocrite ou systématique de dévalorisation, ce danger prend dans les faits la forme d’une application dévoyée et d’une mise en œuvre déloyale du NMD, privilégiant une approche « à la carte » qui retient les projets neutres et écarte les réformes disruptives créant de la valeur réelle pour les citoyens et mettant un terme à l’économie de la rente, aux situations oligopolistiques et aux prises illégales d’intérêts. Les lois cadres relatives à la réforme fiscale et à la réforme des établissements et entreprises publics ainsi que la loi régissant l’Agence nationale de gestion stratégique des participations de l’État et de suivi des performances des établissements et entreprises publics sont une illustration parfaite de ce danger. Elles vident les réformes attendues de toute leur substance et en traduisent les recommandations en politiques publiques de façon partielle et partiale. Faut-il rappeler que ces lois ont été portées par le gouvernement actuel qui avait introduit une dérogation fiscale dans la loi de finances 2018, dont a résulté une perte pour les finances publiques de plus de 400 millions de dirhams sur une seule transaction au titre des droits d’enregistrement ? Faut-il rappeler aussi que les scandales liés à la faillite de la raffinerie marocaine de pétrole « La Samir » et au dossier des hydrocarbures et du Conseil de la concurrence, pèsent davantage sur un climat politique de suspicion déjà particulièrement lourd pour les Marocains ?
7. Considérer que l’enjeu aujourd’hui pour le Maroc est de ré-enchanter le sentiment de citoyenneté, qui relève moins d’une mécanique des intentions que d’une alchimie des perceptions, car ce sentiment se mérite, se conquiert et se construit patiemment, inlassablement, irrésistiblement, sur des actes de confiance. S’ils parviennent à se hisser à la hauteur de la responsabilité qui leur sera conférée au lendemain des législatives, les dépositaires d’une autorité gouvernementale ou publique seront les faiseurs et les artisans de la confiance retrouvée et contribueront au ré-enchantement de la citoyenneté et à la consolidation de la fierté d’appartenance à la Nation, en particulier auprès des jeunes générations. Ils devront servir l’intérêt général et préserver la neutralité de l’État, son impartialité, son intégrité, son indifférence aux puissances d’argent et aux influences des clientèles. Ils seront tenus d’appliquer les lois à tous, de les faire respecter partout dans tous nos territoires, sans aucune faveur pour les détenteurs d’une proximité familiale, d’une alliance tribale ou partisane ou d’une convergence d’intérêts financiers, sans faiblesse pour les puissants. Ils devront garantir l’indépendance des magistrats du siège et du ministère public, lutter sans merci contre la corruption, les conflits d’intérêts et les trafics d’influence et défendre la liberté de la presse. Ils devront créer une séparation nette entre l’exercice d’une responsabilité politique ou gouvernementale et la pratique des affaires et participer très activement à la moralisation de la vie publique. Et c’est au prix de ces multiples exigences que l’Exécutif, les parlementaires, les dirigeants des instances constitutionnelles, la haute administration et la classe politique dans son ensemble sauront regagner la confiance des Marocains et pourront contribuer au ré-enchantement de la citoyenneté. Dès lors, ils pourront être fiers d’avoir été au rendez-vous de l’histoire.
Le Bureau Exécutif
Casablanca, le 19 Août 2021.