Grève des étudiants en médecine : faudrait-il sacrifier Miraoui ? Par Bilal TALIDI

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Abdellatif Miraoui, ministre marocain de l'Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation

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Le spectre d’une année blanche plane de plus en plus sur les facultés de médecines au Maroc après que le désaccord entre les étudiants et les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur au sujet des années de formation a atteint un point de non-retour.

Face à l’attachement des étudiants à leurs revendications, le ministère de l’Enseignement supérieur a cédé à la démarche sécuritaire et a opté pour la dissolution des instances représentatives des étudiants et la convocation des représentants des coordinations en conseil de discipline, en les menaçant de radiation. Dans l’objectif de briser l’unité des rangs et d’isoler les dirigeants étudiants de leurs bases, l’épée de Damoclès est restée brandie pour favoriser, sous la menace, les conditions d’un retour dans les amphis.

Dans les faits, les résultats de cette approche sont très limités au regard du nombre très réduit des étudiants ayant rejoint les amphis au niveau de chaque site. Concrètement, cette approche sécuritaire est en passe de produire son effet contraire, poussant avec force vers le scénario du pire : une année blanche préjudiciable à toutes les parties, autant pour les deux ministères qui tablent sur la sortie de 3200 lauréats durant l’année en cours que pour les étudiants qui souhaiteraient reprendre leurs cours et parachever leur formation en vue de leur prochaine diplomation.

On ne reviendra pas à nouveau sur l’origine du problème et la manière idoine de résoudre le conflit, cette question ayant déjà fait l’objet de deux articles précédents. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, rendant difficile toute possibilité de renouer avec les négociations à cause de la politique d’intransigeance prônée par le ministère de l’Enseignement supérieur.

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Les pistes d’une sortie d’une crise que l’approche sécuritaire n’a fait qu’exacerber qui s’offrent doivent s’écarter de l’approche sécuritaire pour explorer la possibilité de dupliquer la démarche adoptée avec les enseignants. A l’époque, le gouvernement avait opté pour la désescalade, en retirant le dossier au ministre de l’Education nationale pour le soumettre à une commission ad hoc chargée de mener les négociations avec les enseignants.

Toutefois, il parait que les deux dossiers présentent de nombreux points de dissemblance au moins en termes d’approche. Le ministre de l’Education nationale (MEN) n’a jamais fermé la porte du dialogue et n’a pas proféré de menaces à l’encontre des enseignants, quoique certains cadres du ministère aient versé dans l’escalade (le cas du directeur de l’Académie régionale Rabat-Salé). Le ministre de tutelle n’a pas opté pour l’approche sécuritaire tout au long de la période des négociations et n’a recouru que partiellement à cette démarche, après la conclusion d’un accord sur le retour des enseignants en classe (suspension de certains représentants des coordinations ayant refusé de rejoindre leurs postes). 

Mais, tout compte fait, le problème à l’origine des protestations des enseignants s’articule autour d’un projet en lien avec l’amélioration des apprentissages et la réalisation des écoles pionnières. Autrement dit, le nœud majeur du problème ne se situait pas au niveau du MEN, mais plutôt au niveau du ministère des Finances, la partie qui détient les leviers permettant d’améliorer la situation des enseignants. Hormis quelques erreurs préméditées ou causée par des formulations pas très heureuses, la solution se trouvait finalement dans la constitution d’une commission où figute la partie la plus concernée par le problème, à savoir le ministère des Finances.

La question est complètement différente avec les facultés de médecine où les aspects financiers sont très limités. Ici, le problème se rapporte à la formation, mais aussi et surtout au droit des étudiants de poursuivre leurs spécialités dans des universités étrangères. Sur le plan de la gestion, le problème révèle le tâtonnement du ministère de l’Enseignement supérieur qui n’a pas su mettre en œuvre, plus tôt, les réformes nécessaires, en veillant au préalable à condenser les formations et les stages dispensés aux étudiants en six ans au lieu de sept, et à trouver en lui et dans son staff suffisamment de pédagogie pour les faire accepter.

Nul doute que la réduction des années de formation est devenue un intérêt national majeur, mais la mauvaise gestion de ce dossier par le ministère concerné a donné un alibi aux étudiants pour en contester la finalité, sachant que le comportement condescendant du ministre de tutelle depuis le début des contestations n’a fait que compliquer davantage ce dossier, au point de l’enliser une nouvelle fois dans l’approche sécuritaire.

Nombre de doyens des facultés de médecine ne cachent plus leur pessimisme, certains ayant ouvertement déclaré qu’une année blanche est plus que probable, au vu du comportement des étudiants et de leur réaction aux politiques adoptées par le ministère de l’Enseignement supérieur.

En réalité, il y a toujours espoir de convaincre les étudiants, au nom de l’intérêt national, de réduire la formation à six ans et d’obtenir leur retour aux amphis, mais le prix sera une refonte fondamentale des politiques du gouvernement à ce sujet.

Il ne s’agit pas cette fois-ci de retirer le dossier au ministre de l’Enseignement supérieur pour le remettre à un comité de sages qui sera chargé de négocier avec les étudiants, car cette option ne saurait les convaincre de reprendre leurs cours.

La situation actuelle requiert trois mesures simultanées. La première consiste à écarter le ministre de l’Enseignement supérieur, premier responsable de l’éclatement de ce problème à cause de sa mauvaise gestion, de son incapacité à mettre en œuvre de façon graduelle la vision des réformes, et de son échec à engager un dialogue sérieux avec les représentants des étudiants. La deuxième porte sur la constitution d’un comité de sages regroupant des doyens des facultés de médecine, qui jouissent d’une grande crédibilité auprès des étudiants, et l’éloignement des politiques connus pour leur légèreté en matière de gestion et leurs sorties médiatiques irréfléchies. La troisième mesure concerne l’entame d’un dialogue sérieux, avec la réintégration des étudiants suspendus comme une des cartes de négociations en vue de parvenir à une solution au problème, et le prolongement jusqu’en octobre de l’année académique afin de rattraper les formations et les stages.

Certains considèrent que le prix politique à payer pousserait les étudiants à plus d’intransigeance et d’escalade, en croyant à une faiblesse du gouvernement, et que pour couper court à cette éventualité, l’idéal serait donc de leur tenir la dragée haute. Reste à savoir ce que le gouvernement a gagné jusqu’ici dans la gestion de ce dossier ?

Le scénario d’une année blanche implique qu’aucun médecin ne sortirait avec un diplôme, au risque de sacrifier les 1600 lauréats habituels diplômés chaque année avant la réforme. Autant dire que l’on serait devant une crise nationale majeure, voire une impasse, dont on ne peut sortir qu’au prix de recrutement des médecins étrangers, un luxe que le pays ne peut se permettre au vu de la demande internationale sur les compétences médicales et sur l’ensemble des employés du système de santé.

Ce ne serait pas la première fois qu’on sacrifier un ministre de l’Enseignement et dans le cas présent, sa mise à l’écart serait moins couteuse que le scénario alarmant de l’année blanche. Ceux qui estiment que le départ d’Abdellatif Miraoui donnerait l’impression d’une faiblesse de l’Etat feignent d’oublier qu’une année blanche créerait un défi beaucoup plus grand et plus difficile à surmonter. Ce n’est qu’à ce moment qu’apparaîtra au grand jour la faiblesse réelle, celle qu’on ne peut ramener à une erreur de gestion.

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