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La pagaille du Livre Scolaire – Par Bilal Talidi
Le Maroc vit aujourd’hui dans une situation de chaos dans le domaine du livre scolaire, provoquée par le maintien de manuels scolaires rédigés à l’époque de la politique de libéralisation du livre scolaire, par l’adoption par le ministère d’une politique obscure dans la rédaction du livre scolaire, et par la persistance du chaos dans les manuels scolaires étrangers, sans que le ministère n’ait aucune emprise sur le secteur de l’enseignement privé.
Depuis l’indépendance du Maroc, le ministère de l’Éducation nationale a entamé pour la généralisation l’éducation, son unification et sa marocanisation, en adoptant un modèle d’unification du livre scolaire. Le ministère a lors confié à des inspecteurs la tâche de rédiger les manuels scolaires, jusqu’à ce qu’une direction des programmes soit créée pour s’en occuper. Le ministère se chargeait également de l’impression, en s’appuyant sur les imprimeries limitées disponibles. Ce processus s’est déroulé sans problème pendant environ trois décennies, couvrant tous les niveaux et toutes les matières, sans soulever de problème.
Cependant, de nombreux changements ont fait que ce choix a commencé à poser plusieurs problèmes. Le développement de l’impression et la multiplication des maisons d’édition ont soulevé la question de l’entité chargée de l’impression, des critères adoptés par le ministère à cet égard, et de la manière d’assurer à la fois la gouvernance et l’égalité des chances. En même temps, l’augmentation du nombre d’élèves scolarisés a élargi l’offre éducative, transformant le livre scolaire en un grand marché commercial, rendant difficile le maintien de la politique adoptée.
L’approche Abdellah Saaf
Un autre facteur est venu se greffer aux précédents. Il est lié à la dimension idéologique et aux valeurs véhiculées par le livre scolaire. En raison du conflit idéologique et de l’émergence de systèmes de valeurs contradictoires, le livre scolaire est devenu l’objet d’une surveillance et d’une critique de la part de plusieurs observateurs, qui examinent le contenu de ces programmes et posent la question des références aux droits humains et aux valeurs. Cela a nécessité l’établissement d’une liste de conditions qui régissent le contenu éducatif, imposant le respect des droits de l’enfant et de la femme, du pluralisme existant dans la société, et l’évitement de toute incitation à la haine, au mépris, à la discrimination ou à la réduction de la femme ou à la dévalorisation des constantes nationales et religieuses.
Lors du gouvernement d’alternance, l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Abdallah Saâf, a proposé une nouvelle approche, ajoutant un nouvel élément aux facteurs précédents. Il a estimé que garantir la qualité du contenu éducatif nécessitait deux conditions : la fin de la nationalisation du livre scolaire par le ministère, et l’ouverture de son élaboration à la concurrence entre des équipes de rédaction composées d’enseignants.
M. Saâf courait plusieurs objectifs : en confiant le livre scolaire aux acteurs éducatifs sur le terrain, en laissant au ministère seulement le droit d’approuver en désignant une commission chargée de définir les cadres de rédaction et ses critères, il mettait fin à la colère des maisons d’édition, soulageait les divers groupes préoccupés par le contenu éducatif, et transformait le livre scolaire en un marché prospère, enrichissant des investisseurs dans ce secteur, en plus des équipes de rédaction dont les livres étaient adoptés. Cela a contribué à améliorer la qualité des manuels scolaires, notamment dans les premières années de la mise en œuvre de cette politique.
Un nouveau monopole
Après le gouvernement d’alternance, ce processus, qui était censé être renouvelé tous les dix ans, s’est figé. Le renouvellement des manuels scolaires n’a pas eu lieu, la dynamique de concurrence a cessé, et l’efficacité des équipes de rédaction n’a pas été mobilisée pour garantir le plus haut niveau de qualité du contenu éducatif. Ainsi, la libéralisation du livre scolaire a eu un effet contraire : un monopole de quelques maisons d’édition s’est substitué au lieu monopole du ministère sur le livre scolaire, avec un léger changement, à savoir la soumission des programmes à des modifications partielles chaque année, en fonction des retours du ministère, qu’ils proviennent d’acteurs éducatifs (inspecteurs centraux) ou d’observateurs préoccupés par le contenu éducatif par rapport aux engagements constitutionnels et aux droits de l’homme du Maroc.
Cette expérience a duré trois décennies sans évolution significative, à l’exception notable des programmes d’éducation islamique, qui ont été révisés sur instructions royales, avec une supervision de leur contenu par le ministère des Habous et des Affaires islamiques il y a huit ans (2016). Ensuite, une nouvelle expérience sans raison connue a été lancée par le ministre actue, qui a tenté de revenir à la nationalisation du livre scolaire, mais sans cadre réglementaire, sans critères de rédaction, sans équipes chargées, ni méthode définie pour confier l’impression aux maisons d’édition.
Ainsi, nous pouvons parler, à travers toute l’expérience marocaine avec le livre scolaire, de trois politiques : la première reposait sur l’approche du ministère supervisant toutes les étapes de la rédaction, en respectant les cadres éducatifs et méthodologiques inspirés des principes du mouvement national pour la rédaction du contenu éducatif. La deuxième politique a consisté à libérer le livre scolaire du monopole du ministère et des maisons d’édition favorisées, ce qui a porté ses fruits dans les premières années, mais a finalement abouti, en raison de sa longue durée et de l’absence de renouvellement périodique (changement des manuels scolaires tous les dix ans), à de contreperformances. Enfin, la troisième politique, vague, qui est susceptible de produire des résultats bien pires que les deux expériences précédentes, car elle manque de cadre régissant toutes ses opérations.
Le chaos actuel
Il est important de noter que la politique de supervision du livre scolaire a été très "ouverte" et "tolérante" à l’égard des manuels étrangers, en particulier ceux des langues, notamment le français. Le principe d’"utilisation partielle" de ces manuels a permis de transformer ces livres, initialement utilisés de manière accessoire, en manuels de référence essentiels. Ainsi, la majorité des institutions privées les adoptent, dénigrant le livre scolaire national, le considérant de qualité médiocre. En conséquence, les manuels scolaires étrangers adoptés dans la matière du français, par exemple, dépassent 360 manuels, selon les spécialistes du secteur avant la période du COVID-19. Il est probable que cette liste se soit élargie et ait augmenté au cours des deux dernières années en raison de l’expansion des établissements d’enseignement privé, qui insistent pour choisir des manuels différents de ceux des autres.
En somme, le Maroc vit aujourd’hui dans une situation de chaos dans le domaine du livre scolaire, provoquée d’une part par le maintien de manuels scolaires rédigés à l’époque de la politique de libéralisation du livre scolaire, qui n’ont subi que des modifications partielles, et d’autre part par l’adoption par le ministère d’une politique obscure dans la rédaction du livre scolaire, qui ne repose sur aucun critère ou cadre régissant, élaboré en partenariat avec les divers acteurs éducatifs, et enfin par la persistance du chaos dans les manuels scolaires étrangers, sans que le ministère n’ait aucune emprise sur le secteur de l’enseignement privé.
En réalité, il était nécessaire d’évaluer les politiques du livre scolaire au Maroc, de tirer parti de la politique de libéralisation qui était exemplaire à ses débuts, de soutenir l’indépendance de la commission permanente de rédaction des manuels scolaires, tout en la soumettant à un renouvellement périodique tous les onze ans (compte tenu de la durée de l’éducation, de six ans dans le primaire, trois ans au collège et trois ans au lycée, soit onze ans au total). Le ministère devrait conserver son rôle de supervision et de définition des cadres éducatifs régissant, tout en se distanciant de tout ce qui concerne l’édition et l’impression, et en se reposant sur la qualité et la concurrence comme solution pour distribuer la commande du livre scolaire aux maisons d’édition. De plus, aucune matière ou secteur éducatif ne devrait bénéficier d’une situation d’exception, afin de respecter le principe d’égalité et d’égalité des chances, car il n’est absolument pas raisonnable de soumettre le même élève à deux contenus éducatifs différents, puis de les soumettre ensemble à un examen unique.
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