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Le niveau de vie des Marocains : un léger mieux mais plus d’inégalités - Par Abdeslam Seddiki

D’une façon générale, alors que la moitié la plus aisée de la population effectue 76,1% de la masse totale des dépenses, la moitié la moins aisée ne dispose que de 23,9%.
Les Inégalités de niveau de vie, c’est ce que révèle la dernière enquête de HCP. Le rapport du Haut-Commissariat au Plan dresse un portrait nuancé de l’évolution du niveau de vie des ménages marocains entre 2014 et 2022, relève Abdeslam Seddiki. Derrière la hausse apparente des dépenses, le creusement des inégalités et la persistance de la pauvreté questionnent. Entre disparités territoriales, misère culturelle et limites méthodologiques, ce document offre des clés de lecture essentielles pour comprendre la réalité socio-économique du pays.
Le Haut-Commissariat au Plan vient de publier le rapport complet de l’enquête nationale sur le niveau de vie des ménages 2022-2023. Ce document détaillé donne des explications à la fois méthodologiques et lexicales. Ce qui permet une meilleure interprétation des données, une compréhension des dynamiques sociétales et nécessairement une discussion des résultats annoncés.
Les résultats de l’enquête concernent successivement les disparités relatives à la dépense par ménage, par personne et par milieu de résidence, ce qui permet de déduire l’évolution du niveau de vie de la population entre 2014 et 2022 et par ricochet celle de la pauvreté sous toutes ses formes. Ils portent également sur l’évolution du revenu au cours de la même période en en déterminant les principales composantes.
Une moyenne qui cache des disparités
Entre 2014 et 2022, la dépense annuelle moyenne par ménage est passée de 76 317 DH à 83 713 DH à l’échelle nationale correspondant à 95 386 DH en milieu urbain et à 56 769 DH en milieu rural. Ramenée à l’échelle individuelle, la dépense annuelle moyenne par personne est passée de 15 876 DH en 2014 à 20 658 DH en 2022. Elle a ainsi progressé, aux prix constants, à un taux annuel moyen de 1,1% entre 2014 et 2022, passant de 3,1% entre 2014 et 2019 à -3,1% entre 2019 et 2022.
Mais toute moyenne cache des disparités. Par catégorie socio-économique, ces dépenses sont comme suit :
- Les chefs de ménage ayant un niveau scolaire supérieur, avec un niveau de vie de 50 961 DH par personne et par an, dépensent en moyenne 3,4 fois plus que ceux dirigés par un chef sans niveau scolaire (14 808 DH).
- Les ménages dont le chef relevant du groupe «Responsables hiérarchiques, directeurs, cadres de direction et de professions libérales» réalisent la DAMP la plus élevée (53 833 DH soit 2,6 fois la moyenne nationale), tandis que ceux dont le chef est «Exploitants et ouvriers agricoles» réalisent le niveau le plus faible (13 298 DH).
- Les ménages dont le chef appartient à la catégorie des «employeurs» réalisent une DAMP (39 793 DH) 2,6 fois plus que ceux dirigés par les indépendants (15 378 DH) et 2 fois plus que ceux dirigés par les salariés(19 972 DH).
- Les ménages dirigés par des femmes affichent un niveau de vie (23 707 DH par personne et par an) légèrement supérieur de 1,2 fois à celui des ménages dirigés par des hommes (20 121 DH).
D’une façon générale, alors que la moitié la plus aisée de la population effectue 76,1% de la masse totale des dépenses, la moitié la moins aisée ne dispose que de 23,9%.
Misère culturelle !
Il faut préciser que l’amélioration du niveau de vie dont parle le rapport est très relative dans la mesure où les « coefficients budgétaires » n’ont pas évolué sensiblement. Ainsi, la part du budget consacré à l’alimentation demeure prégnante. Elle a même augmenté de 1 point entre 2014 et 2022 pour se situer à 38%. La loi d’Engel selon laquelle le budget alloué aux dépenses alimentaires diminue lorsque le revenu augmente ne se vérifie pas. Par contre, les dépenses pour la santé et la culture ont connu une baisse. Les Marocains consacrent à peine 0,5% de leurs dépenses à la culture, soit 103 DH par an et 0,3 DH par jour ! Les couches pauvres sont totalement écartées.
En tout état de cause, cette amélioration, supposée ou réelle, n’a pas empêché le creusement des inégalités tant territoriales que sociales. Les inégalités territoriales sont doubles : entre le monde rural et le monde urbain d’une part et entre les différentes régions d’autre part. Quant aux inégalités sociales, elles sont mesurées par l’indice de Gini estimé à 40,5% en 2022 contre 39,5 % en 2014 et 38,5% en 2019.
À l’échelle nationale, le niveau de vie moyen par personne s’élève à 49 634 DH par an pour les 20% les plus aisés, tandis qu’il atteint 6 943 DH pour les 20% les moins aisés, soit un écart relatif de 7,1 fois. Cet écart n’a été que de 6,2 fois en 2019 et de 7 fois en 2014.
Toutefois, en termes de revenus, les disparités sont relativement plus importantes : 14 fois entre le quintile le plus riche et le quintile le moins aisé. Cependant, elles diffèrent en fonction de la source des revenus. Ainsi, les 20% les plus aisés de la population ont un revenu salarial moyen 10,7 fois supérieur à celui des 20% les moins aisés. Dans les revenus générés par l’emploi indépendant non agricole, les 20% les plus aisés détiennent 42,9 fois le revenu des 20% les moins aisés. Quant au revenu agricole, les 20% les plus aisés disposent d’un revenu supérieur de 11,4 fois à celui des 20% les moins aisés. S’agissant des revenus de transfert, les 20% les plus aisés détiennent 16,7 fois le revenu des 20% les moins aisés.
Huit millions de pauvres.
En termes de pauvreté, l’enquête a abouti aux résultats suivants :
Le taux de pauvreté absolue, soit un seuil de 1,9 $ par jour, a globalement reculé entre 2014 et 2022, passant de 4,8% à 3,9% après avoir atteint un taux de 1,7% en 2019. En termes absolus, le nombre des pauvres s’établit à 1,42 million en 2022, dont 512 000 en milieu urbain et 906 000 dans le rural. En 2022, Cinq régions présentent un taux de pauvreté supérieur à la moyenne nationale (3,9%) : Fès-Meknès (9%), Guelmim-Oued Noun (7,6%), Béni Mellal-Khénifra (6,6%), Darâa-Tafilalet (4,9%) et L’Oriental (4,2%).
La vulnérabilité, calculée sur la base de une fois et demi le seuil de pauvreté, soit 2,85 $, a connu une légère hausse de 12,5% à 12,9% entre 2014 et 2022 après avoir atteint 7,3% en 2019. Le nombre de personnes économiquement vulnérables est de 4,75 millions en 2022, dont 2,24 millions en milieu urbain et 2,51 millions en milieu rural.
La pauvreté multidimensionnelle a considérablement diminué, passant de 9,1% en 2014 à 5,7% en 2022, surtout en milieu rural, où le taux est passé de 19,4% à 11,2%, tandis qu'en milieu urbain, il est passé de 2,2% à 2,6%. Elle concerne un peu plus de 2 millions de personnes.
Remarques finales
Ces conclusions ne sont pas à prendre pour des vérités absolues. Elles restent discutables même si elles constituent une référence pour les politiques publiques. On peut d’ores et déjà soulever une série de remarques. La première concerne la comparaison entre le nombre de pauvres selon le HCP, 8 millions au total, et les 10 millions de personnes éligibles à l’aide sociale directe et inscrites dans le RSU. L’écart de 2 millions n’est pas négligeable.
La deuxième remarque est relative aux inégalités sociales. Mesurées par le revenu des ménages, elles demeurent partielles et ne traduisent pas la réalité. Pour ce faire, il faudrait prendre aussi en considération les revenus du capital, les produits des actions et autres biens patrimoniaux et fortunes diverses.
La troisième remarque est d’ordre méthodologique. Elle porte sur les limites de la statistique et de la méthode d’échantillonnage. Un échantillon de 18000 ménages, aussi représentatif soit-il, ne pourrait en aucune manière constituer le reflet d’une société tout entière avec ses contradictions et sa complexité. Une analyse par cette technique peut au mieux dresser des tendances et tracer des trajectoires sans aboutir à des résultats chiffrés d’une manière précise.
Il va sans dire que le travail accompli par le HCP, même s’il demeure perfectible, est louable. Il vaudrait mieux disposer d’indications et de repères, fussent-ils approximatifs, que de continuer à naviguer à vue.