Formation médicale continue : l’oubli inquiétant du secteur libéral dans la réforme sanitaire – Par Anwar Charkaoui

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Si la FMC est reconnue comme une obligation juridique, éthique et professionnelle, sa mise en œuvre reste parcellaire, inégalitaire et, pour de nombreux praticiens, inaccessible

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Alors que le Maroc redessine son architecture sanitaire avec la création des Groupements Sanitaires Territoriaux (GST), un grand absent fait grincer les dents : le secteur médical libéral. Ignoré des Conseils d’Administration, il se mobilise pour exiger sa place dans la formation médicale continue, indispensable à une médecine moderne et équitable. Dr Anwar Cherkaoui explique le mécontentement d’un secteur ‘’oublié’’

Le décret n° 2.23.1054, fraîchement publié au Bulletin officiel, a tout d’un acte fort dans le chantier de refondation du système de santé marocain. Il établit les règles de fonctionnement des Groupements Sanitaires Territoriaux (GST), futurs pivots de l’organisation des soins. Mais une lecture attentive du texte révèle une absence de taille : aucune mention, aucune représentation du secteur médical libéral dans les Conseils d’Administration de ces nouvelles structures.

Un oubli sidérant, voire symptomatique, quand on sait que les médecins libéraux assurent près de 50 % de l’offre de soins dans le pays. Ils sont généralistes de proximité, spécialistes urbains, anciens enseignants, indépendants en zones rurales... en somme, un pilier invisible mais essentiel de la santé marocaine. Et pourtant, exclus du pilotage, écartés de la gouvernance.

Cette carence prend un relief particulier à l’aune du débat national prévu le 16 avril 2025 à l’initiative de la Fondation des Enseignants Médecins Libéraux. Plus de 700 anciens professeurs s’y mobiliseront autour d’un enjeu crucial : la formation médicale continue (FMC), maillon faible du système, pourtant clé dans la montée en compétence des professionnels et dans la sécurité des patients.

Car si la FMC est reconnue comme une obligation juridique, éthique et professionnelle, sa mise en œuvre reste parcellaire, inégalitaire et, pour de nombreux praticiens, inaccessible.

Les GST sans les libéraux : un angle mort stratégique

En refusant, de fait, au secteur libéral un siège à la table des décisions, l’État hypothèque l’inclusivité du nouveau modèle de soins. D’autant plus que ce sont souvent ces médecins – seuls, en zones reculées, démunis face aux urgences ou à des pathologies complexes – qui ont le plus besoin d’un accompagnement structuré et de formations continues adaptées.

La Fondation des Enseignants Médecins Libéraux le rappelle : la FMC ne peut plus être une faveur octroyée à une élite hospitalo-universitaire. Tous les médecins, quel que soit leur statut – hospitaliers, militaires, des collectivités territoriales ou des établissements pénitentiaires – doivent être concernés, de manière équitable.

Une FMC à deux vitesses, aux conséquences dangereuses

Cinq failles majeures minent aujourd’hui la FMC au Maroc. D’abord l’inégalité d’accès, notamment pour les médecins des zones enclavées. Ensuite, l’absence de coordination nationale : chacun forme dans son coin, sans cahier des charges commun, sans contrôle de qualité. Troisième faille : le manque de moyens. Le temps, les plateformes, les supports, tout manque, surtout pour les praticiens isolés.

À cela s’ajoute une donnée de fond : l’évolution ultra-rapide des savoirs médicaux. Sans mise à jour permanente, le risque d’erreurs cliniques ou de traitements dépassés est réel. Enfin, la FMC reste peu valorisée, ni récompensée dans la progression de carrière, ni fiscalement déductible.

Vers une stratégie nationale ambitieuse et inclusive

La Fondation propose un cadre clair et audacieux. Un droit universel à la formation, pour tous les médecins. Une coordination institutionnelle entre ministères, universités, ordres professionnels et acteurs de terrain. Une plateforme digitale gratuite, interactive, certifiante. Une meilleure reconnaissance dans les grilles de carrière. Et surtout, la fin de l’exclusion des libéraux.

Car se former, dit la Fondation, ce n’est pas seulement apprendre : c’est garantir au citoyen une médecine compétente, actualisée, humaine et responsable.

Le 16 avril pourrait bien être une date pivot. À condition qu’on ne s’y contente pas de constats. À condition qu’on entende enfin ceux qui, depuis leur cabinet ou leur dispensaire, tiennent à bout de bras une part trop négligée de la santé publique.

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