Le tourisme à El Jadida : la fragilité d’un secteur pourtant prometteur - Mustapha JMAHRI

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Le visiteur national ou étranger, a pourtant l'embarras du choix entre mer, plages, petite forêt, cité portugaise classée au patrimoine mondial, ancienne médina d'Azemmour, port, falaise de Jorf Lasfar, tazotas des Chaibates, Kasbah de Boulaouane, méandre de l'Oum-Er-Rébia

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Malgré son riche patrimoine historique et naturel, El Jadida peine à s’imposer comme destination touristique majeure. Entre manque d’entretien, absence d’animation culturelle et infrastructures sous-exploitées, la ville historique du littoral marocain attend toujours le déclic pour révéler tout son potentiel. Mustapha Jmahri revient sur un état des lieux peu encouragent.

Dans sa stratégie de développement, le Maroc mise sur le secteur touristique pour entraîner un dynamisme de croissance. C’est ainsi que le plan Azur a été conçu pour créer des structures hôtelières de qualité et par conséquent générer un nombre important de touristes et d’emplois. Dans son ensemble, ce plan est globalement positif, surtout depuis le lancement de Taghazout Bay. L’on constate que malgré le Covid, le Maroc se porte plutôt bien (20 % de plus de touristes en 2024, comparé à 2023…).

Un trésor peu et mal exploité

El Jadida et sa province jouent un rôle non négligeable dans cet essor touristique bien qu’ils puissent faire plus en regard de leurs richesses naturelles et historiques. La région regorge d'atouts naturels et géographiques importants. Elle est d'ailleurs, et dans toute son histoire, considérée parmi les plus riches régions du Royaume. Le visiteur national ou étranger, aura l'embarras du choix entre mer, plages, petite forêt, cité portugaise classée au patrimoine mondial, ancienne médina d'Azemmour, port, falaise de Jorf Lasfar, tazotas des Chaibates, Kasbah de Boulaouane, méandre de l'Oum-Er-Rébia, souks ruraux et autres richesses immatérielles : héritage culinaire, musique traditionnelle, élevage équin, art de la fauconnerie, etc. Elle dispose aussi d’un haras unique en Afrique, d’un parc d’exposition, d’une autoroute, d’une bonne connectivité routière et ferroviaire et de grands établissements d’enseignement. 

Il s'agit toutefois de trésors peu ou mal exploités.

Le tourisme ne peut se développer à partir de rien. Le réalisme impose de dire que si les traces du passé, comme les édifices du présent, ne sont pas rénovés, entretenus et respectés il n’y aura plus rien à mettre en valeur. Les touristes, et les habitants de la ville d’El Jadida doivent pouvoir visiter une cité portugaise réhabilitée, dont la citerne est accessible (fermée en attente de restauration depuis 4 ans), dont l'histoire est bien présentée, et dont les anciens bâtiments sont rénovés. L’idéal serait une ville disposant de rues propres, de fontaines fonctionnelles, d'un théâtre dynamique et d'espaces verts propices au repos du corps et de l'esprit.

À quatre kilomètres d’El Jadida, la belle côte de Haouzia abrite trois magnifiques hôtels haut de gamme. Ces établissements offrent suffisamment de possibilités de logements, mais le manque d’entretien et de mise en valeur des lieux historiques et culturels d’El Jadida n’attire que faiblement leurs clients. L’hôtel Mazagan Beach & Golf Resort, faisant partie du plan Azur, dispose d’un nombre élevé de chambres et est bien situé à seulement une dizaine de kilomètres d’El Jadida. Ce complexe participe à l’effort économique local notamment par l’emploi d’une main-d’œuvre locale importante. Selon un observateur, la clientèle qui le fréquente vit généralement dans le confortable microcosme de l’hôtel. Bien que l’établissement propose des navettes jusqu’à El Jadida, peu de touristes visitent la ville d’après un propriétaire de bazar à la cité portugaise. Outre le fait d’absence de guides certifiés. 

Les clients de l’hôtel Pullman, vont plus facilement en ville parce qu’il y a moins de choses à faire à l’hôtel, hormis se reposer sur la plage ou à la piscine et jouer au golf. Mais leur visite se limite souvent à une seule journée.

Quant à l’hôtel Zéphyr Mazagan, le dernier construit en face de la plage Haouzia, il est prioritairement réservé aux prestataires de l’Éducation nationale et donc plus dédié au tourisme interne balnéaire. Il est situé le plus près de la ville, et de ce fait il n’attire guère plus de visiteurs à El Jadida.

Ce que la ville est en droit d’attendre

Comment donc réussir à encourager cette population de visiteurs nationaux et étrangers à découvrir les richesses d’une ville historique ? Dans l’immédiat cela dépend de deux préalables : d’abord rouvrir la citerne portugaise, fermée depuis quatre ans déjà, et assurer plus de propreté aux artères de la ville y compris dans les alentours. 

Ensuite, ce qui est primordial, c’est de créer des attractions touristiques et culturelles périodiques : aménager un vrai centre artisanal, dynamiser le musée de la Résistance situé en centre-ville dans un bâtiment historique, réhabiliter l’ancien deuxième arrondissement abandonné en un centre de documentation sur la ville et l’ouvrir au public car disposant d’une grande salle au premier étage et prendre soin de la place principale Mohammed V, cœur de la cité. En effet, les touristes étrangers ne cherchent pas des hôtels pour faire la grasse matinée mais recherchent un récit local, une culture différente, un patrimoine spécifique, un paysage nouveau, et des rencontres.

 

De son vivant, Michel Amengual, journaliste français, décédé et enterré à El Jadida en 2013, auteur du beau-livre El Jadida, Capitale des Doukkala m’avait raconté qu’un jour avoir suggéré à un directeur d’un grand complexe hôtelier près d’El Jadida d’encourager sa clientèle à visiter un souk rural proche et certains monuments. La réponse de ce directeur avait été des plus sceptiques car lui-même connaissait l’état de ces endroits et savait que cela choquerait, sans doute, ses clients européens habitués à des espaces urbains mieux entretenus.

Les instances régionales en charge du tourisme ainsi que les opérateurs touristiques importants à El Jadida et sa région doivent s’ouvrir sur les historiens locaux. Dans un article intitulé Rôle des historiens locaux dans la réussite de la régionalisation publié le 23 décembre 2024 (Quid.ma) j’ai souligné le rôle que ces historiens pouvaient jouer au niveau de leur région. Ceux-ci militent, avec leurs propres moyens et leur connaissance du territoire, pour faire connaître les potentialités de la région dans le but, entre autres, de fournir de la matière historique et patrimoniale afin de développer des itinéraires de visite, des parcours de découverte, des notices touristiques, des guides et de créer ainsi des envies de visites.

Lire aussi : Rôle des historiens locaux dans la réussite de la régionalisation avancée - Par Mustapha JMAHRI

Tout au long de l’année, des hôtels reçoivent des groupes d’hommes d’affaires, de bridgeurs, de personnes du troisième âge, de professeurs retraités, de médecins... ces groupes n’ont-ils jamais besoin d’un historien pour leur parler de la ville qu’ils sont venus visiter ? La convergence du tourisme et de la culture est aujourd’hui établie. Le tourisme culturel reste un levier de diversification de l'offre touristique nationale et d'amélioration de son attractivité. Le volet culturel doit être de plus en plus pris en compte. 

Abdelmajid Noussi, ancien secrétaire général de la section d’El Jadida de l’Union des écrivains du Maroc (UEM), signale qu’en général les établissements touristiques et hôteliers ne proposent pas à leur clientèle ce genre d’offres culturelles. Il témoigne qu’en 2010, la section de l’UEM a organisé un colloque en collaboration avec Mazagan beach Resort sur El Jadida-Mazagan, au temps des consuls . Un deuxième colloque fut organisé bienplus tard, le 17 novembre 2017, avec ce même partenaire. Mais depuis « notre interlocuteur n’a pas donné suite à notre souhait d’organiser des rencontres annuelles pour d’autres thèmes en rapport avec la région ».  

Si le développement touristique ne peut réussir sans des investissements conséquents, nous pensons qu'il est nécessaire d’entamer ces préalables, et qu'ensuite l’argent arrivera petit à petit par les privés d’abord et ensuite aussi par l’État. Ceci est un chantier de fourmis, mais indispensable, et il est de la responsabilité de tous. 

Cité historique, El Jadida est une ville touristique par excellence, mais l’activité touristique y est réduite et fragile. 

Un état des lieux déplorable

Pour réussir ce challenge touristique et aider à ce que la ville devienne un centre attractif, il faudrait le concours de toutes les énergies et des bonnes volontés. Administration, élus et citoyens sont tous concernés. Mais beaucoup reste à faire : les remparts de la cité portugaise nécessitent un entretien adéquat, certains regards d’égout sont sans couvercle ou obstrués, les restaurants du centre-ville à chaque fois qu’ils font le ménage déversent l’eau usée en pleine rue, certaines chaussées sont lamentables, les arbres qui ont été enlevés l’année dernière ne sont toujours pas remplacés, sans parler de l’espace public squatté par des vendeurs de cigarettes.

Habitants comme visiteurs nationaux sont également responsables de ce triste état de chose : certains, sans scrupule, jettent leurs détritus n’importe où. Même dans le secteur des villas, censé être le quartier des gens instruits, on trouve des poubelles pleines et renversées si ce n’est carrément déversées sur l’asphalte. Même chose sur la plage Deauville et au-delà, sur la route de Casablanca : en été des estivants mangent sur place figues de barbarie, pastèque et sardines et boivent des litres de limonade mais, en partant, ils laissent tous leurs déchets sur le sable sans aucune gêne.

Au niveau de l’information touristique locale, les administrations concernées (Municipalité, Tourisme et Culture) sont défaillantes. Le visiteur ne trouve aucune documentation appropriée : plans de la ville, dépliants, programmes de visites et cartes postales. 

Les écrivains, en tant que citoyens engagés, peuvent contribuer à mieux faire connaître leur ville. À titre personnel, j’ai publié, en 2012, avec le Français mazaganais Christian Feucher, une brochure explicative sur la cité portugaise intitulée « Mazagan, patrimoine mondial de l’Humanité ». Cette brochure est parue après l’inscription de la cité par l’Unesco sur la liste du patrimoine mondial.  Ces initiatives demeurent isolées : pour le cas d’espèce, cette brochure, par exemple, n’a pas été acquise par la municipalité et n’a pas été mise à la disposition des touristes dans les établissements hôteliers connus.

El Jadida et sa région est une destination riche par ses potentialités mais beaucoup reste à faire.

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