Les fondements des déclarations de Bourita sur la tentation algérienne d’embraser la région - Bilal Talidi

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Le général Said Chengriha, chef d’état-major de l’armée algérienne

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Récemment, lors de la discussion sur le budget du ministère des Affaires étrangères, Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, a fait une déclaration importante devant la commission des relations extérieures, affirmant que l'Algérie cherche à entraîner la région du Maghreb dans une escalade militaire. Il a également mentionné l’existence d’indicateurs sur une volonté de l'Algérie de déclencher une guerre dans la région et d'engager un affrontement militaire avec le Maroc. Peut-être ne l’a-t-il pas exprimé aussi explicitement mais l’esprit y était.

Quoi qu’il soit, pareille déclaration ne peut pas passer inaperçue sans que ses termes soient analysés et ses implications minutieusement étudiées, car elle pourrait signifier, dans le cadre des relations internationales, que le Maroc et l'Algérie pourraient entrer dans ce qu'on appelle un "état de guerre".

Une logique de tension continue

Les signes militaires apparaissent d'abord à travers l'augmentation significative du budget de la défense de l'Algérie pour 2025 par rapport à l'année précédente. En effet, le budget de la défense s'élève à environ 25 milliards de dollars. Selon les chiffres relevés pour les budgets de défense de 2022 à 2024, il ressort que l'Algérie a dépensé 18,3 milliards de dollars en 2023, soit une augmentation de 76 % par rapport à 2022, pour atteindre 25 milliards de dollars dans le budget de 2025, ce qui représente une hausse de 10 % par rapport à 2024. Les mêmes indicateurs apparaissent également à travers les attaques militaires répétées, prêtées au Polisarion, qui ont ciblé des villes marocaines au cours des deux dernières années (2023-2024), notamment Smara, Ousserd, Assa Zag et Mahbes.

Du côté marocain, rien ne justifie le recours de l'Algérie à l'escalade, ni sur le plan militaire ni même diplomatique. En dehors du contexte de prévention de l'infiltration de milices du Polisario à travers le mur de défense, les Forces armées royales n'ont entrepris aucune action pouvant être considérée comme un signe d'escalade. Sur le plan diplomatique, il suffit de rappeler la politique de "main tendue" initiée par le roi Mohammed VI en 2018, rappelée en 2021 et 2022, visant à établir des "relations normales" avec l'Algérie, au-delà des tensions politiques entre les deux pays.

En revanche, l'Algérie s’est installée dans une logique de tension allant crescendo dont la décision unilatérale de rupture ses relations diplomatiques avec le Maroc en août 2021, est une expression extrême. Le président algérien a justifié cette décision comme un moyen d'éviter la pire option, à savoir la guerre, indiquant par-là même que l'option de la guerre était envisagée par les dirigeants algériens depuis 2021.

Facteurs internes et externes des crispations algériennes

Comprendre ces données nécessite de se poser la question de ce qui s'est passé en 2021 et des dynamiques qui ont suivi, conduisant l'Algérie de la rupture diplomatique à l'option de la guerre.

La rupture diplomatique s'explique en premier lieu par un contexte interne. L'Algérie est entrée dans une phase de turbulences après la période de protestations populaires qui l'ont sérieusement secouée suivie de la maladie du président algérien Abdelmadjid Tebboune, qui l'a conduit à se faire soigner en Allemagne. À son retour, le président a annoncé une série de décisions politiques (remaniement ministériel, dissolution du Parlement, organisation d'élections législatives anticipées, puis formation d'un nouveau gouvernement) visant à apaiser les tensions internes. Le discours officiel algérien a alors adopté le slogan de la "Nouvelle République algérienne". Dans cette quête de légitimité politique renouvelée, il était nécessaire de jouer la carte de l’ennemi extérieur pour mobiliser un soutien autour du régime. Et c’est dans ce contexte de confrontation diplomatique avec le Maroc, Ramtane Lamamra, farouchement hostile au Maroc, a été nommé ministre des Affaires étrangères en juillet 2021.

Le contexte externe éclaire davantage cette rupture : en décembre 2020, le Maroc a signé l'accord tripartite à Rabat, incluant la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara, accord que l'Algérie a interprété comme une garantie non seulement de soutien politique pour le Maroc, mais aussi de renforcement de son arsenal militaire et de développement de ses industries de défense selon les technologies les plus avancées.

La résolution 2602 du Conseil de sécurité est intervenue alors pour signer la percée diplomatique du Maroc mettant en exergue l’isolement de l'Algérie dans, auquel elle a répondu par une réaction virulente, allant jusqu'à accuser le Conseil de sécurité de partialité envers la position marocaine. Pour autant, et parallèlement à l’option militaire, l'Algérie a également misé sur la diplomatie, en se rapprochant de la France, qu’elle accusait d'être derrière les décisions du Conseil de sécurité favorables à la position marocaine.

C’est sur ce qu’intervient un nouveau choc pour l'Algérie, lorsque l'Allemagne a reconnu de l'initiative marocaine d'autonomie comme base de résolution politique, mettant fin au différend diplomatique entre les deux pays.

Mars 2022 un autre tournant dans les choix de l'Algérie entre diplomatie et guerre, est intervenue avec la reconnaissance par Madrid de l'initiative marocaine d'autonomie comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour résoudre ce conflit. L'Algérie s'est alors tournée vers la France, tirant parti de la crise énergétique en Europe après la guerre russo-ukrainienne, et a conclu un partenariat exceptionnel avec Paris en août 2022. Cependant, ces relations se sont rapidement détériorées, et la visite de Tebboune à Paris est entrée dans une impasse entre 2023 et 2024. Les relations se sont encore tendues après la visite de Macron à Rabat, la France ayant reconnu que le Sahara ne pouvait être envisagé en dehors de la souveraineté marocaine, engageant son pays à investir sérieusement dans l’économie des provinces du Sud, un engagement auquel la visite du 11 au 13 novembre 2024 de l’ambassadeur de France à Rabat, assortie de rencontre entre des chefs d’entreprises hexagonaux avec les responsables et les élus locaux, donne une première dimension concrète.

Les fragilités algériennes

Il est important de noter que, avant le développement de la position française, Ramtane Lamamra a été démis de ses fonctions en mars 2023, ce qui signifie l'échec de la classqiue diplomatie algérienne dans sa confrontation avec le Maroc, que ce soit dans la création de dynamiques alternatives ou dans l'influence sur les décisions du Conseil de sécurité.

En fin de compte, l'Algérie a non seulement perdu le soutien de Washington et des acteurs européens clés comme l'Espagne et la France, anciennes puissances coloniales au Maroc, mais elle a également perdu presque tout son voisinage, avec une instabilité croissante à l'est (Tunisie, Libye) et des menaces sécuritaires réelles aux frontières, notamment avec les mouvements du général Haftar à proximité. À l'ouest, la rupture diplomatique avec le Maroc et les tensions au sud avec le Niger et le Mali accentuent cette fragilité.

Les tentatives de l'Algérie de pousser la Tunisie, la Libye et la Mauritanie à créer un bloc maghrébin sans le Maroc ont échoué, malgré ses efforts de propagande lors de certains rassemblements. Pire encore, le conflit s'est intensifié avec Moscou, notamment sur les tensions régionales au Sahel. La Russie, adoptant une vision pragmatique, semble désormais envisager un intérêt au Maroc, envisageant un règlement politique au Sahara, et le potentiel de développement dans cette région.

Ces évolutions révèlent autant la force et l'efficacité de la diplomatie marocaine, que la fin de l'alternative diplomatique pour l'Algérie, laissant le recours militaire comme option de sortie fort probable.

Ces fragilités patentes et les dynamiques régionales et internationales en cours, notamment avec la réélection de Donald Trump aux États-Unis, tendent à faire du Polisario, qu’elle a créé de toute pièce, un problème purement algérien, dont Alger ne sait comment se défaire. En conséquence, elle perçoit de plus en plus sérieusement l’option militaire, comme l'unique solution pour éviter un "scénario catastrophe" qui pourrait signifier l’achèvement de la légitimité du régime algérien et entrainer sa chute.

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