Partition et demande au Maroc de préciser les détails de l'autonomie : les motivations des jongleries de De Mistura – Par Bilal Al-Talidi

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L’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU, Staffan de Mistura, et la désormais ex-ministre sud-africaine des Affaires étrangères, Naledi Pandor, à Pretoria, le mercredi 31 janvier 2024

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L'explication fournie par l’adjoint au porte-parole des Nations Unies, Farhan Haq, concernant la proposition de l'envoyé spécial de l'ONU pour le Sahara, Staffan de Mistura, de répartir le Sahara entre les deux parties, ouvre la voie à de nombreuses interprétations. D'une part, il a décrit ce que de Mistura a présenté aux parties comme n'étant pas une proposition onusienne. De l’autre, il a rappelé que la nature du travail de l'envoyé spécial du Secrétaire général pour le dossier du Sahara consiste principalement à informer le Conseil de sécurité sur son travail relatif à ce dossier. Il a également précisé qu'il vise à travailler avec toutes les parties concernées pour faire avancer le processus de manière constructive avant les prochaines consultations prévues (avril 2025). `

La question, cependant, ne concerne pas les idées que cet envoyé spécial présente aux parties, mais ce que souhaitent les membres du Conseil et les parties elles-mêmes en tant que voie à suivre dans cette affaire.

L’objectif à peine flou de de Mistura

Il est clair que l'objectif de cette déclaration est de réfuter que les Nations Unies aient officiellement proposé une partition. Ce que l'envoyé personnel aurait présenté aux parties ne serait que des idées pour tester leurs réactions. Ce qui devient officiel, c'est ce que les membres du Conseil de sécurité décident, sur la base du rapport présenté par le Secrétaire général des Nations Unies au Conseil, et ce que les parties concernées par le conflit acceptent.

En dehors du Polisario, les parties concernées par le conflit ont traité la proposition, avec beaucoup de distance. Rabat après avoir observé le silence a attendu près d’une semaine pour la question à la faveur d’un point de presse commun entre le ministre des Affaires étrangères marocain et son homologue estonien. Répondant à une question des journalistes, Nasser Bourita a déclaré ce que l’on peut en substance résumer ainsi : Lorsque M. De Mistura a évoqué le sujet, on lui a dit qu’on ne veut même en entendre parler.    

Au-delà de ces détails, les fuites concernant le contenu du brief de l’envoyé personnel du SG de l’ONU devant le Conseil de sécurité soulèvent non seulement des questions sur les motivations de M. De Mistura à relancer l'idée de la partition du Sahara, une idée qui a déjà été proposée et fortement rejetée, notamment par le Maroc, qui ne voit pas de solution en dehors de sa souveraineté sur son territoire. Elles soulèvent aussi des questions sur les raisons pour lesquelles il demande au Maroc de détailler sa proposition d'autonomie : quelles seraient les compétences que Rabat conserverait et quelles seraient celles qui relèveraient de l'autorité locale, sachant que dans sa proposition le Maroc a tranché cette question ?

Nous ne connaissons pas avec précision les raisons derrière cette demande à ce moment précis. S'agit-il d'embarrasser le Maroc ou de préparer un dialogue politique sérieux entre les deux parties basé sur la proposition d'autonomie marocaine ?

Il est difficile de privilégier l'une de ces hypothèses, mais au vu de la réaction de Rabat ressort une quasi-certitude qui veut  qu’en matière de négociations politiques les détails font partie du processus de négociation, et les révéler équivaut à dévoiler ses cartes à ses adversaires, les exposant ainsi au chantage politique. Il n'y a donc pas de négociation sur les détails sans que des positions de principe préalables ne soient établies. Sur cette base, on pourrait obtenir un consensus autour du principe que l'autonomie est la seule solution pour résoudre ce conflit, et que les adversaires reconnaissent que la proposition de référendum, à laquelle ils ont adhéré pendant près de cinq décennies, n'est plus une option viable, et qu'ils ne s'opposent pas à la solution de l'autonomie, à condition que les détails de cette proposition leur conviennent.

Lorsque de Mistura s’est condamné à l’échec

Une question importante se pose : quelle est la pertinence de demander au Maroc de détailler sa proposition d'autonomie alors que l'autre partie est toujours attachée à l'idée de référendum ? Cette demande de détails de la part de l'envoyé spécial est-elle adressée à l'autre partie, à la communauté internationale, ou aux membres du Conseil de sécurité ?

Si cela concerne la communauté internationale, le soutien international à la proposition marocaine d'autonomie n'a jamais été conditionné par de tels détails, alors que le soutien à l'idée de référendum a largement diminué, et l’époque de sa discussion, son infaisabilité a été publiquement déclarée lorsque James Baker, alors envoyé personnel, avait demandé aux parties de proposer une autre voie. Seul Le Maroc a répondu favorablement. Les opposants à l’initiative marocaine sont donc désormais complètement isolés après que les rapports précédents du Conseil de sécurité ont acté la voie « bakérienne » en reconnaissant que le référendum était une solution irréaliste et impossible à appliquer.

Si cela concerne les parties en conflit, hormis le Maroc, elles n'ont montré aucune souplesse jusqu'à présent. Elles restent attachées à leur proposition dépassée et envisagent même des options pour une escalade, bien que la situation internationale et régionale actuelle les empêche de poursuivre une telle voie, qui plongerait la région dans l'inconnu.

Si cela concerne les membres du Conseil de sécurité, alors détailler la proposition marocaine, à supposer qu’il y ait quelque chose à détailler, n'apporterait aucun bénéfice étant donné que le rapport du Secrétaire général des Nations Unies stipule que la solution politique nécessite des négociations sans conditions préalables.

Le Secrétaire général des Nations Unies est bien conscient du soutien international à la proposition marocaine d'autonomie au sein même du Conseil de sécurité, surtout après que Paris a exprimé sa nouvelle position en juillet dernier. Il sait également que la position des opposants n'attire plus l'attention, y compris celle de la Russie et de la Chine, qui ont développé des relations très avancées avec le Maroc, les amenant à passer du soutien à la position séparatiste à la neutralité et au soutien à la recherche d'une solution politique équitable au conflit.

Nous ne savons pas précisément ce que Staffan de Mistura vise en demandant au Maroc de détailler sa proposition, mais les indices suggèrent qu'il s'agissait d'une réponse « diplomatique empoisonnée » au rejet catégorique du Maroc à sa proposition de partition. Il semble vouloir envoyer un message politique au Maroc sur « l’ambiguïté » de sa position quant aux détails de l'autonomie, dans le but de fournir aux opposants un atout qui pousserait le Maroc dans la défensive, afin qu'ils puissent rejeter sa proposition avant même de donner leur approbation de principe sur la légitimité de l'autonomie comme solution au conflit.

En fin de compte, quelles que soient les interprétations du positionnement de De Mistura, la conclusion à en tirer est que son mandat est arrivé à son terme, et qu'il a échoué dans sa mission. Cela ne s'explique pas uniquement par le fait que l’Algérie et le Polisario restent arc-boutés sur leurs positions figées, mais parce que le non-respect des paramètres de négociation qui encadrent la médiation des Nations Unies sur cette question condamne toute mission de l'envoyé spécial à l'échec. Par conséquent, De Mistura ne s’est pas condamné à l’échec lorsqu'il a proposé la partition, mais bien au moment où il a voulu sortir du cadre des Tables rondes et quand il s'est tourné vers l'Afrique du Sud, insistant sur sa liberté de consultation avec des pays qu'il considère comme concernés par le conflit, tout en sachant que ce pays n'est pas concerné par ce dossier et qu'il est hostile au Maroc, soutenant activement ceux qui s'opposent à son intégrité territoriale.

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