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Taux de chômage au Maroc : un véritable casse-tête ! Par Abdeslam Seddiki
On ne doit pas perdre de vue le cas des NEET, personnes sans emploi ne poursuivant pas d'études et ne suivant pas de formation, qui représentent 1,6 Million dans la tranche d’âge 15-24 ans et plus de 4 millions dans la tranche d’âge 15-34 ans. L’enquête du HCP n’intègre pas cette catégorie dans la population en chômage
Le dernier chiffre du chômage annoncé par le Haut-Commissariat au Plan le mardi dernier tel qu’il découle des résultats du recensement général de la population effectué en septembre 2024, est tombé comme une bombe sociale sur le pays.
Alors que le taux de chômage donné par cette même institution pour le troisième trimestre 2024 est de 13,6%, il grimpe subitement à 21,3% selon les résultats du recensement. Soit un écart de près de 8 points ! c’est énorme dans les normes statistiques. Cela fait pratiquement 1 million de chômeurs de plus ! Comment peut-on expliquer cet écart ? Par une erreur d’analyse ? Une différence de méthode ? des déclarations imprécises de la part des personnes sondées ou recensées selon le cas ? Un véritable casse-tête en somme.
Osons apporter, sinon des explications définitives, au moins des pistes de réflexion.
On trouve en premier lieu une différence de méthodologie. Alors que les enquêtes trimestrielles du HCP se basent sur un échantillon, le recensement se base sur les déclarations des personnes recensées. Cet échantillon, considéré comme représentatif, se compose de 9000 ménages, soit 400 000 personnes. La définition du chômage est celle adoptée dans la terminologie du Bureau international du travail selon laquelle « Un chômeur est une personne âgée de 15 ans ou plus qui répond simultanément à trois conditions : être sans emploi durant une semaine donnée ; être disponible pour prendre un emploi dans les deux semaines ; avoir cherché activement un emploi au cours des quatre dernières semaines ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois. ».
On le voit, c’est une définition extrêmement précise et restrictive. Sur cette base, le taux de chômage au cours du troisième trimestre 2024 est de 13,6% avec des disparités entre le milieu rural et le milieu urbain, entre les sexes, entre les tranches d’âge et selon le diplôme. En combinant ces différentes variables, ce taux atteint 50,3% pour les jeunes de 15-24 ans en milieu urbain ! Aussi, une femme sur quatre est en chômage en milieu urbain, un diplômé sur cinq est sans emploi … Des chiffres ahurissants que le taux de 13, 6% ne saurait dissimuler.
En plus des personnes en chômage, le HCP distingue les personnes en sous-emploi. « Le sous-emploi recouvre les personnes ayant un emploi à temps partiel qui souhaitent travailler plus d'heures et qui sont disponibles pour le faire, qu'elles recherchent ou non un emploi. ».
Le taux du sous-emploi selon les données du HCP relatives au troisième trimestre 2024 est estimé à 10%.
Telle est donc la méthodologie suivie pat les enquêtes trimestrielles. Dans le recensement général de la population, la méthode suivie est différente : on interroge directement les personnes recensées en leur posant les deux questions suivantes : « avez-vous travaillé au cours de la dernière semaine ? Êtes-vous en train de chercher du travail et à travailler si vous en trouvez un ? A partir de ces questions et des réponses enregistrées, on dégage le fameux taux de chômage de 21,3 %. Il n’est pas surprenant au regard de la nature duale du marché du travail et de l’importance du sous-emploi qui pourrait être assimilé par les personnes concernées au chômage. Entre le sous-emploi et le sans-emploi, la marge est serrée.
Ce différentiel entre le taux de chômage mesuré (enquêtes) et le taux de chômage déclaré (recensement) a été relevé également lors du recensement de 2014 : selon l’enquête trimestrielle, le taux de chômage a été de 9% contre 16% d’après le recensement, soit une différence de 7 points.
En plus de cette différence méthodologique qui constitue, de notre point de vue, le facteur fondamental de ces deux taux de chômage divergents, on soulignera d’autres facteurs de moindre importance.
Tout d’abord, un certain nombre de personnes qui sont en situation de sous-emploi, notamment dans le monde rural, se considèrent comme si elles étaient en chômage. Il en va de même pour d’autres personnes qui exercent une activité à la sauvette en occupant des petits boulots, juste pour survivre. On les retrouve abondamment dans le secteur informel comme les vendeurs ambulants qui envahissent l’espace public dans les villes marocaines.
Ensuite, on ne doit pas perdre de vue le cas des NEET, personnes sans emploi ne poursuivant pas d'études et ne suivant pas de formation, qui représentent 1,6 Million dans la tranche d’âge 15-24 ans et plus de 4 millions dans la tranche d’âge 15-34 ans.
L’enquête du HCP n’intègre pas cette catégorie dans la population en chômage. Par conséquent, il n’est pas exclu qu’un certain nombre de personnes appartenant à la catégorie des NEET aient saisi l’occasion du recensement pour exprimer leur désarroi en se déclarant en chômage
Enfin, on estime, à tort ou à raison, que les personnes recensées rechignent à se déclarer occupées pour ne pas être pris dans le piège du Registre Social Unique qui constitue la base de l’attribution de l’aide sociale. Une personne qui travaille n’a aucune chance de bénéficier d’une telle aide, car elle ne remplira pas les conditions requises.
Ce sont là quelques éléments à verser dans le débat. La question du chômage, en dépit de cette polémique des chiffres, demeure entièrement posée et prend dans certains cas des proportions dramatiques. C’est une question qui touche la dignité de l’être humain. L’émancipation ne peut se faire que par le travail et dans le travail. Seul le travail est libérateur et donne à l’homme et à la femme le sens d’exister. Pas de vie sans travail.
C’est pour cela que tout doit être fait pour assurer à chaque citoyen un emploi décent. Une tâche difficile certes, mais n’est pas impossible. La meilleure façon d’aider les gens est de leur offrir un emploi. Au lieu de leur donner un poisson, il vaudrait mieux leur apprendre à pêcher. Il faut pour cela encourager les activités fortement créatrices de l’emploi, à côté des grands chantiers structurants, libérer les initiatives, accompagner les porteurs de petits projets pour les aider à sortir de l’informel. Le gouvernement a fait beaucoup de promesses, mais peu d’actions concrètes sur le terrain.
Tant que les structures économiques sont ce qu’elles sont, le HCP aurait du mal à cerner le taux de chômage et la nature de l’emploi. Ce qui ne dispensera pas cette institution, avec ses cadres et ses statisticiens, de faire plus d’effort méthodologique pour approcher ce sujet complexe et difficile à cerner.
L’objectif ultime est de voir à terme, notre pays, disposer d’une assurance chômage généralisée. C’est à cette condition, et à elle seulement, qu’on saurait le nombre EXACT des personnes en chômage.