National
Tribune - Enseignement : qui sème le vent – Par Hassan Benaddi
Depuis le premier colloque de la Maamora, au début des années soixante, en passant par de nombreux colloques et autres forums, organisés à maintes reprises, durant le règne de Hassan II, puis les différentes tentatives de réformes, initiées sous le règne actuel, la carte de l’école est demeurée l’enjeu par excellence des convoitises inavouables des lobbys et des opportunismes.
Face à la situation, chaque jour plus délétère qui prévaut dans le secteur le plus vital qui soit dans la vie d’une nation, qui est le secteur de l’éducation et de la formation, et qui menace, pour de multiples raisons, de déborder tout contrôle et de porter préjudice à la dynamique globalement prometteuse qui semble porter le pays, durant cette troisième décennie du règne actuel, je me sens obligé d’exprimer, autant que possible se peut, avec impartialité et en toute franchise, un jugement qui ne prétend peser que par l’effort de lucidité dont il découle.
Hassan Benaddi : ‘’Quand on regarde aujourd’hui le champ de ruine qu’est devenu le syndicalisme salarié national, (contrairement au syndicalisme patronal !), on a le droit de s’inquiéter sur les multiples risques de perversion et de sabotage qu’encourent les différents projets révolutionnaires, initiés par la volonté et l’implication royales’’
Je tiens tout d’abord à rappeler (ayant moi-même assumé par le passé des responsabilités militantes en tant qu’ancien secrétaire général de la fédération nationale de l’enseignement, au sein de l’UMT) quelques vérités, maintenant globalement bien établies ; concernant la question de l’enseignement au Maroc. La première de ces vérités est que, contrairement à d’autres pays où les élites furent suffisamment sages et responsables, pour décréter d’emblée « la sanctuarisation » de ce secteur ; en le maintenant constamment au dessus des compétitions politiques et loin des manœuvres politiciennes ; chez nous, la question de l’école est devenue, très vite, la carte par excellence à jouer, dans les combats politiques de toutes sortes et à tous les niveaux.
Depuis le premier colloque de la Maamora, au début des années soixante, en passant par de nombreux colloques et autres forums, organisés à maintes reprises, durant le règne de Hassan II, puis les différentes tentatives de réformes, initiées sous le règne actuel, la carte de l’école est demeurée l’enjeu par excellence des convoitises inavouables des lobbys et des opportunismes. Bien plus, le syndicalisme enseignant fut le terreau fertile des manœuvres des manipulateurs et même des comploteurs. Toute la lumière n’a pas encore été faite sur les dessous de certaines grandes agitations qui ont jalonné le parcours du syndicalisme enseignant marocain et dont les véritables meneurs n’ont pas été ceux dont nous avons retenu les noms et dont les desseins n’ont jamais été réellement révélés. 1965, 1981, 1990 ! Des moments dramatiques, dans l’histoire du syndicalisme enseignant où le non-dit a toujours représenté le cœur et le moteur des contestations ; et où les masses survoltées sont en général mise à contribution, sans rétribution…
Ainsi, le syndicalisme enseignant a toujours été le déclencheur des opérations de division et de mise au pas du syndicalisme ouvrier en général. Avant d’aboutir à l’atomisation surréaliste, qui caractérise actuellement le champ du syndicalisme enseignant en particulier et du syndicalisme salarié en général, où pullule une multitude d’organisations, regroupant des généraux sans troupes et une multitude de « coordinations », perpétuellement naissantes et évanescentes, il faut souligner qu’un travail de sape s’est longtemps acharné, contre la valeur cardinale, qui constitue l’âme, la sève et même l’utilité du syndicalisme ; à savoir son unité. Violence, répression, corruption, rien n’a été ménagé, depuis les premières heures de l’indépendance du Maroc, pour venir à bout de l’unité de la classe ouvrière, cette force inédite, toute jeune, mais si déterminante, dans les nouveaux rapports de forces en devenir. Dans le sillage des divisions et des scissions qui feront voler en éclats l’unité du mouvement national marocain, depuis les premières heures de l’indépendance, le travail de sape contre le syndicalisme s’est mis à l’œuvre, aidé par les errements, les archaïsmes et souvent la vénalité des dirigeants de ce syndicalisme lui-même.
Quand on regarde aujourd’hui le champ de ruine qu’est devenu le syndicalisme salarié national, (contrairement au syndicalisme patronal !), on a le droit de s’inquiéter sur les multiples risques de perversion et de sabotage qu’encourent les différents projets révolutionnaires, initiés par la volonté et l’implication royales. Notamment ceux concernant le domaine social. En l’absence d’une expression forte, organisée et équilibrée des différents acteurs, pouvant faire face aux déviations et aux velléités hégémoniques, de plus en plus manifestes, d’un libéralisme sauvage, à la boulimie débridée, qui avance masqué, en invoquant à tout bout de champ « les orientations royales », de manière hypocrite, frisant la félonie, en l’absence donc de tout cela, les conditions nécessaires d’une mobilisation authentique de toutes les énergies, au service de ce dessein national, ne seront jamais réalisées.
Les objectifs tracés par le nouveau modèle de développement, les défis multiples qui découlent des déficits accumulés dans plusieurs secteurs, à plusieurs égards et à différents niveaux, en plus d’un environnement et d’un contexte internationaux de plus en plus incertains, tout cela exige, plus que jamais, une détermination et un sérieux à toute épreuve. La nécessité de l’affirmation d’un état fort (par son exemplarité morale, par son efficacité managériale, et par sa crédibilité) et l’adhésion sincère de forces sociales loyales, déterminées, organisées et responsables, sont les préalables incontournables pour relever les défis d’une émergence, plus que jamais à portée de main.
C’est à l’aune de ces préalables que nous devons apprécier les éléments constitutifs de cette situation de crise que vit le secteur vital de l’enseignement depuis malheureusement plusieurs semaines.
Qu’en est-il en réalité ?
La crise nous renseigne sur les divers dysfonctionnements qui concerne précisément ces paliers ou préalables que nous venons d’évoquer.
Nous avons parlé de champ de ruines à propos du palier d’encadrement des forces sociales. Nous pourrions en dire autant si nous venons à évoquer les moyens d’expression de ces forces sociales et plus généralement les instruments de communication entre les protagonistes et la (désastreuse) qualité de leur efficience. En l’absence de locuteurs légitimes, audibles et crédibles, le champ de la communication entre gouvernants et gouvernés n’est plus qu’un espace nocif, où dominent la cacophonie, la surenchère, le mensonge organisé, le déni et l’imposture lucratifs et subventionnés ; et où ne sévissent plus que les corrupteurs et leurs acolytes stipendiés. Il n’est plus scandaleux d’organiser presqu’institutionellement des relations et des espaces d’asservissement des médias (y compris publics). Il paraît que les nouvelles « élites » politiques et économiques n’hésitent plus à s’en féliciter…dans les salons de la capitale et d’ailleurs.
Dans une précédente réflexion, consacrée aux dernières élections législatives, j’avais parlé de victoire à la Pyrrhus. Je voulais parler du prix exorbitant qu’il a fallu payer pour tourner pacifiquement une mauvaise page de la jeune expérience démocratique marocaine. Pour endiguer la déferlante islamiste, on a encouragé l’émergence, voir la mainmise sur les partis politiques de ceux qui sont « capables de gagner les élections ». Ainsi, les institutions élues furent presque totalement investies par le tout-venant ; ceci se traduisant par une baisse spectaculaire du niveau, aussi bien du discours que de l’action, et par une course décomplexée aux privilèges et à la prédation. La mauvaise monnaie chassant la bonne, les honnêtes, les intègres, les rêveurs et même les « idiots utiles », sont obligés de s’effacer, laissant le champ libre aux médiocres, aux cyniques et aux profiteurs. Tout ceci se produit (grâce aux moyens de communication modernes) sous les yeux d’un public ruminant à la fois sa déception, son ressentiment et sa rage.
Le champ politique est totalement désenchanté. La désaffection atteint son comble et le populisme se donne libre court ; alimenté à la fois par les manipulateurs (parfois télécommandés) et par les vaincus, les exclus, les jaloux, les incapables, les déçus, mais aussi par l’indignation quasi générale ; qui est souvent très mauvaise conseillère des masses…
Un sursaut de responsabilité s’impose, pour conjuguer vigilance, réalisme, efficacité et équité.
Car les revendications des enseignants sont justes et légitimes.
Car leur expression légitime court des risques de manipulation, du fait de leur fragilité organisationnelle.
Car le contexte international et notamment l’agression criminelle que mène l’extrême droite israélienne, contre le peuple palestinien, avec «le soutien inconditionnel » des Etats occidentaux, créent une situation explosive au sein des pays arabes et particulièrement les plus modérés.
Pour toutes ces raisons, le Maroc doit mobiliser toutes ses capacités de clairvoyance, d’intelligence et d’intransigeance.
Nous entrons bel et bien dans une phase où les profiteurs, les médiocres et les opportunistes n’ont rien à faire…À bon entendeur salut !