National
Une démocratie en mal de maturation
La démocratie n’est pas une notion abstraite qui échappe à l’appréhension et à la compréhension des gens.
Le Parlement va devoir adopter une fournée de modifications de lois électorales devant encadrer le prochain scrutin. Dans le pipe législatif, le dernier conseil des ministres a mis le quota des femmes qui verra, pour la Chambre des représentants, la circonscription régionale e substituer à la nationale. Il a aussi programmé l’introduction, partielle, de l’incompatibilité de la charge de député avec la présidence d’une commune supérieure à 300 mille habitants, et prévoit également la possibilité pour les organisations patronales les plus représentatives de constituer un groupe parlementaire ainsi que l’adoption du scrutin uninominal dans les circonscriptions de moins de 50 mille habitants. A l’ordre du jour, enfin, le relèvement de la subvention publique aux partis.
De prime abord on constate que les sujets les plus clivant n’ont pas encore fait consensus entre les partis, notamment ceux se rapportant au seuil de représentativité, au quotient électoral, au quota des jeunes et à la participation des Marocains résidant à l’étranger.
Certes, les lois électorales restent de simples mécanismes d’organisation des élections et de formation des conseils. Elles n’en demeurent pas moins sur le fond liées à l’exercice démocratique dont elles expriment le degré de maturité. Comprendre leurs implications nécessite leur relecture en relation sémantique avec les préambules des textes de lois, car eux seuls peuvent à la fois renseigner sur les motivations qui font que l’on recourt à une loi et pas à une autre, et éclairer sur le décalage entre les intentions déclarées et les faits.
Ce qui pose toutefois problème à cette approche au Maroc, c’est que le processus démocratique n’y est pas encadré par un code unique et continu, chaque échéance générant ses propres lois. Sans compter qu’à chaque modification, le législateur n’éprouve aucune difficulté à la justifier par la nécessité de faire évoluer la loi dans l’intérêt même du système électoral et de la démocratie en vue de sa consolidation, se souciant peu de ce que ces changements ont de contradictoire avec les précédents textes.
Il est regrettable que la mémoire politique ne préserve pas grand-chose des préambules de ces lois successives qui se sont substitué les unes aux autres sans égard aux incohérences auxquelles elles donnent lieu.
L’exemple du seuil de représentativité est certainement dans ce sens éloquent. Il a été fixé à 6% en arguant qu’il procédait de la rationalisation de l’opération électorale pour en finir avec la fragmentation partisane et déboucher sur des pôles politiques. Il a par la suite été réduit de moitié en s’appuyant sur des justifications presque similaires.
Sans sombrer dans le sexisme, on relèvera aussi que le quota des femmes n’a pas été établi en 2002 pour durer ad vitam aeternam, mais juste le temps de faciliter leur intégration dans l’espace politique. Près de deux décennies plus tard, il semble s’installer plus que jamais comme un procédé irrévocable.
Les mêmes observations pourraient être faites au quota des jeunes qui a été instauré pour une meilleure implication de la jeunesse dans les affaires publiques. La plupart du temps, il s’est transformé en une marre de reconduction des systèmes de privilèges indues, de népotisme et de clientélisme sans que l’on ose encore le remettre en cause.
Plus édifiant encore, l’exemple du scrutin par liste. Son adoption a été fondée dans le préambule de la loi l’instaurant sur un argumentaire qui en fait l’essence même de la démocratie. Relié à l’impératif moderniste d’avantager le rapport des citoyens avec les partis, il abolirait le système traditionnel privilégiant les relations personnelles et les liens tribaux. Au point que l’on a cru que dans une démocratie désireuse de modernité, ce mode de scrutin allait non seulement devenir définitif, mais pouvait se généraliser à toutes les élections y compris dans les communes de moins de 35 mille habitants.
Au même registre on peut porter le passage du quotient électoral selon le nombre des votants au quotient suivant le nombre des inscrits. Comment peut-on l’expliquer dans un préambule si ce n’est par l’improbable souci d’équilibre entre le droit de la majorité à l’légiférer et la préservation des droits de la minorité à l’existence législative. ?
Le soutien financier des partis diffère peu de ce qui précède. Expliquées dans le préambule par le besoin de doter les formations politiques des moyens nécessaires à leur mission d’encadrement et de recrutement de compétences, les subventions de l’Etat ont été revues à la hausse sans justification et sans évaluation de leur efficience sur le rendement des partis. Tout au plus l’Etat se contente-t-il d’en contrôler la transparence et la gouvernance sans vérifier si les dépenses correspondaient à des activités organisationnelles et intellectuelles effectives et conséquentes.
Ces quelques exemples jettent une lumière crue sur les paradoxes entre les mesures antinomiques consignées dans les lois électorales et le contenu des préambules qui ne jurent que par la démocratie. Ils informent nettement sur le hiatus entre les professions de foi et leurs déclinations dans les faits.
Le recours donc aux préambules des lois pour mesurer le degré de maturité de la démocratie, s’il fausse l’évaluation de celle-ci, permet de démontrer leur inadéquation avec les actes.
A l’aune de ces préambules, les règles et lois édictées se révèlent en contradiction avec les objectifs déclarés. Elles reflètent plutôt la logique qui préside à la gestion des élites politiques. Une logique mouvante qui change non selon les exigences de la maturation de la démocratie, mais en fonction des besoins de l’autorité. Aussi, l’objectif des préambules apparait pour ce qu’il est : Le prisme permettant de créer une perception travestie de la réalité. C’est en définitive une tentative de convaincre l’opinion publique que la logique de la gestion des élites selon les exigences de l’autorité n’est pas en opposition avec les impératifs de l’évolution démocratique.
Mais cette méthodologie de façonnement des opinions publiques se heurte à l’entêtement des faits. Car la démocratie n’est pas une notion abstraite qui échappe à l’appréhension et à la compréhension des gens. Mais une pratique aux règles bien définies, en cours dans plusieurs pays démocratiques. Elle est ordonnancée par un référentiel qui juge avec précision les modèles qui se déclarent progresser vers la démocratie.
Sans doute, il y a des obstacles à la maturation de la démocratie qui expliquent ses trébuchements. Mais pour que semblable justification soit recevable, il faudrait que le processus dans son ensemble soit en progression constante jalonnés d’acquis cumulatifs. La même justification devient incompréhensible dès lors qu’on assiste à des régressions enveloppées dans une logorrhée démocratique.