17 mois où l'avenir du Maroc s'est joué

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1960
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Par Naïm Kamal - Pendant 17 mois il a été président du conseil. 17 mois qui auraient pu changer la face du Maroc. 17 mois dont Abdallah Ibrahim n’est jamais revenu

J’avis cinq ans quand le gouvernement Abdallah Ibrahim (1918 -2005) est installé le 24 décembre 1958, moins de sept quand il fut renvoyé le 21 mai 1960 et ma conscience politique était bien forgée quand en 1975 l’USFP de Abderrahim Bouabid consommait sa rupture avec l’UNFP de Abdallah Ibrahim, lui-même issu d’une scission au sein de l’Istiqlal. Pourtant la place de cet homme dans l’histoire contemporaine du Maroc restait, et reste peut-être encore, une énigme. Si je ne m’en tiens qu’aux prismes qui commandaient ma perception politique de l’époque, Abdallah Ibrahim est synonyme d’immobilisme et reflet d’une alliance douteuse avec un syndicalisme « véreux », celui qu’incarnèrent longtemps Mahjoub Benseddik et son UMT.

Je l’ai dit, ce sont des prismes et sans doute que Abdallah Ibrahim n’a jamais eu l’aisance du grand bourgeois fassi qu’était Allal*, ni la fringance un brin dandy d’un Abderrahim Bouabid. Il n’en est pas moins un personnage clé des deux premières décennies de l’indépendance. Le gouvernement dont il a porté le titre de président du conseil, pourtant éphémère (17 mois), reste dans la chronique le gouvernement où l’avenir du Maroc, celui que se décline sous nos yeux, s’est joué.

Pourtant il reste un grand inconnu des Marocains et sa contribution à la pensée politique moderne du Maroc mal définie. C’est probablement pour combler ces lacunes et rendre justice à un homme dont la probité ne souffre pas le doute que Zakia Daoud lui a consacré un ouvrage, Abdallah Ibrahim, l’Histoire des rendez-vous manqués*. Dès les premières pages se profile un personnage à l’image insaisissable malgré les efforts répétitifs de l’auteur, sans être lassants si ce n’est vraiment vers la fin, à nous le faire cerner.

Dès le début on part avec un homme ouvert, marqué par une certaine forme d’internationalisme, ou d’universalisme qui croit fermement que « la culture est une chaine illimitée qui ne connait pas de confins géographiques » si bien que les plus belles années de sa vie semblent être celles qu’il a vécues de 1945 à 1949 à Paris dans l’effervescence intellectuelle de l’époque et du lieu. La nostalgie de ces instants magiques l’accompagnera tout au long de son parcours.

Sur fond de sa alémia (doctorat en théologie), féru d’histoire dont il fera profiter Zakia Daoud, curieux des choses de l’esprit, il est l’un des premiers et des rares à comprendre dans la culture ambiante de l’époque que la dialectique infrastructure/superstructure est fallacieuse et n’aura de cesse de prêcher l’action sur les mentalités, tant lui apparait clairement que les changement des rapports avec les moyens de production n’induit pas forcément la transformation des modes de pensées et de comportements.

Politiquement, l’ouvriérisme lui colle à la peau, sans doute la marque de la doxa marxiste de l’époque, qui teinte son discours d’un marxisme primaire dans l’exaltation des masses populaires et de la classe ouvrière. Paradoxalement, relève Zakia Daoud, et alors que déjà l’arlésienne du roi qui règne mais ne gouverne pas se pose, Abdallah Ibrahim va se réfugier obstinément dans un légalisme et un pacifisme paralysants.

Pendant 17 mois il a été président du conseil. 17 mois qui auraient pu changer la face du Maroc semble dire avec Abdallah Ibrahim Zakia Daoud. C’est un vaste sujet sur lequel il faudra peut-être revenir. Abdallah Ibrahim, lui, n’en est jamais revenu.  De cette ambition contrariée, de l’itinéraire de cet homme, Zakia Daoud nous a fourni une vue panoramique de ces années folles qui ont forgé le Maroc d’aujourd’hui et conditionné ses reflexes et ses pensées.

*Zakia Daoud, Ed. La croisée des chemins    

 

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