Santé
A l'OMC, la rude bataille contre l’apartheid vaccinal révélé par les vaccins anti-Covid
Des membres d'une organisation non gouvernementale crient des manifestent dans l'atrium central du siège de l'Organisation mondiale du commerce, lors du deuxième jour de la conférence ministérielle de l'OMC à Genève, le 13 juin 2022. (Photo : Robin MILLARD / AFP)
Marqués par les coûteuses erreurs dans la lutte contre la pandémie de Covid-19, les ministres de l'OMC pourraient lever les brevets sur les vaccins anti-Covid et faciliter les obstacles à la circulation des produits médicaux cruciaux. Mais les divergences restent profondes.
La Nigerianne Ngozi Okonjo-Iweala a fait de la réponse à la pandémie une priorité depuis son arrivée à la tête de l'Organisation mondiale du commerce en mars 2021.
Et les ONG sont venus rappeler aux diplomates l'importance du sujet en protestant lundi au sein même de l'organisation, brandissant une banderole où l'on pouvait lire: "Mettez fin à l'apartheid vaccinal!"
"La propriété intellectuelle est l'antithèse du libre-échange. Les monopoles liés à la propriété intellectuelle font monter les prix et étouffent la concurrence", a déclaré à l'AFP une des manifestantes, Deborah James, en pointant du doigt les règles de l'OMC.
Deux textes sont en discussion à la conférence ministérielle de l'OMC (jusqu'au 15 juin). L'un doit faciliter la circulation des ingrédients nécessaires à la lutte contre les pandémies, l'autre doit permettre une levée temporaire des brevets des vaccins anti-Covid.
Ce dernier sujet divise, l'industrie pharmaceutique et la Suisse y voyant un affaiblissement de la propriété intellectuelle, alors que pour les ONG, le texte ne va pas assez loin.
Médecins sans frontières déplore qu'il soit limité dans le temps et ne traite pas d'autres obstacles à la propriété intellectuelle, tels que les secrets industriels.
L'issue des discussions est incertaine. L'OMC fonctionnant par consensus, il faut que les 164 pays membres s'entendent pour conclure.
Plus de deux ans après l'apparition du Covid-19, le constat est amer. Le taux de vaccination reste insuffisant dans les pays pauvres, notamment en Afrique.
Si les vaccins sont désormais produits en suffisance, ils ont au plus fort de la pandémie fait cruellement défaut dans les pays défavorisés, tandis que les populations de pays développés recevaient déjà leur dose de rappel.
Dans son discours, le ministre indien du Commerce Piyush Goyal, dont le pays a lancé aux côtés de l'Afrique du Sud l'idée de lever les droits de propriété intellectuelle pour l'ensemble des dispositifs médicaux Covid, a déploré que l'OMC n'ait pas "su réagir rapidement."
"Les pays riches doivent faire leur introspection ! Nous devons courber l'échine de honte pour notre incapacité à réagir à temps à la pandémie", a-t-il dit.
Mais l'Inde a suspendu ses exportations de vaccins pendant de nombreux mois pour répondre aux besoins de sa population, alors qu'elle était le principal fournisseur pour le système de partage international Covax.
"Nous avons choisi la mort"
Pour la directrice exécutive de l'Onusida Winnie Byanyima, "pendant une pandémie, partager les technologies est une question de vie ou de mort et nous avons choisi la mort".
Le projet d'accord concernant la propriété intellectuelle prévoit que les "pays en développement admissibles" pourront produire des vaccins "sans le consentement du détenteur du droit au moyen de tout instrument disponible dans la législation" ce pays.
Mais les négociateurs ont laissé plusieurs crochets signalant les domaines non résolus. Ainsi, le projet d'accord propose que les pays en développement ayant la capacité d'exporter des vaccins soient "encouragés" à ne pas faire usage de la levée des brevets.
Il est également envisagé que les pays en développement dont la part dans les exportations mondiales de doses de vaccins contre le Covid-19 en 2021 a été supérieure à 10% ne puissent pas recourir à la levée des brevets, excluant de facto la Chine.
La Chine a promis de ne pas utiliser les facilités permises aux pays en développement par ce projet d'accord, mais, selon plusieurs diplomates, les Etats-Unis souhaiteraient que cet engagement soit écrit.
Le texte prévoit la possibilité d'étendre l'accord aux tests et aux traitements six mois après son adoption, mais il n'y a pas encore de consensus.
Le second texte souligne les contraintes subies par certains pays en matière d'offre de vaccins, de traitements, d'outil de diagnostic et d'autres produits médicaux essentiels liés au Covid.
Il demande de faire en sorte que toutes les mesures commerciales d'urgence visant à lutter contre le Covid soient "ciblées, proportionnées, transparentes, temporaires, et qu'elles ne créent pas d'obstacles non nécessaires au commerce ou de perturbations non nécessaires dans les chaînes d'approvisionnement". (AFP)