La santé mentale, une affaire commune qui nécessité d'une approche holistique (Jalal Toufiq)

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Dr Jallal Toufiq, directeur de l’hôpital psychiatrique universitaire Arrazi de Salé.

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Par Fatima Zahra BELARBI (MAP)

Rabat - Considérée comme une priorité partagée, la psychiatrie qui s'inscrit dans le domaine de la santé mentale suite à l'élargissement de son champ d’action, prend désormais une place importante en tant que préoccupation majeure de la santé publique et de ses enjeux actuels et futurs.

La santé mentale est un bien précieux. Elle est aussi importante que la santé physique pour le bien-être de l'individu et de la collectivité. C’est pourquoi les problèmes de la santé mentale constituent une importante question de la santé publique dans son acception la plus large.

Les conséquences des troubles mentaux peuvent être importantes, nuisant au fonctionnement et à la productivité de toute personne. Un constat qui fait de la santé mentale une affaire commune et une responsabilité collective au sein de toutes les nations.

"La maladie mentale est une affaire commune et il y a nécessité d'une approche globale impliquant plusieurs intervenants, notamment le ministère de la Santé, le personnel de santé et apparenté, le patient et sa famille, ainsi que la communauté et le décideur politique", a déclaré à la MAP Jallal Toufiq, directeur de l’hôpital psychiatrique universitaire Arrazi de Salé.

A l'occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, célébrée le 10 octobre de chaque année, M. Toufiq a fait appel à "l’instauration d’un cadre réglementaire plus clair encadrant l'activité des psychothérapeutes et des autres intervenants", ajoutant que "toute intervention en psychiatrie doit être basée uniquement sur le fait scientifique partant d’une formation académique et sanctionnée par une attestation certifiante ou diplômante".

"Les malades et leurs familles souffrent en silence et pas uniquement de la maladie elle-même, mais de tout ce qui entoure la prise en charge", a-t-il noté, estimant qu’aucune autre catégorie de malades "ne souffre comme celle des malades mentaux".

Au Maroc, à l'instar d'autres pays, la santé mentale est placée au cœur des programmes de la santé publique. Elle s’est orientée vers une désinstitutionnalisation, une sectorisation par une régionalisation avancée et la généralisation de l’assurance maladie obligatoire, l'objectif étant de combler ses lacunes par une mobilisation des moyens humains et matériels nécessaires et le développement des soins de santé primaire.

Revenant à ce propos sur les efforts déployés par l’ensemble des acteurs de ce domaine, M. Toufiq a indiqué que "l'Etat, à travers le ministère de tutelle, a fait de la santé mentale sa priorité sur les vingt dernières années", notant que les pouvoirs publics, à travers les plans d'action nationaux, dont le "Plan Santé 2025", promeut une approche holistique de la problématique.

Sur la situation actuelle, il a fait savoir qu'au Maroc "nous disposons d'à peu près 1500 intervenants en santé pour une capacité de 2320 lits publics et privés", estimant que "ceci est extrêmement insuffisant", au moment où "le manque cruel des ressources humaines qualifiées continue de grever l’évolution de ce domaine".

A cet égard, il a soutenu que "deux facteurs essentiels freinent le développement des programmes de santé mentale au Maroc, à savoir la stigmatisation et l'ignorance autour des maladies mentales, et le manque des ressources humaines qualifiées".

"La psychiatrie souffre d'une prise en charge très en-deçà des aspirations des citoyens et les hôpitaux sont loin d'offrir les conditions idoines de prise en charge et là c'est un euphémisme", a-t-il dit, précisant que les ressources humaines qualifiées sont rares avec "à peine 450 psychiatres, 220 psychologues et quelques 1400 infirmiers".

M. Toufiq a estimé qu’il faut avoir "une disponibilité et une qualification des ressources humaines, en plus de l'implication massive de la société civile", soulignant l'importance d'impliquer les associations dédiées à la santé mentale, parallèlement à "la capacitation de ces associations".

Ceci est d'autant plus urgent que pendant la pandémie de Covid-19, les troubles de santé mentale se sont amplifiés. Le contexte pandémique a eu de profondes répercussions sur la santé mentale et le bien-être, et a engendré des manifestations mentales et neurologiques, comme la dépression, l’anxiété et l’encéphalopathie infectieuse.

La santé mentale de tous a été affectée d’une manière ou d’une autre, que cela résulte du risque de contracter une infection, du stress provoqué par les mesures de prévention, de la crainte de perte d’emploi ou de revenus, de la suspension de l’enseignement ou du manque de participation à la vie sociale.

Sur ce registre, le psychanalyste Jalil Bennani a soutenu, dans une déclaration similaire, que "la pandémie a mis tout le monde face aux angoisses de la maladie et de la mort et chacun a pu éprouver cet état".

"La pandémie nous a placés devant l’inconnu, l’insécurité et le danger et a perturbé nos modes de vie, nos habitudes et nos traditions", a-t-il dit.

Il a signalé que cette situation a mis en évidence l’importance primordiale de la santé mentale et la nécessité de donner plus de moyens à ce secteur, comme l’a souligné le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres.

Évoquant les maladies mentales les plus répandus au Maroc, M. Bennani a fait savoir que "les troubles psychiques les plus fréquents sont la dépression et l’angoisse".

"La dépression concerne toutes les catégories d’âge et tous les milieux sociaux, alors que l’angoisse peut être normale et passagère et devient pathologique lorsqu’elle est trop forte", a-t-il expliqué.

Au sujet des moyens de soutien psychologique à engager, le psychanalyste a précisé qu’il faut "essayer d’agir sur les causes déclenchantes qu’elles soient individuelles, familiales ou professionnelles et accompagner la personne qui souffre en étant présent et rassurant autant que possible, tout en évitant de culpabiliser la personne déprimée ou angoissée".

Aussi a-t-il souligné l'importance de "disposer d’un plus grand nombre de spécialistes, leur assurer une bonne formation et leur donner les moyens nécessaires".

"L’investissement humain est capital et peut contribuer à diminuer d’autres dépenses de santé, réduire l’absentéisme, favoriser l’épanouissement individuel et le développement social", a-t-il dit.

"Il faut développer les potentiels qui existent dans la population pour accompagner les soins au niveau des personnes, des associations de familles, des amis de la santé mentale", a-t-il conclu.

La journée mondiale de la santé mentale a été instituée par la Fédération mondiale pour la Santé mentale en 1992, dans le but de sensibiliser l’opinion publique sur les problématiques liées à la santé mentale, capitaliser les efforts visant à diminuer le taux de prévalence par un débat général autour de cette maladie, accorder aux hôpitaux un appui financier conséquent leur permettant de prodiguer des prestations sanitaires de qualité, et de mettre fin à la marginalisation dont souffrent les patients.

 

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