L’après-Covid : Quelle diplomatie de la santé – Par Pr Raja Aghzadi

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Chirurgienne praticienne, spécialisée dans les cancers du sein, le Pr Raja Aghzadi est présidente de l'association marocaine de lutte contre le cancer Du sein et membre de la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement

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Le monde a été surpris par une crise sanitaire inouïe . Un ennemi invisible a frappé par sa fulgurance, son ampleur et ses  implications . Un virus a mis à genou la terre entière et nous garde en suspens tant dans son imprévisible évolution, que dans son impact .

Une pandémie sans fin ou le début de la fin de la pandémie ?

 Sans avoir peur d’être optimiste, on est certainement sur le  chemin de la fin, car  il semble que le virus se fatigue, se domestique ; mais  il faut rester prudent, en respectant les gestes barrières, car le virus est traitre : on  ne peut prédire comment il peut muter et resurgir.  

On avance en tâtonnant, en apprenant à chaque vague de cette pandémie. On est sur une vague d’infection, plutôt que de réanimation et ça peut rassurer. 

   Deux ans que la Covid rythme, dérègle et perturbe la vie courante. Il fait pression sur les hôpitaux, chamboule les relations en sociétés,  cause  la faillite des commerces, étouffe l’économie, paralyse le tourisme et complique les déplacements des gens :l’humain s’épuise et bascule des fois dans la pauvreté. Deux ans de privation, de contrainte, de yoyo émotionnel, de perturbation mentale, de perturbation scolaire, perturbation des liens sociaux, de violence conjugale et domestique. Deux ans où le personnel soignant est mis à rude épreuve ; hommage à cette communauté.

Le visible et l’invisible

    L’impact sur l’environnement sanitaire est grand entre ce qui est visible, décès, admissions en réanimation, covid longue et les séquelles dont on ne connait pas tout ; et ce qui est moins visible : les retards thérapeutiques pour les maladies chroniques (surtout les cancers), les malades déprogrammés avec perte de chance de guérison, pour cette raison : des professionnels de santé occupés à traiter la covid ou eux-mêmes malades . Sans omettre l’impact sur  la santé émotionnelle et psychologique induit par les pathologies du confinement et par la peur du Covid . Pendant, que les scientifiques ils cherchent et se  cherchent, et les politiciens peinent à trouver une solution adéquate car n’est pas évident de faire la science loin de la pression politique.

Or, réfléchir dans l’urgence est un exercice difficile, par manque de données, de temps et de recul nécessaires pour analyser les enjeux géopolitiques de la crise

La santé au-devant de la scène

    Un avantage à cette épidémie ? Celui de mettre la santé au-devant de la scène. Il y a une prise de conscience mondiale, pour réfléchir la santé dans sa globalité sans égoïsme ni concurrence.   

 Le virus n’est pas une chose inerte, il est vivant. Il se cache. Il se transforme. Il mute. Il se reproduit. Il surprend : on ne peut prédire alors son comportement

Aujourd’hui Omicron s’emballe, il est plus contagieux et atteint les enfants certes ; mais en revanche il est moins dangereux, et moins létal : 

-avec- 317 millions de cas infectés au monde ; 10M en Afrique et un peu plus de 1 million au Maroc

-et- 5,51 Millions de décès dans monde, 232 000 en Afrique et près de 15 000 au Maroc

  Le vaccin victime d’une erreur de com’                                                                    

Si les VACCINS ont été fabriqués dans un temps record, on en distingue  différents types , et sans lesquels , nous n'avons aucune maîtrise de la durée de contagion,

Plus de la moitié de la terre est vaccinée avec 9,37milliards de doses administrées

 C’est le fait de les rendre obligatoire ou d’instaurer le passeport vaccinal, parfois sujet à discussion, qui est contesté par les mouvements antivax …

Mais le vaccin n’est pas une recette magique, on ne l’a pas assez dit dès le début .On a présenté le vaccin comme le produit miracle qui va sauver la terre du covid. Il ne contrôle pas l’épidémie, mais il y a moins de morts, moins de gens en réanimation, incontestablement.

Ca peut êtreun débat de société, entre le droit à avoir le libre choix, et celui de l’obligation de se protéger et protéger les autres. Le mouvement des antivax, pourrait s’atténuer par une communication plus transparente ; l’essentiel est de ne pas basculer dans la haine, dans l’idéologie ; les connaissances changent et évoluent dans le temps

Mais la surprise de la Covid est venue de sa létalité. Force est de constater que les pays riches ont eu le plus de mortalité (3%), surtout dans les EHPAD, où la population est âgée, fragile , isolée, avec un  impact psychologique et immunité.

Les pays moins riches ont une mortalité de 0,2% ! Est-ce une question de population plus jeune, d’immunité, ou de génétique …Certainement tout ça à la fois.

Vaccination, le modèle marocain

 Le Maroc a été champion dans la gestion de la pandémie. A son actif au moins deux faits marquants :

L’image du 28 janvier : Sa Majesté le Roidonnantle lancement de la campagne. Ainsi le Maroc a été parmi les premiers pays à avoir acquis le vaccin, gratuit pour tous, y compris les étrangers.

L’adhésion, l’engouement, l’enthousiasme et de l’espoir dont la campagne de vaccination a été le théâtre. Et une organisation sans véritable couac. Hommage donc au corps soignant qui y a contribué à cette réussite continentale.

Plus de 27 millions de Marocains ont reçu la première dose, alors que la 3ème dose dépasse seulement 4 millions. Certainement, à cause certainement du climat de défiance qui s’est installé, et qui nécessite sans doute un autre langage de communication pour la relance.

Fabrication des vaccins, un acte pionnier 

La signature le 5 juillet d’un accord avec Sinopharm pour que le Maroc puisse fabriquer le vaccin, et devenir un hub du vaccin, et, depuis cette fin janvier, le lancement opérationnel par le Souverain à Benslimane resteront dans les annales comme un acte pionnier et l’illustration de la proactivité marocaine.

 Ceci étant, troisscénarios possibles à l’évolution de la pandémie s’offrant à nous. Ils dépendent du duel entre l’immunité collective et la capacite du virus à la contourner :

Le scénario Rêve : virus éradiqué dans le monde (comme pour la polio) avec une immunité longue et des campagnes de  vaccination actives et globales ;

Le scénario Cauchemar : c’est compter sans l’arme secrète des coronavirus : les variants et nouvelles souches peuvent contourner l’immunité des gens, ce sera alors la course continuelle aux nouveaux vaccins

Entre les deux : le virus circulera sous forme endémique ;  

-Sachant que la carte mondiale de vaccination correspond à la carte de la pauvreté, là où les gens sont peu vacciné. Et c’est parce que persistera ce réservoir que le virus continuera à circuler , condamnant le monde à réfléchir à une équité sanitaire et moins d’égoïsme .

Oserons-nous le changement ? Géopolitique du vaccin  

 D’un côté le vaccin est dit un bien commun de l’humanité. Mais finalement ça ne se passe pas ainsi ; on observe un égoïsme des Etats : «  Les USA exportent dans 100 pays ; la Chine dans 60  ; la Russie dans 40 s »

On assiste à une compétition acharnée sur le marché mondial des vaccins. C’est la plus vaste campagne de vaccination de l’histoire(La dépense globale peuvent atteindre 157    Milliards de $ en 2025), une véritable manne financière qui aiguise l’appétit et la rivalité des labos.

La santé est rapidement devenue une arme politique. La course pour la fabrication du vaccin a reçu un coup de fouet de la pandémie et installé l’univers de la recherche dans l’effervescence autour de cet enjeu : 4 labos pharmaceutiques se partageaient le marché mondial des vaccins : Pfizer +Merck (usa) , GSK (Angleterre) , Sanofi (France) . La covid a permis l’émergence d’ autres laboratoire :S poutnik ( Russie) ; Moderna ( moderna) ;Astra Zeneca  (Angleterre) ; Sinopharm ( chine), seul Pfizer a pu se maintenir et même renforcer sa position.  

Les paysentendent améliorer leur image à l’internationale, leur suprématie économique, et surtout leur influence en tant que leadership. La diplomatie du vaccin, se place au cœur de lutte des influencesgéopolitiques où chaque Etat producteur avance ses pions et réactive les tensions à l’internationale. Une rivalité qui risque de s’accentuer tant que la distribution équitable des vaccins n’est pas suffisante puisque le mécanisme onusien covax, peine à équilibrer la vaccination.Lancé il y ’a un an, il est considéré comme un bien commun à l’humanité .Il a pour vocation de récupérer les vaccins, et d’en faire une distribution équitable dans les pays pauvres

La diplomatie de santé

Aujourd’hui, un milliard de doses ont été distribués. Il aurait pu être plus régulateur, et dispatcher aux endroits qui en ont le plus besoin, car la pandémie se fait par vague, en fonction des régions. Cette orchestration aurait été pertinente et intéressante au niveau sanitaire, économique mais aussi humain, avec la coordination et la solidarité entre les Etats,

 Le rôle de la diplomatie de santé s’impose et revient au-devant de la scène à chaque crise sauf qu’aujourd’hui avec la crise Covid il y a bouillonnement et accélération de l’histoire. Du temps de la peste, la quarantaine, coûteuse pour le commerce, a poussé aux premières conférences pour la santé globale. Lors de la guerre froide, les deux puissances rivales s’engageaient dans la santé internationale pour défendre leurs positions idéologiques. Cuba spécialise sa diplomatie dans la santé depuis 1959 et la met en priorité gratuite pour tous en vue d’accroitre son influence idéologique.

 L’apparition du VIH dans les années 80, a fait ravage dans le monde. Une fois de plus la santé devient un enjeu majeur sur le plan  sécuritaire , économique, et  militaire.   Inquiets les Américains ont poussé à la création de ONU Sida.

La diplomatie sanitaireprendra alors plus   d’importance pour rétablir un équilibre entre l’humain, son environnement et l’économie. Les changements climatiques  provoqueront des  crises à répétition . On devra apprendre à vivre avec. Avec pour mot d’ordre résilience et agilité, et des politiques publiques orientées vers une économie de vie .Il faut aussi renforcer les missions de Protections des populations, en régulant les flux migratoires , et en aidant les personnes bloquées aux quatre coins du monde

L’anticipation sur tous les fronts

Il faut également prendre de l’avance dans les négociations des médicaments, dispositifs médicaux, vaccins et autres et être partie prenante dans les répartitions et les délocalisations. De même s’impose une refonte des systèmes de santé pour aller de l’urgence Covid  à la souveraineté .

Une  refonte qui repose principalement sur des Ressources Humaines fortes, suffisantes et bien réparties et adaptées aux nouvelles technologies. Ce qui nécessite également une couverture sanitaire universelle, un chantier lancé par Sa Majesté le Roi. Dans ce déploiement, une bonne gouvernance, moderne mettant le citoyen au centre des préoccupations, est un impératif incontournable. Sans oublier l’impérieuse politique de prévention intersectorielle articulée par vision holistique. Mais rien de tout cela ne saurait suffire sans une politique et des programmes de recherche forts et orientés vers l’émergence d’une industrie pharmaceutique autonome et autosuffisante  

 Le droit à la santé est un fondement essentiel à la dignité humaine et il ne faut perdre de vue que ce virus continuera de circuler, sans frontières, après cette crise traumatisante pour l’humanité. Les politiques publiques devront s’orienter encore plus vers la sécurité de l’humain et l’économie de vie.

Il y a urgence et on ne peut assister inertes aux jeux d’influence, dépourvus de moyens et sans capacités de réaction. Bien au contraire on doit se protéger des effets collatéraux etêtre un sujet et non un objet dans l’échiquier mondial.

Enfin il y a nécessité d’un consensus sur la gestion des questions mondiales sanitaires étroitement liées aux questions environnementales.

Le global health s’impose  plus que jamais

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