Ce que la découverte d'une nouvelle espèce de dinosaure au Maroc nous dit sur les phosphates

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La genèse des phosphates du Maroc a commencé il y a environ 72 MA, vers la fin de l’époque géologique qu’on appelle le Crétacé. Elle a eu lieu dans une mer intérieure peu profonde qui recouvrait une partie du Nord du Maroc. Cette mer regorgeait d'une vie foisonnante illustrée par la grande diversité des fossiles des phosphates du Maroc : les requins et raies, des poissons osseux, des varanoïdes, des serpents, des mosasauridés, des crocodyliformes, des plésiosaures, des reptiles volants ptérosaur

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Par Jalila AJAJ (MAP)

Paris - C’est une découverte importante que vient de faire une équipe de chercheurs internationaux qui ont mis au jour la présence d’une nouvelle espèce de dinosaure au Maroc. Une découverte qui vient enrichir les connaissances sur la paléo-biodiversité et jeter la lumière, une fois encore, sur l'importance des données paléontologiques du Maroc.

Parmi ces chercheurs, le paléontologue marocain Nour-Eddine Jalil qui explique qu’il s’agit d’un fossile de dinosaure à bec de canard, aussi connu sous le nom de Ajnabia Odysseus, a été sorti de terre dans une mine située non loin de Casablanca au sein d’une couche géologique qui date de 66 millions d’années.

Découverte d’une nouvelle espèce de dinosaure au Maroc : Cinq questions au paléontologue Nour-Eddine Jalil 

Nour-Eddine Jalil paléontologue marocain

Les paléontologues estiment que ce dinosaure à bec de canard avait d’abord vécu en Amérique du Nord, puis en Asie via un pont terrestre entre les deux continents à cette période et enfin en Europe. Sa présence en Afrique était jusqu'ici inimaginable.

"Ajnabia odysseus", explique Nour-Eddine Jalil,  était un dinosaure herbivore et faisait partie des emblématiques dinosaures à bec de canard qui atteignaient 15 mètres de long. Des caractères distinctifs au niveau des dents et des mâchoires de ce dinosaure montrent qu’il appartenait aux Lambeosaurinae, une sous-famille caractérisée par des crêtes osseuses de diverses formes sur le sommet du crâne.

L’analyse de la distribution biogéographique des Lambéosaures - dont les dinosaures à bec de canard - a montré qu’ils avaient évolué en Amérique du Nord, puis s’étaient répandus en empruntant un pont terrestre vers l'Asie puis l'Europe.

A l’époque, l'Afrique était un continent insulaire séparé des autres continents par de vastes océans. Jusqu’à la découverte d’Ajnabia, il était inimaginable que des « becs de canard » soient sur ce continent. Leurs présences en Afrique pourraient être comparées à la découverte d’un éléphant en Australie !.

Ces dinosaures ont dû faire des centaines de kilomètres à la nage entre l’Europe et l’Afrique. Ils étaient probablement de bons nageurs comme le laissent supposer leurs grandes queues et leurs pattes puissantes. "Leurs restes se trouvent en effet souvent dans les dépôts fluviaux et, comme ici au Maroc, dans des sédiments marins. Dans cette étude, une distance de 500 km entre les deux continents a été évaluée ; c’est un exploit qu’aurait réalisé Ajnabia dont les restes trouvés au Maroc défient les règles de la distribution des faunes terrestres".

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25.000 pièces préhistoriques rares restituées au Maroc

Récemment, la France a restitué au Maroc pas moins de 25.000 pièces préhistoriques rares. Cette restitution jette à nouveau la lumière sur la question du pillage archéologique qui est un phénomène mondial qui prend de l’ampleur ces dernières années. Ces 24.459 objets pour un poids de plus de 2,9 tonnes, de quoi remplir un musée. Notre amère et triste réalité est surtout qu’il ne s’agit là « que » des objets de trois saisies effectuées entre 2005 et 2006, une minuscule fraction de la partie immergée de l’iceberg. Le pillage du patrimoine paléontologique et archéologique marocain n'a pas cessé depuis, au contraire il va crescendo. Le pire dans tout cela et que chaque objet paléontologique ou archéologique sorti de son contexte naturel perd sa mémoire. « Comment s’armer contre ce fléau ? » A mon avis, la solution n’est pas dans l’interdiction. Construire des musées, constituer des collections de références et accompagner toute cette population qui vit du commerce de fossiles, les aider à faire de ce patrimoine une source de développement durable, les aider à vivre des ressources fossilifères de leur terre sans l’appauvrir. (Nour Eddine Jalil)

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"Cette découverte prouve que la barrière océanique n’était pas si infranchissable pour ce grand herbivore et qu’il a sans doute colonisé l’Afrique en faisant des centaines de kilomètres à la nage depuis le continent européen ", explique encore le paléontologue marocain Nour-Eddine Jalil, professeur au MNHN, qui a participé à cette découverte.

Nour-Eddine Jalil, également chercheur associé au muséum d’Histoire naturelle de Marrakech et du Département de Géologie de la FSSM (Université Cadi ayyad), souligne, également que "cette belle et heureuse découverte vient enrichir nos connaissances sur la paléo-biodiversité et jeter la lumière sur l'importance des données paléontologiques du Maroc".

« Quand on parle de la richesse marocaine en phosphates, on évoque l'aspect économique et l’industrie chimique des phosphates. On évoque aussi les immenses réserves qui font de notre pays le leader mondial sur le marché du phosphate. Toutefois, il existe une autre richesse et une autre caractéristique des phosphates dont on ne parle que rarement et qui est aussi très importante. Celle que représentent les restes fossilisés de très nombreux organismes conservés dans les phosphates. Ajnabia fait partie de cette richesse », affirme le paléontologue marocain.

La genèse des phosphates du Maroc a commencé il y a environ 72 MA, vers la fin de l’époque géologique qu’on appelle le Crétacé. Elle a eu lieu dans une mer intérieure peu profonde qui recouvrait une partie du Nord du Maroc. Cette mer regorgeait d'une vie foisonnante illustrée aujourd'hui par la multitude et la grande diversité des fossiles des phosphates du Maroc. Plusieurs grands groupes taxonomiques sont aujourd'hui recensés dans les phosphates du Maroc : les requins et raies, extraordinairement abondants et diversifiés, des poissons osseux, des varanoïdes, des serpents, des mosasauridés, des crocodyliformes, des plésiosaures, des reptiles volants ptérosaures, des dinosaures carnivores et herbivores, des oiseaux, des tortues et des mammifères, explique-t-il.

« Ces fossiles nous racontent une histoire longue d'environ 26 millions d'années. De la fin du Mésozoïque (ère de la vie moyenne) au début du Cénozoïque (ère de la vie récente), ces fossiles offrent une des rares fenêtres sur une période-clé de l'histoire évolutive des vertébrés. Ils nous renseignent aussi sur deux crises biologiques majeures : la crise Crétacé - Tertiaire (C – T) qui a vu la disparition des dinosaures (non-volants), des ptérosaures et des grands reptiles marins et l'émergence des mammifères et la crise du Paléocène - Eocène qui a vu la disparition des mammifères placentaires archaïques et leur remplacement par les ordres modernes », abonde ce passionné du monde mystérieux des dinosaures.

« Ajnabia Odysseus fait partie des dinosaures les plus récents connus, pas loin de la chute du météorite qui sonnera le glas des dinosaures », affirme-t-il. Sa présence en Afrique était, jusqu’à cette « belle et heureuse découverte », pour le moins inimaginable.

« Les dinosaures à becs de canard sont surtout connus en Amérique du Nord et se sont répandus en Amérique du Sud, en Asie et en Europe. A l’époque l'Afrique était un continent insulaire séparé des autres continents par de vastes océans », explique le paléontologue marocain, soulignant qu’avant la découverte d’Ajnabia, il était inimaginable que des « becs de canard » soient en Afrique, car le continent avait sa propre faune qui traduit son histoire géologique.

L’analyse de la distribution biogéographique des dinosaures à bec de canard a montré que les Lambéosaurinés avaient évolué en Amérique du Nord, puis se sont répandus en empruntant un pont terrestre vers l'Asie. De là, ils ont colonisé l'Europe, et enfin l'Afrique.

« Vu le contexte paléogéographique de l’époque, les becs de canard ont dû traverser des centaines de kilomètres dérivant sur des îles flottantes faites de débris de bois ou nageant pour coloniser le continent africain. Ils étaient probablement de bons nageurs comme le laissent supposer leurs grandes queues et leurs pattes puissantes », explique-t-il.

Et de faire observer que les restes d’Ajnabia défient les règles de la distribution des faunes terrestres. Ils montrent que les mers séparant l’Europe de l’Afrique n’étaient pas si infranchissables qu'on le pensait, du moins ne le furent-ils pas pour les ancêtres d’Ajnabia.

Selon le paléontologue, cette nouvelle découverte vient enrichir nos connaissances sur la paléo-biodiversité et jeter la lumière sur l'importance des données paléontologiques du Maroc. «En plus de la réécriture de l’histoire biogéographique d’un groupe de dinosaures emblématique tels les hadrosaures, Ajnabia vient améliorer nos connaissances sur la paléo-biodiversité des dinosaures et enrichit d’un nouveau membre le paléo-bestiaire du Maroc », affirme-t-il.

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Ceux qui ont contribué à la recherche

Des chercheurs de plusieurs nationalités y compris des Marocains ont participé à cette découverte. On y croise le Dr. Nicholas R. Longrich de l'Université de Bath (Premier auteur), Dr. Xabier Pereda Suberbiola de l'Université du Pays Basque UVP / EHU (Espagne), Dr. R. Alexander Pyron de l'Université George Washington (USA), et moi-même Prof au Mus. National d’Histoire naturelle et chercheur associé au muséum d’Histoire naturelle de Marrakech et du Département de Géologie de la FSSM (Université Cadi ayyad) ( je reste fidèle à mon premier amour :), malgré mes responsabilités au MNHN (Paris), j'ai gardé mes projets de recherche au Maroc et je continue de gérer la collection paléontologique que j'ai constituée et qui est déposée au Mus. d'Histoire naturelle de Marrakech de l'Université Cadi Ayyad. Souvent, et après chacune de nos découvertes paléontologiques nous associons à nos études des spécialistes pour l’approche la plus complète et parfois la pluridisciplinaire de notre étude. Dr. Nicholas R. Longrich de l'Université de Bath (Premier auteur) est à l’origine du financement qui a permis cette étude, nous avons associé à cette étude le Dr. Xabier Pereda Suberbiola, spécialiste des dinosaures qui a déjà publié sur les dinosaures hadrosaures d’Espagne et sur les dinosaures des phosphates du Maroc. Dr. R. Alexander Pyron est ce qu’on pourrait appeler un biologiste staticien, ses recherches portent les méthodes théoriques et appliquées en phylogénétique statistique. Son expertise fut précieuse dans l’analyse de la distribution géographique des dinosaures. (Nour Eddine Jalil)