Les Chibanis de la Bastille

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Ils sont quarante, 39 hommes et une femme. Quarante braves ?Chibanis? menac?s d?expulsion de leur logis de la rue du Faubourg St-Antoine ? Paris. C?est injuste et ingrat, c?est r?voltant.

  1. On ach?ve bien les chevaux (1)

L?affaire de l?expulsion des retrait?s du quartier de la Bastille, en majorit? maghr?bins (39/40) est triste. Elle met en sc?ne tout ce qu?il y a de particulier et de paradoxale dans l?histoire de l?immigration maghr?bine. En substance,? des jeunes gens venus d?fendre la France et construire ce que les deux guerres ont ravag? et qui se trouvent aujourd?hui, ? un ?ge avanc?, dans le d?nuement le plus total?: une pension, mis?rable, des conditions de vie inacceptables.

Cette affaire, c?est aussi l?expression d?une forme d?immigration ?hont?e qui ne dit pas son nom,? l??immigration jetable?, et la parfaite reproduction?d?un sch?ma qui a fait ses preuves avec son cort?ge de drames humains. Ce sch?ma est triangulaire?: des marchands de sommeil v?reux, de grands groupes immobiliers qui convoitent des taudis pour les transformer, sit?t acquis, en ?poule aux ?ufs d?or?,? et des pouvoirs publics impuissants qui d?livrent les lettres d?expulsion et mobilisent la force publique pour les faire observer.

Cette nouvelle affaire remet, en tout cas, ? la surface ce vieux dossier des loueurs de "trous ? rats", ?qui d?frayent la chronique. Ces personnages sans scrupule qui profitent de la mis?re humaine et que les livres de Zola et de Balzac d?peignent avec r?pulsion.

La lutte contre ces ??marchands de sommeil?? insatiables est constante. Les jugements qui condamnent et sanctionnent leurs m?faits font l?gion. Les Politiques de la Ville successives ont tent?s d?y rem?dier. Il y a quatre ans (le 30 novembre 2010), une proposition de loi a ?t? adopt?e en premi?re lecture par l?Assembl?e Nationale fran?aise en vue ?d?inciter les propri?taires de logements insalubres ou dangereux ? r?aliser les travaux dans les d?lais impartis par des arr?t?s d?insalubrit?, de p?ril ou concernant des h?tels meubl?s?(?)?. La proposition pr?cise m?me qu? ?en cas de non-respect des d?lais impartis aux propri?taires, ces arr?t?s seraient assortis d?une astreinte journali?re comprise entre?50?et?500?euros, le montant de cette astreinte ?tant plafonn? ? 50000?euros?.

Un procureur de la R?publique, exc?d? par une r?plique inconvenante de l?un de ces loueurs de "trous ? rats", lui assigne (Audience du 22 mai 2014- Saint-Louis),?une r?ponse qui en dit long sur l?impact ?conomique et social de leurs m?faits : ?Vous exploitez la mis?re, cela aux frais de la soci?t? car pendant que vous logez ces familles dans des conditions indignes, c'est la CAF qui paye?. ?L?ind?licat a ?t? condamn? ?? 45 000 euros d'amende et une interdiction d'acheter un bien immobilier autrement qu'? titre personnel pendant 5 ans?.

La Caisse d?Allocations Familiales ?est certes financi?rement perdante dans ce genre d?affaire. Mais l?impact? psychologique et social d?une proc?dure d?expulsion sur des ?tres humains fragilis?s et isol?s, est autrement plus d?structurant. En effet, comme le montrent plusieurs ?tudes, ?l?expulsion est de loin le ph?nom?ne le plus violent d?exclusion des m?nages pauvres ou modestes qui voient leurs difficult?s s'aggraver de fa?on inqui?tante ? l?issue d?un tel ?v?nement.? (2).

L?un des quarante Chibanis de la rue du Faubourg St-Antoine exprime ?? sa mani?re ce sentiment?en ces termes : ?Si t?as pas d?adresse, t?as plus rien. T?as pas de parole, t?es foutu. Pour refaire ton titre de s?jour, pour tout?!?.

2- Chibanis maghr?bins et fiers de l??tre

L?affaire de la rue du Faubourg St-Antoine, met surtout en sc?ne des hommes (et une femme) d?un ?ge certain mais qui donnent ? tous un exemple de courage. Ils ne se sont pas laiss?s intimid?s et jet?s ? la rue comme des malfrats. Certes. Ils n?ont ni la force des ??300?? spartiates qui d?fendent leur terre au prix de leur vie, ni la rage de ce peuple des faubourgs de Paris, affam?, qui prit et d?truisit la Bastille?en 1789. Mais, la t?te haute, le verbe? juste et aiguis?, ils sont mont?s au front pour d?fendre leur modeste logis du 73, rue du Faubourg St-Antoine.

Ce logis, form? d?un ensemble de chambres exig?es, sans eau chaude, et des espaces communs insalubres (plusieurs ?tages, quatre WC et aucune douche), c?est tout ce qui leur reste comme rep?re dans ce quartier de la Bastille en forte mutation et dans une capitale devenue tentaculaire qui pousse implacablement ses pauvres vers la p?riph?rie lointaine.

Ces dignes repr?sentants de la premi?re vague d?immigration magr?bine, celle des ann?es 60, ont aujourd?hui besoin de soutien et de mobilisation plus que de compassion. Ils font face ? un trio puissant?: la pr?fecture de police de Paris qui a d?livr? (le 7 juillet 2014) la lettre d?expulsion, la Compagnie des Immeubles de la Seine, qui n?a cure de leur mis?re et qui voit dans cet H?tel-taudis une aubaine pour renflouer ses affaires, et un troisi?me larron, une g?rante ind?licate qui les taxe sans merci (300 ? 500 euros par personne) depuis, pour certains, plus de trente ans.

Le jugement rendu par le tribunal de Grande Instance de Paris le 26 juillet 2013 est une d??p?e de Damocl?s sur leurs t?tes. S?il est appliqu? ce sera pour eux le d?but d?un long cauchemar (d?racinement et perte de rep?res?).

Aujourd?hui, et c?est rassurant, les Chibanis ne sont pas seuls. Le soutien juridique et moral est venu, une fois encore, de la soci?t? civile, de militants associatifs des Droits de l?Homme et du droit au logement (Le DAL). La Mairie de Paris, qui se trouve entre l?enclume et le marteau a, pour sa part, la possibilit? de mettre fin ? la menace d?expulsion ?en rachetant l?immeuble pour en faire une r?sidence sociale?.

Est-ce trop demand? ? cette Mairie et ? Madame le Maire de Paris??

Ces Chibanis ne m?ritent-ils pas une vie tranquille?et un peu de consid?ration ?

  1. ?On ach?ve bien les chevaux? est un film am?ricain?r?alis? par?Sydney Pollack,?1969.
  2. Etude r?alis?e par FORS-Recherche Sociale 2004 (Par?: Florence BRUNET et Julia FAURE)?Docteur - Chercheur en Sciences Sociales?

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