Ahmed Abbadi, l'homme de la déconstruction le discours extrémiste

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Ahmed Abbadi, secrétaire général de la Rabita Mohammadia des Oulémas.

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Par Ali REFOUH (MAP)

Rabat - Dans son combat contre le terrorisme, le Maroc adopte une approche multidimensionnelle, accordant une importance majeure au volet pédagogique, à travers l’analyse du discours extrémiste pour pouvoir le déconstruire et lutter contre les idées destructives qui mènent à de tels actes. Parmi les personnalités qui se sont illustrées dans ce sens, figure Ahmed Abbadi, secrétaire général de la Rabita Mohammadia des Oulémas.

Du haut de sa formation riche et diversifiée, ce voyageur en quête perpétuelle de savoir est un chantre de l’Islam modéré, qui est profondément convaincu que l’Islam est une religion de beauté et que le discours extrémiste véhiculé, totalement étranger au système de représentation commune islamique, doit être combattu sans répit.

D’ailleurs, il n’hésite pas à puiser dans le lexique militaire, comme le terme "engagement", pour désigner l’action menée face au discours extrémiste, ou dans la terminologie médicale, en qualifiant ces idées de "virus".

Né à Settat en 1960, ce pur produit de l’école publique a effectué, suite à l’obtention de son baccalauréat en 1979, un voyage d’étude en Belgique, aux Pays-Bas et aux États-Unis d’Amérique, avant de regagner le Maroc pour approfondir ses études islamiques, en parallèle à ses études en langue anglaise.

Après avoir obtenu la licence, il a réussi un concours de formation des formateurs, avant d’attaquer des études postdoctorales à l'université de Sorbonne dans l’histoire des religions, parallèlement au cursus en sociologie, ce qui lui a valu des contrats avec des universités américaines pour enseigner la sociologie de l’Afrique du Nord, avec focus sur le Maroc, ou encore les capacités en matière d’exploration de la culture musulmane. Derrière cette avidité du savoir, se cache une vraie philosophie dans la vie.

"La formation n’est pas une fin en soi, mais juste un début et un processus qui s’étend tout au long de la vie", confie M. Abbadi dans un entretien accordé à la MAP, ajoutant que "le monde est en perpétuelle et rapide mutation et pour suivre la cadence, il faut recourir à la formation continue afin de combler les lacunes constatées".

Il regagne le Maroc, une fois de plus, mais cette fois-ci pour enseigner à l’université Cadi Ayyad et occuper plusieurs postes, notamment au Conseil supérieur de la communication audiovisuelle, avant d’être nommé secrétaire général de la Rabita Mohammadia des Oulémas, tout en s'intéressant à l’enseignement, la recherche ou la publication, des activités qui, selon lui, "alimentent et complètent le volet professionnel".

Cette dernière nomination intervient dans un contexte où les actes terroristes perpétrés au nom de l’Islam commencent à prendre une ampleur internationale, créant un climat de doute et d’incompréhension et suscitant des interrogations sur les facteurs ayant permis le développement de ces idées extrémistes qui se revendiquent de l’Islam.

"Mes débuts avec cette question remontent à 2004, suite au drame du 16 mai 2003 à Casablanca et aux attentats de World Trad Center, autant d’événements qui ont instauré une image fausse et inacceptable de l’Islam, qui est en réalité une religion de beauté, de tolérance, du juste-milieu et de modération", se rappelle M. Abbadi.

"Plusieurs questions ont commencé à se poser à l’époque : qu’est ce qui ne va pas ? Comment ces virus se sont-ils infiltrés à notre système de représentation islamique commun, pour donner lieu à des phénomènes qui semblent en apparence comme s’ils émanent de l’Islam ? Il a fallu ainsi réfuter ce discours, notamment après la peur et l’islamophobie ayant résulté de ces attitudes étrangères à notre religion", a-t-il indiqué.

Ces questions ont été le déclencheur d’un long processus qui s’active en amont pour comprendre ce phénomène en s’attaquant à l’idée, au discours qui pousse des jeunes à tuer et à se faire tuer pour ce qu’ils croient être des motifs religieux.

"Il a été constaté que loin d’être accidentels, ces phénomènes touchent la dimension interprétative de la religion, ce qui a nécessité un engagement avec ces interprétations fausses en faveur des interprétations correctes qui puisent dans la tradition du Prophète. Depuis, le travail a commencé et on a créé, au niveau de la Rabita Mohammedia des Oulémas, une unité dédiée au démantèlement du discours extrémiste", raconte M. Abbadi.

Il a fallu, poursuit-il, focaliser la recherche sur les causes subjectives découlant du manque dans les structures de démantèlement et sur les structures et les schémas de dépassement des sciences religieuses qui constituent une plateforme permettant l’infiltration par le discours extrémiste.

Sur ce plan, on est, semble-t-il, devant un phénomène complexe où le géostratégique, le religieux, le communicationnel et le social se croisent, ce qui pose un véritable défi qui doit être relevé par des méthodes modernes. Sur ce registre, M. Abbadi insiste sur la communication et les nouvelles technologies comme arme majeure de ce combat.

"Il a été constaté que ceux qui infiltrent notre structure religieuse et la dévient de sa modération communiquent essentiellement via les outils numériques. Ainsi, les dimensions liées à la mosquée et à l’enseignement, quoique nécessaires et centrales, ne sont plus suffisantes à elles seules, et elles doivent être appuyées par la dimension liée à la jeunesse et à l’instruction par les pairs, à travers la ludification, que ce soit sur les terrains de sport ou via Internet", explique M. Abbadi.

M. Abbadi a appelé à accorder une importance aux réseaux sociaux, et à renforcer les capacités des jeunes pour qu’ils influencent positivement leurs pairs, mais surtout impliquer des acteurs multiples, car de l’autre côté, on agit avec une malice et un professionnalisme qui suscitent beaucoup de questions, avertit-il.

De même, sous cette réalité numérique, il faut opter pour l’immunisation de la société, au lieu de se contenter de la prévention et de la fortification, qui restent nécessaires mais pas suffisants, préconise-t-il, relevant que la société, cible de cette opération, est un ensemble de catégories qui se croisent et se distinguent.

"La société c’est les adolescents, les jeunes et avant tout, la famille, les influenceurs, soit par l’enseignement, l’organisation, la communication, les médias ou l’inspiration intellectuelle ou spirituelle, ainsi que ceux qui dirigent les sociétés, tous rangs et positions confondus", précise-t-il.

Devant la complexité du phénomène, M. Abbadi plaide pour "une +symphonisation+ des efforts des différentes institutions, plutôt qu’une simple coordination, afin d’éviter toute cacophonie dans l’action et d’assurer une immunisation efficace contre l’extrémisme aux court, moyen et long termes".

M. Abbadi s’est, ainsi, imposé comme l’homme du moment, en marquant de ses empreintes la démarche marocaine pour la lutte contre l’extrémisme, fort en cela d’un parcours multidisciplinaire et d’une ouverture d’esprit qu’il a forgée à travers ses multiples voyages, qui lui ont permis de côtoyer d’autres cultures.

En guise de message aux jeunes qu’il qualifie de "la richesse la plus importante dont peut disposer une nation", M. Abbadi insiste sur deux choses : le temps et les rêves.

"J’incite les jeunes à exploiter le temps d’une manière optimale. Et pour y arriver, il faut avoir un rêve. Osez rêver et vous verrez que l’univers tout entier complotera avec vous pour réaliser vos rêves !", lance-t-il d’une voix rassurante.

 

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