Au Maroc, un monastère cistercien s'érige en pont de dialogue interreligieux

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23 novembre 2021 - L'abbaye Notre Dame de l'Atlas à Midelt, (Crédit photo AFP)

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Par Kaouthar OUDRHIRI (AFP)

Derrière une imposante muraille rehaussée de deux tours en pisé, les cloches de l'unique monastère cistercien du Maghreb résonnent dans l'Atlas marocain.

Ce lieu est témoin de la cohabitation entre chrétiens et musulmans*, mais il incarne aussi la mémoire du massacre de Tibhirine, en Algérie. Le dernier moine survivant du drame de 1996 s'est paisiblement éteint là dimanche à 97 ans.

Perché sur une colline à la bordure de la ville de Midelt avec en toile de fond la couronne enneigée du mont Ayachi à plus de 3.750 mètres, le prieuré de Notre-Dame de l'Atlas est situé dans une région rurale reculée et pauvre, majoritairement berbérophone.

Ici la petite église, les deux chapelles et l'espace de vie des quatre moines ont été construits dans le respect de l'architecture locale, simple, en terre crue et aux toitures en bois. 

Les meubles taillés dans des arbres de l'Atlas et les tapis traditionnels, estampillés "Eglise de Midelt", sont confectionnés dans des villages voisins.

"Complicité"

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23 novembre 2021 - L'abbaye Notre Dame de l'Atlas à Midelt, dans le centre du Maroc, le jour des funérailles du moine Jean-Pierre Schumacher, dernier survivant du massacre de Tibhirine, en Algérie (Crédit photo AFP)

"Ce lieu est à l'image de son environnement. Pareil pour nos rapports avec nos voisins. Je trouve important d'avoir un rapport à l’Autre sans se soucier de sa religion, de son identité, de sa culture", confie le frère espagnol José Luis, en déambulant dans la cour du monastère.

Ce dernier a été érigé dans les années 1920 par des sœurs franciscaines avant que des cisterciens-trappistes ne les rejoignent en l'an 2000, dont les deux seuls rescapés de Tibhirine, Jean-Pierre Schumacher et Amédée Noto.

"J'ai grandi en côtoyant les sœurs puis les moines. Depuis longtemps des liens très forts nous unissent. Jamais je n'ai perçu une quelconque différence entre nous", raconte Ismaïl, 48 ans, qui fait parfois office de chauffeur aux moines et à leurs convives.  

La règle voudrait que les trappistes vivent en autarcie et en réclusion mais à Notre-Dame de l'Atlas, les frontières avec le monde extérieur restent poreuses. 

"La complicité entre chrétiens et musulmans dans la région a toujours été présente et le restera à jamais", assure Hayat, une jeune trentenaire du village d'Otmane Ou Moussa. 

En témoigne la quinzaine de villageois ayant assisté mardi aux obsèques de Jean-Pierre Schumacher, qui repose désormais dans le cimetière entouré de cyprès du monastère. Amédée Noto était lui décédé en France en 2008.  

Une nuit de mars 1996, sept de leurs compagnons avaient été enlevés à Notre-Dame de l'Atlas de Tibhirine, en pleine guerre civile en Algérie, avant d'être assassinés et décapités dans des circonstances non élucidées.

La tuerie avait été revendiquée par des islamistes du Groupe islamique armé (GIA) mais des soupçons sur une possible implication des services secrets militaires algériens subsistent**.

Au lendemain du massacre, les deux trappistes avaient d'abord rejoint un monastère à Fès, la capitale spirituelle du Maroc, avant de s'établir à Midelt, où fut transférée Notre-Dame de l'Atlas de Tibhirine. 

"Pas de barrières" 

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23 novembre 2021 - Une pièce de l'abbaye Notre Dame de l'Atlas à Midelt, dans le centre du Maroc (Crédit photo AFP)

Le souvenir des moines assassinés est très vivace et un mémorial leur est dédié au cœur du prieuré : "C'était important de perpétuer leur mémoire dans ce havre de paix", rappelle le cardinal Cristóbal López, venu célébrer les obsèques de Jean-Pierre Schumacher.  

Les cédules de profession des vœux des sept cisterciens, leur portraits, des bures, des coupures de presse, un téléphone et des sceaux en usage à Tibhirine sont exposés dans cet espace intimiste construit en 2019.  

A Notre-Dame de l'Atlas, la vie des moines est rythmée par les offices mais également par le plaisir d’accueillir des voyageurs en quête d'apaisement.   

L’hôtellerie du monastère peut accueillir une vingtaine de pèlerins souvent originaires d'Europe ou des Etat-Unis.  

"A plusieurs reprises nos convives viennent avec des idées préconçues sur la population locale. A la fin de leur séjour, ils changent d'avis", se réjouit le moine hôtelier José Luis. "Car entre voisins, il n'y a pas de barrières !".  

Et si les trappistes sont réputés pour la confection de bières, comme en Belgique, à Midelt on leur préfère le jus de pommes "bio" issues du beau verger du monastère. 

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*NDLR : Ce genre de prieurés, avant de devenir des lieux de dialogue interreligieux, ont également suscité pendant le protectorat et au début de l’indépendance des polémiques, notamment de la part du mouvement national qui les soupçonnait de « prosélytisme chrétien ».

**NDLR : Dans le massacre de Tibhirine, il subsiste plus que des « soupçons sur une possible implication des services secrets militaires algériens ». Longtemps l’enquête sur la vérité du massacre a empoisonné les rapports entre Paris et Alger.  Dans son livre, fruit d’une enquête de plusieurs années, Jean-Baptiste Rivoire lève le voile sur l’incroyable opération d’intoxication conduite depuis 1996 par les responsables directs de la mort des moines : les généraux Mohamed Médiène alias Toufiq et Smaïl Lamari, ex-chefs des services secrets algériens, le DRS.  Le crime de Tibhirine - Révélations sur les responsables, est disponible en version numérique pour 11,99 euros.

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