Ces enfants qui, pour leur première fois, découvriront l'école … à distance

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De grandes disparités, de nombreuses familles ne disposent pas d'une connexion Internet, ou d'une connexion stable. De nombreuses familles avec plusieurs enfants à charge ne disposent pas de dispositifs suffisants pour permettre un accès simultané aux cours

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Bouchra Naji (MAP avec Quid)

Casablanca - Chahd avait déjà préparé son petit cartable aux couleurs de la princesse Elza, son petit tablier brodé et des chaussures rouge brique pour retrouver pour la première fois l'école. Elle devrait s’y faire des amis, jouer à la récréation et manger à la cantine. Mais son désir est un désir contrarié. Une tout autre réalité s’est présentée à elle, imposée par le Covid-19. Elle découvrira ses futurs amis, connaitra ses maîtresses, mais dans un monde virtuel et …à distance.

Cette brunette de 5 ans, qui avait hâte de retrouver l’école où elle devait entamer sa première année à la grande section, a été déçue par la décision de ses parents qui ont opté pour l’enseignement à distance de peur qu'elle attrape le virus.

"Je veux aller à l’école", ne cesse-t-elle de marteler, alors que pour ses parents la décision est déjà prise et sans recours en appel possible.

"Nous avons choisi l’enseignement à distance pour notre petite fille, puisqu’elle ne peut pas à elle seule se conformer aux mesures sanitaires pour préserver sa santé", explique Halima, la maman de Chahd.

Pour cette fonctionnaire, la situation demeure délicate et ambiguë. "J’ai toujours voulu qu’elle côtoie des enfants de son âge et découvre ce nouveau monde qu’est l’école", lance-t-elle. Mais elle n’a pas osé franchir le pas, prendre le risque d’envoyer sa fille à l’école pour sa socialisation en mode présentiel.

Sur cette décision, Khalid Amzil, le papa de Chahd, converge sans réserve. "Notre fille est encore très jeune et peut se rattraper plus tard, l’essentiel pour le moment est de protéger sa santé". Va donc pour le distanciel.

Les arguments il n’en manque pas. Le transport scolaire d’abord.  C’est un potentiel foyer de contagion très potentiel. A cet âge-là, difficile de contrôler ou de compter sur eux pour respecter la distanciation physique et les mesures barrières. Pour son épouse comme pour lui le risque de contamination est considérable. L’école, notamment en préscolaire et au primaire est un espace de promiscuité par excellence.  Provenance de différents quartiers, une différence qui s’étend aux modes de vie et aux règles d’hygiène…

Les spécialistes de l’enfance ont dans leur majorité un point de vue différents même s’ils comprennent les craintes des parents, pour leurs enfants et pour eux-mêmes. Elena Benedito Kourbi, psychologue de l'enfant et de l'adolescent, retient d’abord que les enfants se sont vus pendant le confinement coupés de l'école puis ils ont expérimenté l'école à distance qui nécessite pour sa mise en œuvre l'accès aux nouvelles technologies de l'information et de la communication.

A partit de là on entre dans le terrain des inégalités. Est-ce que les enfants accèdent de la même manière à ces technologies ? Définitivement non, regrette Mme Benedito Kourbi.

On observe de grandes disparités, de nombreuses familles ne disposent pas d'une connexion Internet, ou d'une connexion stable. De nombreuses familles avec plusieurs enfants à charge ne disposent pas de dispositifs suffisants pour permettre un accès simultané aux cours pour l’ensemble de leur progéniture, rappelle Benedito Kourbi, pour qui certains d'entre eux seront en situation de frustration, car ils ne vont pas bénéficier d'un accès facilité à leur scolarité à distance.

L'école à distance exige des apprentis de faire preuve d'une bonne capacité d'adaptation, puisqu'ils devront non seulement s'adapter aux nouveaux formats numériques des contenus mais aussi à une distanciation sociale évidente avec l'école, les enseignants et les camarades, précise la spécialiste.

Cet état des choses s’accompagne d’une augmentation de l'anxiété et des symptômes dépressifs à mesure que les enfants commencent à perdre la connexion avec l'école.

Des conséquences néfastes sur les plans social, émotionnel et comportemental sont ainsi observées, surtout auprès des élèves dits "à risque", car pour ces élèves déjà fragiles au niveau psychologique, les routines scolaires sont des mécanismes d'adaptation importants pour leur santé mentale, explique-t-elle.

Pour Mme Benedito Kourbi, avec la distanciation sociale et l'école à distance, ces élèves risquent de perdre un ancrage dans la vie et leurs symptômes pourraient s'accentuer, précisant que ces impacts différent d'un enfant à l'autre.

"Nous ne pouvons pas parler de conséquences psychologiques négatives systématiques, mais les risques sont là", insiste Mme Benedito Kourbi.

C'est pour cette raison qu'il est important, à ses yeux, de prévoir pour les enfants qui feront l'école à distance un bon suivi et un accompagnement de qualité.

Les enseignants sont également tenus à faire preuve de flexibilité et de disponibilité et les parents à soutenir leurs enfants pour que ce retour à l'école virtuelle puisse se faire de la meilleure façon possible, conseille cette spécialiste de l'enfant et de l'adolescent.

 

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