Ces marocains qui nous font vibrer

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De g à d : Pr Azzeddine Ibrahimi, Pr Moncef Slaoui et Dr Samir Machour

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L’émigration est un phénomène naturel. Bien souvent, ce sont des causes complexes qui poussent les gens sur la route de l’exil : pauvreté, conflits, difficultés sociales et politiques, problèmes environnementaux… Nombreux sont les marocains qui ont ainsi pris la route de l’exil. Ces expatriés sont considérés comme les ambassadeurs du pays et ils ont la lourde responsabilité de le représenter dignement, de porter haut ses valeurs et ses couleurs, de donner une belle image de sa culture. Qu’ils soient juifs ou musulmans, c’est une partie de son capital immatériel qui contribue à promouvoir son image à travers le monde, à défendre ses intérêts et son intégrité territoriale.

Nombreux aussi sont ceux qui se sont distingués dans des domaines divers : sciences, technologie, sport, art …Certes bien des sportifs, des politiques, des scientifiques, des écrivains, des comédiens… ont réussi avec brio leur carrière sous d’autres cieux. Il est vrai que la célébration d’une performance, d’un exploit devrait se faire par le brandissement du drapeau national, symbole qui unit les compatriotes dans le partage de la joie et de la fierté d’appartenir au même pays. Même quand la réussite arbore l’étendard du pays d’accueil, la population du pays d’origine se sent concernée. 

La crise de la covid-19 a levé le voile sur une autre catégorie de marocains, moins visible, celle qui a brillé dans la recherche scientifique et technologique. Combien la fierté des marocains a jubilé quand Moncef Slaoui a été choisi par le président américain pour diriger l’équipe de recherche sur la covid-19. Des régions du Maroc se sont même disputées ses origines. 

A travers ces marocains qui sortent du lot, on montre au monde entier que nos concitoyens sont intelligents, talentueux, capables de relever des défis et de participer aux progrès technologique, scientifiques, économiques. 

Passé le moment de l’euphorie et après réflexion, la joie cède la place au regret de n’avoir pas su ou pu donner à ces marocains l’opportunité de faire preuve de leur génie, celui de n’avoir pas pu ou su profiter de leurs compétences et talents pour le bien du pays. Ces marocains et marocaines éparpillés dans le monde nous font vibrer par leurs exploits surtout quand ils portent leur patrie d’origine dans leur cœur et arborent ses couleurs. Mais j’estime qu’il n’y a pas lieu de s’en enorgueillir outre mesure ou d’en tirer une quelconque fierté quand on voit que c’est leur pays qui en a le plus besoin pour son rayonnement et son développement. 

 En effet, ne s’agit-il pas là d’un manque à gagner pour le pays d’origine ? Comment pouvons-nous progresser face à la fuite des cerveaux et des talents ? D’après de récents chiffres, plus de 600 ingénieurs marocains quittent le pays chaque année. Plus de 7000 médecins marocains exercent en France. Ces jeunes qui fuient leur pays ont sûrement des raisons valables pour le faire. « Personne ne quitte de plein gré une maison où on festoie », dit un proverbe marocain. Il est vrai que tout enfant qui part, porte en lui l’espoir d’un avenir meilleur. 

Comment pouvons-nous suivre l’évolution du monde quand les compétences nécessaires au développement du pays et à son autonomie nous sont régulièrement confisquées ? Le départ des cerveaux, encouragé par les pays d’accueil, est une tendance qui ne cesse d’évoluer vers la hausse. Les pays riches procèdent à une immigration sélective en fonction de leurs besoins. Après les richesses naturelles africaines, on passe à l’exploitation de la matière grise. Car il n’y a pas de retour pour les pays du Sud en général qui se sont saignés à blanc pour  assurer à leurs enfants  une formation de qualité. Ces expatriés, ce sont des personnes pour lesquelles le pays a investi dans la nourriture, les soins, l’éducation ; ce sont des enfants que leurs  parents ont aimés, éduqués, soutenus et pour lesquels ils se sont sacrifiés pour leur assurer un bon avenir. Ils auraient aimé que leurs ambitions se concrétisent sur le sol natal, qu’il n’y ait pas de rupture ni avec leur famille ni avec leur culture. 

Mais quand rien ne profile à l’horizon, quand un petit groupe de nantis a verrouillé  toutes les portes pour qu’il n’y ait pas d’intrus dans son cercle des affaires et de la politique, quand les initiatives sont brimées et la créativité  entravée, c’est le désespoir qui s’installe et le salut ne pourrait venir que d’ailleurs. Ces politiques qu’on peut qualifier d’injustes, d’incohérentes et de contreproductives, ont eu des effets extrêmement négatifs sur le développement du pays.

De plus, nous vivons dans un pays qui a tendance à ignorer et à mépriser les compétences  et les talents locaux. Comme le souligne le proverbe arabe, «  le chanteur du quartier ne fait pas vibrer ». Pour être reconnu et apprécié à sa juste valeur, il faudrait une reconnaissance étrangère.  Ainsi, les opportunités ne sont pas à la hauteur des compétences et des ambitions.  C’est pourquoi de nombreux scientifiques, artistes, sportifs de haut niveau émigrent vers d’autres cieux pour s’accomplir, s’épanouir et se faire reconnaître.

Pour une grande partie, ce n’était qu’un exil provisoire : juste le temps de se perfectionner et d’acquérir une expérience. Mais, une fois l’expérience acquise ou le diplôme en main, retourner  dans son pays devient une décision difficile à prendre, compte tenu des conditions de vie dans les pays d’accueil comparées à celles du pays d’origine. C’est pourquoi, il faudrait saluer le patriotisme de ceux qui n’ont pas coupé les ponts avec leur pays et qui se sont sentis en devoir de mettre à sa disposition leur expertise. Je prendrais comme exemple Dr Azzeddine  Ibrahimi, directeur du centre de la recherche BioInova et qui a fondé le laboratoire de biotechnologie. Il y a aussi  Dr Kamal Ouedghiri de la Nasa qui s’efforce de créer des ponts entre des scientifiques occidentaux et les africains. Quant au Dr Samir Machour (vice- président du géant sud-coréen,  Samsung Biologics), son expertise est sollicitée pour négocier les transferts de technologie biopharmaceutiques et biologiques au profit du Maroc. 

Certes, il y a lieu d’être fier de nos compatriotes : les marocains sont intelligents, inventifs, réactifs. Mais le pays devrait règlementer l’émigration des cerveaux et faire en sorte que le pays ne soit pas lésé. Car la mondialisation, comme l’a formulé Senghor, est « le rendez-vous du donner et du recevoir. ». Il faudrait qu’il y ait un retour pour le pays d’origine. Par ailleurs, ce phénomène pourrait être freiné par une offre attractive qui puisse convaincre les compétences, selon le cas, de rentrer au pays ou d’y rester. Mais tant que le clientélisme, le favoritisme, la corruption sévissent, le Maroc continuera à exporter ses fruits, déjà mûrs ou en phase finale, sans se donner la chance de goûter à leur arôme. Il y va de l’avenir du pays et de sa stabilité. La crise de la Covid a montré que dans des situations difficiles, chacun est pour soi. Sans ses compétences, comment le pays peut-il accéder à la souveraineté technologique, scientifique, numérique et récupérer son indépendance à l’égard des autres ?  

Aicha  AIT BERRI

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