Déconstruction du discours sur l’interdiction des tarawihs (prières surérogatoires)

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Tarawih à la Mosquée de Hassan II à Casablanca, une communion qui manque à beaucoup, mais dont il faut se passer en attendant des jours meilleurs

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Depuis quelques jours, une campagne féroce est lancée contre la décision d’interdire les déplacements nocturnes de 20h à 06h. Le ministère des Habous et des Affaires islamiques a été pris à partie pour avoir ordonné verbalement aux imams de fermer les mosquées entre les prières d’Al Isha’e et d’Assobh.

Les accusations sont allées jusqu’à supposer un complot contre la religion auquel seraient associées les institutions du champ religieux. Le mouvement islamiste Al Adl Wal Ihsane (Justice et Bienfaisance) a exploité la situation pour durcir son discours critique contre le « Makhzen» l’accusant d’hostilité à la religion et d’«appliquer les recommandations de la France».

Sur le plan pratique, les meneurs de cette campagne ne sont pas homogènes et ne sont pas tous le produit du discours de cette Jamaa (mouvance). Leurs motivations sont en fait tout aussi différentes que leurs argumentaires ; certains ne portent aucune vision radicale, d’autres n’ont aucun rapport avec la politique.

Pour saisir leur composition hétéroclite, il importe de poser la question sur la centralité de la religion dans l’espace public, dans la construction psychologique de la société, et dans la structure politique de l’Etat.

Une partie de la société s’est engagée dans cette campagne pour avoir effectivement ressenti un préjudice moral sérieux en raison de l’interdiction d’attarawih (prières surérogatoires). Et elle l’exprime, du fait que la religion constitue une composante essentielle de sa constitution psychologique.

Une autre partie, au contact de la politique et croyant en la centralité du fait religieux dans l’espace public, considère que le Pouvoir autorise le dépassement des mesures sanitaires lorsqu’il s’agit des intérêts économiques, mais les durcit lorsqu’il est question des affaires religieuses.

La partie restante enfn, consciente de la place de la religion dans la structure politique de l’Etat cherche plutôt à l’embarrasser. Elle en fait usage à des fins d’embrigadement politique et idéologique en vue d’affaiblir la position de l’Etat.

Cette composition hétéroclite renvoie à un fait important, qui révèle que la décision religieuse et bien plus complexe qu’une décision politique. Peut-être est-ce pour cette raison précisément que le ministère des Habous n’a pas délibérément pris en charge cette décision ou que le Conseil supérieur des oulémas n’a pas émis de fatwa à ce propos. En lieu et place, la responsabilité a été dévolue au gouvernement, laissant ainsi une large marge de manœuvre qui pourrait être exploitée pour un éventuel rattrapage par la suite.

Saisir cette composition est donc un premier pas pour comprendre leurs approches respectives. Mais il est nécessaire de déconstruire le discours de ce composite qui s’exprime à travers les réseaux sociaux pour en saisir les nuances

Ceux qui s’activent en partant de la centralité du fait religieux dans leur constitution psychologique produisent un discours émotionnel intense, émanant d’une réelle ardeur pour la question religieuse. N’étant pas politisés, leurs expressions dévient dangereusement, sans égard pour les cadres réglementaires et constitutionnels.

Ceux qui agissent partant de la centralité du fait religieux dans l’espace public recourent à une expression intelligente truffant leurs propos d’arguments logiques, révélant ce que les mesures sanitaires ont de contradictoire.

Les autres, animés par le désir d’embarrasser l’Etat, mettent à profit tous les arguments et se distinguent par leur propension à critiquer la structure de l’Etat et à vilipender la PJD (leur concurrent), pour faire valoir la justesse de leur ligne politique.

En face de ce foisonnement critique, émerge une tierce opinion fondée sur argumentaire construit qui, accompagnant la logique préventive, ne perçoit dans la décision du gouvernement aucune atteinte à la religion. Bien au contraire, de l’intérieur même du corpus religieux, elle décèle des justifications et, de ce fait, livre bataille contre la théorie du complot.

Reste que l’appréhension du danger de ces campagnes souffre de quelques faiblesses. Lui font défaut ainsi, soit une compréhension juste de la composition des intervenants, soit une incapacité à distinguer les nuances entre les différents discours, soit enfin une absence de réactivité à leurs arguments.

Maintenant que la composition est clarifiée tout autant que les principaux acteurs et leurs positions, il importe de saisir les arguments, de les distinguer et de leur opposer la réponse appropriée.

Ce qui est dangereux dans ces arguments n’est pas tant la remise en cause du caractère souverain d’une décision, ni la démonstration d’un complot occidental contre la religion exécuté par le Pouvoir, et encore moins l’existence de prétendue élites laïques qui, contrôlant les leviers décisionnels, mettraient en œuvre leur position extrémiste contre la religion. Ces arguments, ne reposant sur aucune preuve, ne sont pas concernés par une quelconque réponse, du fait qu’ils ont toujours existé et qu’il serait difficile de les évacuer du débat.

L’argument le plus dangereux dont il faut tenir en compte est bien celui de la contradiction du Pouvoir consistant à durcir les restrictions sur les mosquées et à les assouplir pour les autres services, dont les moyens de transports et les intérêts économiques, outre les comportements de certains responsables. Ce dernier argument, documenté par l’image et la vidéo, est assurément le plus dangereux de tous. Il requiert une réponse immédiate.

La réponse commence par l’intervention de l’acteur religieux afin d’immuniser contre l’exploitation et l’embrigadement les critiques apolitiques. Vient ensuite la prise de sanctions disciplinaires strictes à l’encontre des responsables ou de leurs progénitures qui violent les mesures sanitaires. Arrive enfin l’intensification d’une campagne de communication utilisant les mêmes images et vidéos pour sensibiliser les citoyens, les acteurs économiques et les agents d’autorité à leur responsabilité dans la violation des mesures sanitaires.

Quant aux autres, ceux qui agissent dans le dessein d’affaiblir le Pouvoir en utilisant la religion dans la structure politique, le résultat de la réponse précédente, une fois mise en œuvre, finira par les cantonner dans leur isolement.

 

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