S’offusquer de peu et ignorer le pire

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Dans la langue arabe classique l’amour se décline en une centaine de mots raffinés, célébrant le sentiment dans tous ses états. Que de poètes se sont enflammés pour décrire la bien aimée, l’attente, le moment, la rencontre, la passion, l’envoutement

Que de polémiques ces temps-ci autour de l’amour sur nos médias et réseaux sociaux. Qu’on le cache ou qu’on l’exhibe, l’amour fait mal dans ce pays.

Dans le dialecte marocain, je t’aime se dit : ka nebghik. Il prend racine dans la langue arabe classique. Le verbe « Bagha » signifie dépasser les limites du tolérable, être injustice.  Il peut aussi signifier lorsqu’il évoque une femme, qu’elle s’adonne à la prostitution.  D’où Baghiya signifiant prostituée.

C’est bien en bas de cette liste de définitions que nous retrouvons aussi  le verbe « Bagha » sous l’angle de la demande désirée.  L’acte charnel qui découle normalement de cette relation amoureuse s’exprime dans le dialecte avec  violence  et  vulgarité. Le terme est sale, bestial et insultant. C’est un terme masculin, un acte de conquête.

On a connu mieux comme départ pour une relation affective, basée sur du respect et des sentiments.

Dans la langue arabe classique l’amour se décline en une centaine de mots raffinés, célébrant le sentiment dans tous ses états. Que de poètes se sont enflammés pour décrire la bien aimée, l’attente, le moment, la rencontre, la passion, l’envoutement.  Rumi a aimé Allah en prose, en vers  et en récits, debout, assis, couché. Al Khayam a aimé le vin de la façon la plus charnelle qui soit, ses quatrains nous enivrent encore aujourd’hui.

L’amour existe. Instinctivement, il est en nous. Heureusement, puisqu’il rend la vie plus belle. Or l’amour d’une mère à son enfant n’est pas plus noble que l’amour d’une étudiante à son petit copain.

Arrêtons de nous voiler la face. Déclarer la guerre à l’amour n’est pas simplement contradictoire, il est foncièrement menaçant et dangereux pour notre société.

Pourquoi s’indigner avec véhémence lorsque des couples mariés ou pas, se confient à une caméra. Ceux qui se sont mariés, en avaient tout bonnement les moyens, l’âge et l’envie. Faut-il pour autant blâmer les autres ?

Ces êtres humains ont osé parler d’amour, exposer les contraintes qu’ils éprouvent à pouvoir aimer dans une société qui se sécularise dans l’ignorance et qui se radicalise avec force.

Ils ont aussi parlé de sexualité en l’entourant de beaucoup de précautions. La sexualité, il faut justement en parler. Et des précautions à prendre, aussi.  Loin de toute morale, de tout discours inquisiteur,  il faut l’enseigner. Il faut que nos jeunes en connaissent les risques aussi. Il faut rompre avec les frustrations et l’ignorance par l’éducation. Civile et religieuse. Chacun sera comptable alors de ses gestes et libre à lui de composer avec son milieu familial et sociétal. Mais s’en offusquer après coup est immoral.

Quel que soit le réalisateur, le producteur, le diffuseur de ce film, de ce livre, de cet article. Qu’il soit polémiste, conspirationniste, voire complotiste porteur d’un projet de destruction massive de nos traditions et « valeurs ». Il faut arrêter de nous voiler la face.

Si la critique venue de l’extérieur fait mal aux yeux,  alors soyons exemplaires de l’intérieur.  On pourrait se permettre  le narcissisme de nous regarder en face avec un sourire béat de satisfaction.

Pour que ces médias, ces plumes et ces caméras « subventionnées » par des gens qui ne nous veulent pas que du bien et qui menacent notre stabilité,  ne trouvent plus grand-chose à faire dans la vie des Marocaines et des Marocains, soyons exemplaires. Commençons d’abord par nous aimer.

Lorsque la femme aura sa place entière dans l’espace public, lorsqu’elle pourra marcher dans la rue en toute sécurité. Lorsque personne ne se retournera sur son passage, qu’elle soit voilée ou pas, en jeans ou en djellaba.  Lorsqu’un homme ne se sentira pas l’obligation morale de corriger l’offense d’une mèche au vent ou d’un genou qui dépasse trop sous la jupe en crachant sur la jeune fille et en l’invectivant Alors ce jour-là, nous pourrons nous regarder dans un miroir.

Il existe mille et une raisons de s’élever et de ruer dans les brancards. Dénonçons la corruption, le crime, l’insécurité, l’injustice, l’état de notre école, de nos hôpitaux. Mais laissons l’amour loin des idéologies et de la politique de bas étage.

Nous avons les certitudes tenaces et les indignations sélectives. Peut-être qu’au hasard d’une improbable probabilité, un jour, nous nous indignerons de nos certitudes puisque nous sommes déjà tenaces dans notre sélectivité.  Autrement, considérons-nous coupables  de pérenniser l’hypocrisie et l’ignorance.

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